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 * ET POUR UN INSTANT D'ETERNITE

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26 octobre 2021


PARADOXES ET MASQUES DE LA MISOSOPHIE

 * Non classé



PARADOXES ET MASQUES DE LA MISOSOPHIE[1]  : Relativisme, rationalisme ou Vérité
et enjeux de la modernité face à   une perspective d’intériorité.

                                                                     Olivier
DARD

«(…) C’est ce que Kant, dans sa candeur rationaliste, n’a pas prévu. D’après
lui, toute connaissance qui n’est pas rationnelle au sens le plus étroit, n’est
que prétention et exaltation (Schwärmerei) ; or, si quelque chose est de la
prétention, c’est bien cette opinion. L’arbitraire, le rêve et l’irrationnel ne
sont pas du côté des “scolastiques”, mais bien du côté des rationalistes qui
s’acharnent, avec des arguments risibles et souvent misérables, contre tout ce
qui les dépasse. Avec Voltaire, Rousseau et Kant, l’inintelligence “bourgeoise”
(ou vaishya  comme diraient les hindous) se constituent en “doctrine” et
s’installe définitivement dans la “pensée” européenne, en donnant naissance, à
travers la Révolution française, au scientisme, à l’industrie, et à la “culture”
quantitative. L’hypertrophie mentale de l’homme “cultivé” supplée désormais à
l’absence de pénétration intellectuelle ; le sens de l’absolu et du principiel
se noie dans un médiocre empirisme, doublé d’une pseudo-mystique aux allures
“positives” ou “humaines”. Certains nous reprocheront peut-être de manquer
d’égards, mais nous voudrions bien savoir où sont les égards des philosophes qui
sabrent sans vergogne des millénaires de sagesse».  (Frithjof Schuon, note 1/,
pages 23-24, in, Orthodoxie et Intellectualité , Les Stations de la Sagesse ,
Éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 1992).

Dans son introduction à la vie et aux écrits du bienheureux Starets Silouane
l’Athonite, l’Archimandrite Sophrony, relate un épisode significatif pour notre
sujet, – et nous nous permettons d’en souligner quelques termes – de l’enfance
de ce saint homme, et plus particulièrement du souvenir que causa les propos
d’un marchand de livre ambulant invité par le père du Starets alors que ce
dernier n’avait que quatre ans : «Quand l’hôte fût parti, le petit Syméon dit à
son père : «Tu m’apprends à prier, mais lui, il dit que Dieu n’existe pas». 
Là-dessus le père répondit : «Je pensais que c’était un homme intelligent, mais
je vois maintenant que c’est un imbécile. Ne fais pas attention à ce qu’il
dit».  Mais la réponse du père n’effaça pas le doute  semé dans l’âme de
l’enfant»[2].

Dans son introduction à la Liturgie soufie de la Grande Mosquée des
Omeyyades[3], le Dr. Ahmad Badreddine Hassoun écrit : «Dieu a doté l’homme des
sens afin qu’il soit un trait d’union entre l’univers, avec tout ce qu’il
comporte comme causes et accidents, et son monde intérieur avec ses sentiments,
sensations et qualités. Dieu a placé dans sa merveilleuse création qu’est le
corps humain de formidables énergies et de subtiles sensations. Il en a fait
l’écho de causes extérieures et intérieures. (…) L’univers qui nous entoure émet
de façon permanente les mélodies les plus douces». Et le Dr Hassoun, cite alors
l’Imam al Ghazalî, qui précise : «celui qui n’a pas été remué par les fleurs du
printemps et les cordes du luth a une âme corrompue pour laquelle il n’existe
pas de remède».

A première vue ces deux références, l’une au christianisme Orthodoxe, et la
seconde au Soufisme ou taçawwuf, qui est la Voie de l’intériorité dans l’Islam,
paraissent éloignées de notre sujet. Indépendamment du fait que toute l’œuvre de
Frithjof Schuon est tissée d’une mise en lumière incomparable de «ces deux»
Révélations, le christianisme et l’Islam, ce qui nous occupera ce sont les mots
mis en exergue dans leur contexte présent et la signification qu’ils ont pris
dans ce que les sociologues appellent modernité ou selon l’acception de René
Guénon, le monde moderne.

 1. Du sens des questions à la question du Sens

Comme dit un proverbe : tenter de poser clairement les problèmes c’est déjà les
résoudre, au moins d’une manière limitative[4] ; par sa pureté cristalline, et
son caractère hautement pédagogique, formateur, sur lequel nous n’insisterons
jamais assez, l’œuvre de Frithjof Schuon contient les moyens d’y contribuer. Les
termes ci-dessus soulignés dans nos deux citations – “intelligence, doute,
union, accident” – renvoient à leur présence dans les écrits de Frithjof Schuon
et à la manière dont le sens y est explicité.

L’une des possibilités du déploiement de ce sens s’établit en fonction d’une
distinction radicale entre philosophie et métaphysique : «celle-ci [la
métaphysique] possède un caractère transcendant qui la rend indépendante d’une
pensée purement humaine, quelle qu’elle soit. Pour bien définir la différence
qu’il y a entre les deux modes de pensée, nous dirons que la philosophie procède
de la raison, faculté tout individuelle, tandis que la métaphysique relève
exclusivement de l’Intellect»[5].

En énonçant ainsi les choses il ne s’agit aucunement de nier ou de discréditer
la raison, mais de préciser les modes de fonctionnement et de définir les ordres
de grandeur, «chaque chose à sa place» dit l’adage populaire et il y a beaucoup
de sagesse dans cette manière simple de s’exprimer. L’attitude erronée mais
largement répandue, consiste soit à faire l’impasse sur cette distinction, soit
à entreprendre la critique à l’intérieur même des axiomes dont on prétend
s’affranchir.

«L’erreur classique des rationalistes, – constate Frithjof Schuon -, à l’égard
des démonstrations métaphysiques, c’est de croire que le métaphysicien admet sa
thèse en fonction des arguments qu’il présente, que cette thèse est par
conséquent une simple conclusion et qu’elle s’effondre dès qu’on dénonce les
points faibles qu’on s’ingénie à découvrir, ce qui est toujours facile puisque
les données de la démonstration échappent à l’expérience courante ; en réalité –
nous l’avons dit plus d’une fois – les arguments métaphysiques ne sont pas les
causes de la certitude, ils en sont les effets ; c’est-à-dire que la certitude
dont il s’agit, tout en étant un phénomène subjectif, est faite d’objectivité
puisqu’elle est entièrement fonction d’une Réalité qui est indépendante de notre
esprit»[6].  Ce qu’exposent précisément les livres de Frithjof Schuon et
singulièrement les premiers chapitres de Logique et Transcendance  c’est
l’aptitude à comprendre l’absolue exigence, en tant que mode relationnel, de la
«paradoxale»[7] indépendance de cette Réalité  envers toute tentative de la
rapporter à du «réel» quantifiable, autrement dit à une dissolution de l’humus
symbolique corollaire d’un éparpillement phénoménal. Il serait enfin temps de
comprendre que la réalité d’une chose, d’un objet (etc.) et à fortiori d’un
sujet, non seulement ne se réduit ni à ses composants, ni à sa fonction, ni à
des structures fussent-elles les plus complexes possibles, ni à un agencement
mécanique subtil de celles-ci avec l’organisation de tel autre objet ou «sujet».
Il y a un sens  métaphysique du Réel qui conditionne la possibilité qu’à ce réel
d’être ce qu’il est, et qui autorise  la description phénoménologique qui peut
en être établie. Le nier revient peu ou prou à valider la thèse erronée du
scientisme et de son corollaire le rationalisme, et à avaliser les conséquences
profondément négatives d’une semblable position.

Les assertions qui précèdent, trouvent leur légitimation dans ce qui sera
prioritairement mais en aucun cas exclusivement, notre guide doctrinal  ici, à
savoir les quatre premiers chapitres du livre magistral qu’est Logique et
Transcendance, respectivement intitulés, nous le rappelons : 1) La contradiction
du relativisme, 2) Abus des notions du concret et de l’abstrait, 3) Rationalisme
réel et apparent, et 4) Des preuves de Dieu. Nous estimons que ces quatre vingt
six pages publiées il y a exactement trente ans[8] contiennent l’exposition et
la réfutation [9] intégrale et inégalée, de l’infrastructure épistémologique –
le kantisme[10] et le néokantisme – et du soubassement idéologique qui est sa
conséquence  – l’humanitarisme sentimental – de l’ensemble des sciences en tant
que paradigme  et telles qu’elles continuent à être enseignées dans les
universités en Occident, surtout dans leurs variantes biologiques et
psychologiques.

Autrement formulé, ces quatre chapitres proposent à l’homme du XXIème siècle la
possibilité de recouvrer sa foi et de résister à l’érosion occasionnée en amont
par les excès de la  « mentalité » scientifique.

Ainsi le concept de preuve, évidemment récurrent en épistémologie, est examiné
avec un extrême souci de réalisme. Lorsque l’on tente d’appliquer celui-ci à
l’Intellection, Frithjof Schuon répond que «cette preuve est donnée par les
expressions mêmes de l’Intellection ; et de même qu’il est impossible de prouver
à toute âme la validité de telle religion, sans que cette impossibilité
n’infirme cette validité, de même il est impossible de prouver à tout
entendement la réalité de l’Intellect, sans que ce manque de réceptivité ne
prouve quoi que ce soit contre la dite réalité. Toute preuve – et c’est ce que
l’esprit platement rationaliste ne parvient pas à comprendre – est relative par
définition même, car une preuve absolue serait la chose à prouver ; une preuve
est toujours plus ou moins séparée de son objet»[11].

Les recherches les plus récentes en neurobiologie, neurolinguistique et en
neuropsychologie, lorsqu’elles ne tombent pas dans l’écueil d’une des formes de
réductionnisme connus[12], indiquent qu’il est rigoureusement impossible
d’infirmer «scientifiquement» le caractère à priori «miraculeux» du processus
d’intellection, pris dans son fondement même, qui demeure un vrai mystère. Ceci
dès lors que l’on a accepté d’élaguer tous les faux problèmes[13], à commencer
par les «micros examens» de quelques cas qui sont ensuite généralisés à l’excès
;  ensuite en évitant l’abus systématique des statistiques et d’un langage
formel destiné à impressionner ceux qui n’en ont pas la maîtrise. L’une des plus
intéressante synthèse critique sur ce sujet a été publiée par le professeur de
neurophysiologie Jean-François Lambert, sous le titre L’Épreuve du sens :
Science et incomplétude [14]. L’intérêt principal de cette longue étude (près de
nonante pages !), outre qu’elle provient d’un spécialiste, est qu’elle examine
avec une rare probité la majorité des théories récentes[15] en présence, et
réfute des erreurs qui sont constamment répétées, montre avec pertinence les
contradictions épistémologiques du rationalisme et du «matérialisme neuronal».
C’est pourquoi Jean-François Lambert écrit qu’«il faut admettre que le langage
de la science n’est qu’une forme particulière de jeu de langage   et que
d’autres formes, comme le langage religieux, qui a ses règles propres et ses
conditions spécifiques de sens, doivent être considérées comme valides»[16]. Sa
conclusion se situe dans une optique qui tout en demeurant aristotélicienne,
rompt avec le «scientisme», et se rapproche sous plusieurs angles  de
l’enseignement traditionnel de Frithjof Schuon en matière de critique du
« scientisme » : «L’éthique n’a de sens que si la personne humaine ne se réduit
pas au sujet empirique, c’est-à-dire s’il existe dans le monde un espace pour un
sujet axiologique. Ainsi l’éthique se montre dans le monde mais elle n’est pas
du monde. Si le sujet est identique au fonctionnement des neurones alors il est
vain de parler d’éthique»[17]. Abordant alors le thème de la liberté, notre
auteur se démarque largement du propos fautif des sociobiologistes anglo-saxons
lorsqu’il note que celle-ci «suppose un principe irréductible à l’ordre causal
de la nature, un opérateur métaphysique. L’origine de la liberté ne peut que se
situer hors du sujet empirique»[18]. Dans un souci de nuancer les options de
chacun, il observe que ceux «qui nient la liberté se comportent eux-mêmes comme
s’ils étaient libres et font généralement grand cas de leur dignité et de leurs
droits. La science objectivante m’oblige  à reconnaître que je ne suis pas
seulement un être métaphysique mais la métaphysique me révèle que je ne suis pas
seulement un objet»[19].  L’équilibre entre objectivité et subjectivité ne peut
être garanti par la science[20] puisqu’elle fonctionne causalement à l’intérieur
de la problématique envisagée ce qui exige de recourir à un médiateur   qui
puisse discriminer dans les «préférences» de la raison. Ce dernier ne peut
qu’être l’Intellect, comme quasi toutes les traditions spirituelles et
métaphysiques l’ont attesté[21]. Il en est le «cœur», parce que comme Frithjof
Schuon le rappelle la racine de «l’esprit humain est naturel quant à ses
opérations contingentes, mais surnaturel quant à son essence ; [et qu]’il n’y a
[dès lors] aucune raison d’admettre que la pensée humaine ne soit pas capable en
principe d’adéquation au Réel transcendant»[22], c’est-à-dire à l’Absolu.

Ce postulat  constituant, le plus petit «dénominateur commun» de la sagesse en
tant que tel.  On pourrait encore l’exprimer comme suit : le mental est un état
temporel de la conscience, qui est elle-même un état conditionné de la
conscience pure ou absolue, soit de l’Etre[23]. Il y a donc à la fois
distinction formelle et congruence supra-formelle entre le mental et la
conscience.

Si l’Intellection[24] chez la plupart des scientifiques et des «philosophes
modernes» n’est pas directement présente, cela ressort d’une carence dans les
moyens de la connaissance et non à l’inexistence d’un mode d’adéquation effectif
de l’être à la transcendance. «De même que l’absence de lumière rend l’œil
incapable de voir sans pour autant invalider son pouvoir de vision»[25].  On
pourrait encore dire que l’Intellect dans son rapport à la cognition se situe
quelque part dans la même disposition que la relation occupée entre le corps du
miroir et la forme qu’il révèle. «Tâche donc toi-même de voir, nous dit
Ibn’Arabî, le corps du miroir tout en regardant la forme qui s’y reflète ; tu ne
le verras jamais en même temps»[26]. Le corps du miroir est ici le processus
cognitif, et la forme révélée, l’intelligible, la complexion s’inscrivant dans
l’Intellection comme telle. Tout se tient ici dans l’acte relationnel   de «voir
en même temps». On ne peut voir l’Intellect en même temps que ce qui est perçu.
Néanmoins la présence de l’Intellection découle de la relation qu’opère le
processus lui-même. Le fait de ne pas être en mesure de «matériellement prouver»
(l’argument de la preuve ayant déjà été examiné) l’existence de l’Intellect,
n’enlève aucunement sa pertinence logique et fondamentalement réelle. Disjoindre
l’un au profit de l’autre – le miroir pour la forme ou inversement – n’offre
plus aucune pertinence, rompt le sens de l’exemple. Or c’est exactement ce que
tente la science et en ce cas la linguistique : délier les appartenances non
seulement ontologiques, mais axiologiques. Or la perte du sens ontologique de
l’être procède d’une chute, d’un éloignement de sa source «axiale» et infinie.
«C’est parce qu’il est l’interlocuteur de Dieu que l’homme est un être singulier
irréductible à ses conditionnements biologiques. Si donc nombreux sont ceux qui
reconnaissent que l’homme vaut   davantage, n’est-ce pas parce qu’il est  
davantage ? En d’autres termes sa singularité axiologique n’implique-t-elle pas
forcément une singularité ontologique ? Si l’homme est de même nature que les
autres êtres pourquoi vaudrait-il davantage  ?[27]» relève encore Jean-François
Lambert.  «Interlocuteur de Dieu» ou plus précisément pontifex,  l’homme «(…)
est le centre et l’ouverture vers le Ciel»[28], il réalise relativement  en
quelque sorte, l’Absoluité de Dieu dans la transparence du monde.

 2. De la question du Sens à celle de sa complétude

Dans un récent ouvrage d’un spécialiste de la biologie du vieillissement et de
la gérontologie expérimentale, nous lisons ce qui suit à propos d’une éventuelle
définition de la sagesse : «la métaanalyse de la vaste littérature portant sur
ce sujet a permis de définir cinq propriétés étroitement liées à la sagesse :

«1) La sagesse permet de traiter des problèmes difficiles associés à la conduite
et au sens de la vie ;

«2) La sagesse reflète une qualité supérieure de la connaissance, du jugement et
des conseils ;

«3) La sagesse est une connaissance avec une longueur, profondeur et équilibre
(modération) exceptionnels ;

«4) La sagesse se développe et s’exerce pour le bien être de l’individu et de
l’humanité ;

«5) Il existe un consensus social très développé de ce que l’on doit considérer
comme sagesse par un large segment de la population»[29].

Ces pages n’ont pas été écrites par un rêveur, mais par un homme de science
répondant à toutes les conditions de la rationalité expérimentale selon Claude
Bernard. Demandons-nous maintenant sur quoi est fondée la sagesse dont il nous
est spécifié plusieurs critères ?

La réponse qui en découle est celle d’une vision  de nature métaphysique au sens
traditionnel[30], et dont justement pour le XXème siècle, l’œuvre de Frithjof
Schuon – et les quatre vingt six pages sur lesquelles nous attirons l’attention
-, nous paraisse témoigner au plus haut degré et surtout pleinement refléter les
quatre propriétés ci-dessus énumérées. D’abord et essentiellement par le
réalisme spirituel ou métaphysique qui caractérise les écrits auxquels nous nous
référons, et desquels les qualités spécifiées dépendent. Il est abusif et de ce
fait chimérique de qualifier de «réaliste» une pensée qui au nom de la science
exclut ce qu’elle n’est pas capable d’inclure par atrophie volontaire des
postulats sur lesquelles elle prétend s’ériger[31]. A cet égard, la capacité
constante – reflet de l’«équilibre» signalé en 3) – à comprendre de l’intérieur 
le principe de complémentarité derrière tous les types d’antinomies est
assurément l’une des conditions de ce réalisme métaphysique[32] et la
possibilité d’un détachement qui ne cède rien à un relativisme toujours négateur
de l’absoluité  principielle. L’une des meilleures illustrations de cette
complémentarité – par delà le mental et ses projections dualistes – nous est
livrée dans le principe du «yin» et du «yang» du Taoïsme chinois. J.-C. Cooper
écrit : «Les forces opposées ne sont pas autre chose que des aspects d’une seule
et même réalité ; elles sont un facteur de multiplication mais aussi de réunion.
Et l’équilibre dans lequel elles se tiennent procède de l’harmonie de leur
interaction, non pas d’une lutte»[33]. A contrario, la méthodologie et
l’épistémologie des sciences n’intègrent pas encore les conséquences de cette
sagesse, mais accuse le plus souvent la rupture entre un rationalisme apparent
et un «rationalisme» Réel, harmonieux, qui en résulterait.

Les principaux traits et effets de ce rationalisme apparent  que l’on peut
énumérer sont les suivant :

– Refus d’accorder un statut intrinsèque  à la subjectivité ce qui a pour
conséquence de la désagréger et susciter une «subjectivité abstraite» – le
subjectivisme – dans sa relation à l’objectivité.

– Constitution d’une objectivité également «abstraite», détachée des qualités de
l’objet considéré.

– Éviction de la question du lieu  et du moment  d’émergence de toute faculté
représentative.

– Confusion entre des éléments statiques   et dynamiques  dans l’ordonnancement
et la continuité des représentations humaines.

– Fixation ou détermination sur le caractère accidentel, «discontinu»  ou
«morphologiquement en rupture» de la contingence, au détriment de toute
continuité, éventuellement subordonnée.

– «Alternativisme» de toute nature : jeu d’oppositions conceptuelles n’amenant
aucune solution ou ne générant aucune stabilité par refus et inconscience
synallagmatique. Unilatéralisme.

– «Concrétisme» et «factisme» qui inverse le rapport équitable au concret, en
prenant «la moyenne pour norme» ou en figeant un groupe de données ou une donnée
au détriment d’une ou de plusieurs.

– «Abstractivisme» et «constructivisme» qui masquent la relation au concret
véritable.

L’abus d’un faux concret se produit le plus souvent dans la dénégation de
l’aséité de l’être, et conduit ipso facto  à une incompréhension, une opacité
devant l’altérité. Ainsi de la technologie appelée «réalité virtuelle» qui
illustre bien ce qui est désigné par l’appellation de «factisme». Relevons que
dans un monde qui a perdu ses repères métaphysiques, ce simulacre ou non de la
Mâyâ  est à même de produire toutes sortes de distorsions dans le mental humain.
On ne peut s’empêcher de penser qu’à travers cette nouvelle parodie
technicienne, le Diviseur   est quelque part à l’œuvre, puisqu’il s’agit d’une
tentative d’imitation – de production dans le mental d’une puissante illusion –
de l’une des «enveloppes»[34] de la Réalité intégrale, correspondant justement à
l’un de ses «cinq degrés», que l’homme du Kali Yuga  a de plus en plus de
difficulté à percevoir dans son intégrité Traditionnelle.

Enfin et comme nous l’avons vu précédemment dans notre présentation de la
doctrine Traditionnelle de l’Intellect, en celui-ci gît une part du souverain
Mystère lié à notre nature Adamique et Primordiale, de «fait à l’image de Dieu».
Car l’Intellect «participe à cette infinitude [de la Révélation] et s’identifie
même avec elle sous le rapport de sa nature intrinsèque la plus rigoureusement
«elle-même», et la plus difficilement accessible»[35]. Si l’intelligence ne
manifestait pas des réverbérations de l’infini, comment se poserait la part de
liberté octroyée par Dieu  à sa créature ? C’est dans cette complétude
apparemment paradoxale entre une trace divine dans le cœur humain et la
disposition qu’à l’être de la faire fructifier que réside l’équilibre étroit et
fragile entre raison et Intellect. Autrement exprimé et pour paraphraser une
formule remarquable de Frithjof Schuon, ce n’est pas en fonction de la raison
que nous connaissons ses limites mais en fonction de l’Intellect qui permet de
percevoir l’aspect privatif que celle-ci produit[36].

Cette distinction est capitale car les processus généraux envisagés par la
méthodologie des sciences se situent à ce point de rupture, où se profile
l’attitude «scientiste» consistant, comme le souligne Jean-François Malherbe que
cite Jean-François Lambert, «précisément à occulter, ne fût-ce qu’implicitement
l’opération de clôture par laquelle se constitue le champ du savoir scientifique
et à discréditer a priori  toute prétention à une connaissance à l’extérieur de
ce champ»[37]. Il est évident que de par son fonctionnement toute science
classe, distribue, produit des structures, bref hiérarchise[38] des dimensions
de la réalité d’après des protocoles, des méthodes, qu’elle développe. Ces
classifications sont obligatoirement provisoires. Elles se juxtaposent à
l’ordonnancement du Réel comme tel sans en épuiser les infinies  métamorphoses
et reconversions.

Ces différents points sont à retenir car c’est leur présence constante au sein
de la modernité qui explique l’essentiel des impasses et des erreurs qu’on peut
lui attribuer, et à fortiori aux explications scientifiques ou non qui en
émanent directement. Nous verrons dans les trois exemples retenus ci-après,  –
du Saint Suaire (I), de la théorie de l’évolution (II) et de la méthode dite
«historico-critique» (III) emblématique du protestantisme – que ceux-ci sont
saturés par les altérations psychiques que nous avons jusqu’ici exposées.

 1. I) Le «dogme» laïcisé du «rationalisme apparent» ou le cas du Saint Suaire :

Dans le chapitre consacré à la fonction des reliques  de son livre L’Ésotérisme
comme Principe et comme Voie, Frithjof Schuon montre, contrairement à ce
qu’«imaginent la plupart des protestants» qu’il s’agit d’un «élément essentiel
dans l’économie dévotionnelle et charismatique du Christianisme»[39]. Sans
entrer dans le détail  des raisons invoquées par Frithjof Schuon, nous
polariserons notre attention sur l’une des reliques la plus célèbre de la
Chrétienté, le Saint Suaire de Turin.

Dans le prolongement du propos qui nous occupe, nous relèverons la délicate
affinité que l’homme entretient avec le Miracle et ainsi avec le «surnaturel».
Dans le monde contemporain, cette éventuelle affinité est perçue comme
irrationnelle. Mais n’est-ce pas parce qu’elle n’est plus vécue dans une
plénitude nécessairement inscrite au sein d’une claire appréhension des degrés
de la Réalité cosmique où la raison y est hiérarchiquement incorporée ?

Si «la science moderne a pour point de départ la négation des dimensions
cosmiques suprasensibles et extra-spatiales (…)[40]» comme le précise Frithjof
Schuon, faut-il s’étonner des erreurs qu’elle commet dans son désir de prouver
ce qui par nature  transcende les critères retenus ?

L’absence d’une «catégorisation» – au sens logique  – de la ratio   trouble la
discrimination et entraîne  une inaptitude de la saisie intuitive du contenu
symbolique. L’ordonnancement ou la respiration intrinsèque du Réel est figé, car
la ratio n’en autorise plus qu’une perception tronquée, externe, une
détermination purement apparente. «Dans l’image symbolique, comme dans le fait
miraculeux, le langage appartient à l’être, non au raisonnement, comme l’indique
Frithjof Schuon ; à une manifestation d’être de la part du Ciel, l’homme doit
répondre par son propre être, et il le fait par la foi ou par l’amour, – qui
sont les deux faces d’une seule et même réalité, –  sans cesser pour autant
d’être une créature pensante»[41].

Notre conviction de l’authenticité du Saint Suaire, fruit de la lecture de
nombreuses études[42], se fonde en cela davantage sur la question du sens  que
sur celui d’une preuve dépendant d’un outillage scientifique transitoire et
limité. Le paradoxe tient dans la Présence atemporelle que ce patrimoine
archéologique nous communique ici même, quasi instantanément. Lorsqu’on prend la
peine d’examiner avec attention cette relique sainte, on ne peut pas ne pas être
surpris par l’effet de concaténation du temps qu’elle produit. Le mathématicien,
informaticien et épistémologue Arnaud Aaron-Upinsky s’est précisément penché sur
cette question du sens  et de la Présence  de la Sainte Face, où se révèle en
filigrane la complexion de l’homme moderne avec le «surnaturel». «Le Linceul,
écrit-il, n’était donc pas un objet surnuméraire – en trop -, comme le disent
certains. Il était au contraire indispensable. Du point de vue des Écritures, le
Linceul était bien attaché à la personne du Christ, comme le manteau teint de
sang de l’Apocalypse est attaché au cavalier qui monte le cheval blanc. Comme
tel, il était l’objet le plus important de la prophétie de l’Apocalypse, comme
il est l’objet scientifique le plus chargé de sens»[43].

S’il ne confluait pas en Lui une part fondamentale des interrogations de l’homme
se heurtant avec sa finalité et dès lors un mode de la transcendance, pourquoi
tant de scientifiques réputés se disputent depuis plus de trois quarts de
siècles à son endroit ?

La première inversion et «descente» des valeurs issues de la primauté accordée
au Verbe divin fût celle selon Arnaud Aaron-Upinsky, imposée par la suprématie
du chiffre détaché, retranché de sa configuration géométrique et symbolique.
Nous franchissons ainsi à rebours une étape : d’une possibilité d’incarnation du
sens  au moyen de l’intelligibilité du suprasensible, vers une abstraction qui
rompt avec l’épaisseur du Réel. Cette même abstraction qui a introduit
éparpillement et dissémination, trouve sa justification dans la méthode
analytique lorsqu’elle prétend néanmoins unifier par juxtaposition des éléments
hétérogènes. La contradiction est totale et la situation bien résumée par notre
auteur : «En conclusion, c’était à la fois l’homme et le Message qui avaient
changé. Sous l’action d’un champ de forces qui semblait irrésistible et qui
tirait son principe de l’Abstraction scientifique, la grande rivale de
l’Incarnation religieuse. La logique de ce mouvement était perçue comme une
négation pure et simple de celle du Linceul»[44]. Cette négation nous apparaît
en tant qu’une des figures   de la modernité gisant aux tréfonds mêmes de ses
plus péremptoires affirmations.

C’est un peu comme si l’on prétendait gravir une cime à l’aide d’une échelle
tout en réséquant systématiquement les barreaux supérieurs de celle-ci. Dans une
caractérisation saisissante, Frithjof Schuon écrit : «Le phénomène miraculeux ne
peut pas ne pas être, dès lors qu’il y a, d’une part le surnaturel et d’autre
part le naturel ; le surnaturel est d’ailleurs, non le contre-naturel, mais un
«naturel» à l’échelle universelle. Si le Principe divin est transcendant par
rapport au monde tout en l’englobant dans sa substance unique, le miracle doit
se produire ; le céleste doit éclater parfois dans le terrestre, le centre doit
apparaître comme la foudre dans la périphérie ; la matière inerte est peu de
chose – pour prendre une image dans l’ordre physique -, mais l’or et les
diamants doivent y apparaître. Métaphysiquement, le miracle est une possibilité
qui, comme telle, doit se manifester nécessairement, vu la structure
hiérarchisée de l’Univers total»[45].

L’amplification d’une telle négation est néanmoins une constante du monde
moderne, que le système informationnel des médiats attisent, ce qui renforce son
paradigme. A cet égard la publication par le professeur Marie-Claire van
Oosterwick-Gastuche[46], d’un remarquable travail scientifique représentant neuf
années de recherche sur la question du radiocarbone qui plus est par une
spécialiste internationale de la chimie des sols, dans un silence quasi complet,
contraste désagréablement avec le tumulte organisé en 1988 par les médiats
lorsqu’ils rendirent compte de la datation du Saint Suaire au moyen de ce même
radiocarbone 14 ! Il est alors symptomatique d’observer l’avis que le Délégué
général pour les applications de l’Académie des Sciences auprès de l’Institut de
France, Pierre Perrier, a émis dans une lettre[47] adressée à l’auteur du livre
précité : «On peut souhaiter que la communauté scientifique de datation par le
carbone 14 reprenne ses bases d’étalonnage et accepte de se fixer à elle-même
des règles d’incertitudes et des limites au-delà desquelles le résultat sera
seulement annoncé «incertain» au lieu de le fixer sans tenir compte de lois
statistiques mal établies.  Espérons que le pénible épisode de la fausse
datation du Linceul puisse servir à ce que les médiats et le grand public
acceptent la notion d’incertain, que les experts acceptent de dire «je ne sais
pas car je n’ai pas la méthode adéquate». Alors l’humilité expérimentale sera
reconnue et encouragée sans que les médiats la transforme en impuissance ou la
sollicite à leur idée, alors nous pourrions faire appel à plus de finesse de la
part de tous dans l’évaluation des problèmes complexes de notre monde réel».

En prenant la peine de citer cet extrait de correspondance, nous souhaitons
insister sur la récurrence des comportements et des automatismes présents chez
la plupart des scientifiques, que traduit un orgueil incommensurable, au
demeurant – et ici gît un paradoxe – irrationnel, et qui voile leur appréhension
de la fine texture du réel – et les embourbent dans toutes sortes d’absurdités
et d’erreurs, dès lors qu’ils s’écartent, même légèrement, de leur stricte
spécialité.

La question de l’équilibre entre plusieurs paramètres se présente à nouveau, et
à moins d’estimer que ce dernier puisse exclusivement relever d’une disposition
subjective, génératrice de quelque nouvelle aporie, le seul choix rationnel  et
proprement objectif qui s’offre à nous est d’admettre une fois pour toute ce que
Frithjof Schuon nomme la «transparence métaphysique des phénomènes[48]» en
laquelle s’enracine le minéral comme le vivant.

 1. II) Le «dogme» laïcisé de l’«accidentel» ou le cas de la théorie de
    l’évolution :

Comme pour une ample part de l’œuvre de Frithjof Schuon, ce qui s’y découvre ne
provient dans son “Urgrund  ”, d’après un néologisme germanique, en aucun cas
d’une ratio mutilée mais d’une vision archétypale authentique qui en assure la
parfaite rectitude   au sens que le Psaume 142 de la Sainte Bible attribue à ce
terme.

Dans le cas de la théorie de l’évolution, l’incohérence déjà soulignée relative
aux degrés de la réalité cosmique atteint peut-être sa plus forte expression
d’autant que la psychologie jungienne[49] a amplifié ce phénomène par l’usage
complètement abusif de la notion d’archétype. Les critiques que Frithjof Schuon
adresse à cette fausse théorie sont éparses dans son oeuvre, mais on peut en
trouver comme une sorte de «condensé» dans Logique et Transcendance  : «En
réalité, l’évolutionnisme – il convient d’y insister une fois de plus – est un
succédané de l’émanationnisme traditionnel[50] et consiste à nier le rapport
périphérie-centre, donc la réalité même du Centre émanationniste et du rayon qui
y mène, et à vouloir situer la courbe qui marque la périphérie : au lieu de
monter, en partant du plan corporel et en traversant le plan animique, vers les
réalités d’abord supraformelles et ensuite principielles ou métacosmiques, on
imagine une hiérarchie évolutive allant de la matière, à travers la vie végétale
et animale, jusqu’à la conscience humaine, elle-même considérée comme une sorte
d’accident transitoire. Certains imaginent, avec une inconscience infiniment
coupable quand ils se disent «croyants», un surhomme devant effacer l’homme, et
qui rendrait méprisable par conséquent aussi l’humanité du Christ[51] ; et tel
«génie» imagine au bout de la chaîne évolutive et progressiste quelque chose
qu’il n’a pas honte d’appeler «Dieu» et qui n’est qu’un pseudo-absolu paré d’une
pseudo-transcendance ; car l’Éternel sera toujours l’Alpha et a toujours été
l’Oméga. Les créatures se cristallisent dans la zone corporelle en émanant,
d’une manière à la fois continue et discontinue, du Centre et par conséquent du
Haut, elles n’«évoluent» pas en venant de la matière, donc de la périphérie et
du bas ; mais en même temps, et au-delà de notre point de vue humain, elles sont
toutes «contenues» en Dieu et n’en sortent pas réellement ; tout le jeu de
rapports entre Dieu et le monde n’est qu’un monologue de la relativité»[52].
Ajoutons encore que la relation de l’Invisible vers le visible ou de la forme à
la matière et donc du premier être à l’homme, de l’Adam à la créature que nous
sommes, est comme celui de la condensation de l’eau en glace[53]. La glace n’est
pas d’une autre «espèce» que l’eau, et n’a pas «évolué» à partir de l’eau, elle
en émane !

C’est seulement dans une continuité, une intelligibilité archétypale qu’il
s’avère possible d’appréhender cette notion d’émanation. L’aspect «accidentel»,
«catastrophique» selon le mot forgé par un distingué mathématicien, ne peut être
abstrait du «continuum spatio-temporel» auquel il appartient sans générer un
phénomène d’illusion sur lui-même, comme une image par rapport au prototype
qu’elle révèle. Le jeu des éléments ou l’interaction des données peut
s’illustrer dans l’exemple du puzzle où l’information «complète», la
cartographie du jeu, l’entité, serait seulement cherchée dans une ou plusieurs
pièces indépendamment du sens   qui préexiste à l’ensemble ordonné.

Lorsque l’on regarde attentivement un documentaire animalier pour y décrypter
les enchaînements du «fleuve du vivant» d’après la belle formule de
l’éthologiste Konrad Lorenz, on ne peut qu’être ému devant le spectacle de
l’extraordinaire congruence naturelle, où «l’accidentel», le sacrificiel  dans
une optique plus métaphysique,  se résorbe à travers l’organisation, la
subordination et la symétrie. Il y a toujours une compensation, une adéquation
fusse aux confins de l’écoulement de ce courant. La «rupture», – le saut
quantitatif -, ne saurait être érigée pour elle-même, en dehors du sens  plénier
qui lui assure sa substantifique réalité. Comme l’écrit Philippe Michaut,  «il y
a une sorte de balancement entre une interprétation en terme de continuité
(darwinisme, néo-darwinisme) et en terme de discontinuité (mutationnisme,
théorie des équilibres ponctués[54]). Cette tendance reflète, en réalité, celle
de l’esprit humain : démarche synthétique et recherche analytique»[55].

Si nous mettons l’accent sur l’émanationnisme, c’est d’une part parce que
celui-ci n’est plus compris dans son acception véritable telle que Frithjof
Schuon l’a défini plus haut, et d’autre part parce que le débat sur ce sujet,
s’instaure presque toujours à partir d’une opposition des termes
«évolution/création», envisagés unilatéralement. En réalité, «émanation» et
«création» sont comme deux visions ou deux darshana, selon une terminologie
védantine, qui chacun projette un rayon de la Vérité universelle.  «(…) L’idée
d’émanation explique Frithjof Schuon,  – non de creatio ex nihilo  – ne gêne en
rien la transcendance ni l’immutabilité de Dieu ; du monde à Dieu, il y a
discontinuité et continuité à la fois, suivant que nous envisageons l’Univers,
soit selon le schéma des cercles concentriques, soit selon celui des rayons :
selon la première vision, qui va du créé à l’Incréé, il n’y a aucune commune
mesure entre le contingent et l’Absolu ; selon la seconde vision, qui va du
Principe à sa manifestation, il n’y a qu’un seul Réel, qui englobe tout et qui
n’exclut que le néant, précisément parce que celui-ci n’a aucune réalité». La
distinction qu’il y a lieu d’opérer entre ces deux perspectives est plus affaire
d’accentuation que divergence de nature. Ainsi «l’objection que la notion
créationniste est supérieure aux notions dites «émanationnistes» ou
«panthéistes» parce qu’elle est biblique et christique, et que la doctrine
platonicienne ne peut avoir raison parce que Platon ne peut être supérieur ni au
Christ ni à la Bible – cette objection à le défaut de passer à côté des données
réelles du problème. Premièrement, ce qu’on appelle à tord ou à raison
l’«émanationnisme» n’est pas l’invention de Platon, il se rencontre dans les
textes sacrés les plus divers ; deuxièmement, le Christ, tout en étant
traditionnellement solidaire de la thèse créationniste, ne l’a cependant pas
enseignée explicitement et n’a pas nié la thèse apparemment opposée. Le message
du Christ, pas plus que la Bible, n’est a priori  un enseignement de science
métaphysique ; c’est avant tout un message de salvation, mais qui contient
forcément, d’une manière indirecte et sous un symbolisme approprié, la
métaphysique totale»[56].

Le Réel est fondamentalement métaphysique dès que l’on en scrute les linéaments
diaphanes. L’incompatibilité que porte le dogme évolutionniste avec une telle
perspective tient certainement au fait, comme le dit Philippe Michaut, «qu’il
n’est pas une théorie de l’évolution, mais une théorie sur les mécanismes  de
l’évolution. Lorsque les scientifiques discutent âprement l’évolution, c’est sur
les mécanismes qu’ils le font et non sur le fait  de l’évolution. Et c’est là
que le bât blesse : le fait est admis, mais il constitue un postulat.

«Pour l’épistémologue Karl R.- Popper, le darwinisme n’est pas une théorie
scientifique car il n’est pas directement réfutable par les faits. Car il est
impossible de le tester directement. (…) L’évolutionnisme est souvent présenté
comme un dogme, trop souvent perçu comme tel. Adhérer à l’évolutionnisme est,
finalement, un acte de foi[57]».

«L’accidentel» rejoint encore une fois ici un rationalisme apparent puisque ce
dernier dans un renversement inattendu se légitime par un semblant d’acte de
foi.

On pourrait encore relever que la curieuse insistance sur la longue durée des
âges géologiques, d’ailleurs fortement remise en cause, et constamment modifiée
ce qui en altère nécessairement la validité, n’offre pas la moindre pertinence
et le plus petit intérêt dès lors que l’on admet la susdite perspective
métaphysique selon laquelle le «Maintenant de Dieu», («daz nû der êwikeit»)
d’après la formule éckhartienne  ou «Instant Absolu» «créé» de toute éternité.
De façon identique Tchouang-Tseu affirmait : «Toute distinction de lieu et de
temps est illusoire ; la conception de tous les possibles se fait sans mouvement
et hors du temps»[58].

III) Le «dogme» laïcisé du «concrétisme» ou du «factisme» ou le cas de la pseudo
«méthode historico-critique» :

Ce qui est appelé la «méthode historico-critique»[59] et qui irrigue quasi toute
l’exégèse des Écritures, particulièrement du Protestantisme, à depuis des années
une influence extrêmement pernicieuse car elle vide la Révélation de tout
contenu par la dissolution qu’elle opère sur le symbole et ainsi sur le Sacré.
Non seulement les critères sur lesquels elle repose sont radicalement faux, mais
c’est leur fausseté même qui a produit  ces dernières années toute une série
d’erreurs et de problèmes insurmontables[60], que les tenants même de cette
méthode, lorsqu’ils ne sont pas obnubilés par elle, reconnaissent, souvent à
leur corps défendant.

Notre troisième exemple résume par les impératifs idéologiques qu’il véhicule
les deux précédents à travers sa thématique évolutionniste et progressiste, son
rationalisme, et ses dérivés, «surfacialisme», «concrétisme», abstraction et
fixation sur «l’accidentel» au détriment du continu. Tous ces éléments sont
rassemblés dans la méthode historico-critique, véritable cheval de Troie de
l’évacuation du Sacré et de l’impossibilité de comprendre le Revelatum.

Frithjof Schuon nous rappelle qu’«il y a (…) quatre ordres essentiels à
envisager, à savoir l’universel, le général, l’individuel et l’accidentel»[61],
trois de ces ordres introduisant nécessairement des restrictions ou des
limitations à leurs niveaux respectifs. Si l’on nous dit que le premier cité –
l’universel – n’a pas de réalité[62], il conviendra de justifier comment un mot
peut, linguistiquement ou de toute autre façon, nier le référent ou le signe au
moyen duquel son sens   émerge[63] ? Malgré qu’elle s’essaie parfois à prétendre
le contraire toute science répond structurellement du général, et de l’universel
à posteriori, comme par négation de son mode propre, jamais à priori. Si tel
n’était pas le cas cela contredirait la démonstration popérienne de
falsifiabilité des énoncés scientifiques[64]. Or la susdite «méthode» infère une
confusion de ces quatre ordres, à la fois par mélange de ceux-ci et
incompréhension de leur hiérarchisation. Que ce soit le statut donné à la
raison, au concept d’histoire ou à celui de liberté – le fameux «libre examen»
-, si l’on se donne la peine de les soumettre à une analyse stricte dans
l’optique ici retenue aucun ne peut maintenir sa valence, en tant que postulats.

Compte tenu des limites qu’impose la présente étude, il n’est pas possible de
pénétrer plus avant dans l’examen point par point de l’assertion soutenue. Nous
ne souhaitons qu’esquisser quelques axes de recherche qui découle de l’œuvre ici
présentée.

Toutefois, nous retiendrons pour leur généralité, le «deuxième présupposé» qui
«se rapporte au concept de réalité», et l’alinéa a) du «troisième présupposé»,
lié au «concept d’histoire», et qui entend signifier plus particulièrement que
«seuls les phénomènes présentant une analogie dans notre perception actuelle de
la réalité peuvent prétendre à l’historicité»[65].

Dans le premier cas, si la réalité «est un donné qui, dans sa totalité, est
accessible au sujet connaissant et qui, en matière d’histoire permet de
reconstruire le passé par analogie», constatons la carence logique qu’il y
aurait à accorder d’un côté une position suréminente à la raison tout en
assignant «au sujet connaissant» une fonction que cette même raison ne peut lui
transmettre, ainsi que nous l’avons vu au début de cet article. Non seulement le
rôle  de la raison tel qu’il est retenu par la méthode est loin d’être adéquat
pour la connaissance du passé, mais aussi la raison fragmente la réalité qu’elle
prétend caractériser. Il est dès lors contradictoire de considérer «la raison en
tant qu’instance autonome et normative»[66], car si elle est autonome on ne peut
lui attribuer une capacité à «normer», et si elle possède cette faculté c’est
par son intégration au sein du processus cognitif que l’Intellect lui délègue.

Dans le second cas, ramener l’historicité à des critères actuels, revient d’une
part à dévaluer implicitement le passé, d’autre part à lui surimposer une visée
évolutionniste qui n’est pas vierge d’un jugement sur ce même passé, en le
vidant ainsi de sa dimension mythique et intemporelle par son immersion dans le
symbole. L’historicisme évacue par définition toute transcendance, et il n’est
alors guère surprenant qu’on en conclue stupidement et hâtivement que «le texte 
biblique perd son statut de texte sacré  ».

Enfin, il y a une autre caractéristique à ces derniers «présupposés», c’est que
le regard posé ressemble à s’y méprendre à celui des colons protestants
considérant comme des «sauvages» ou des «arriérés» les Indiens d’Amérique du
Nord. Ceci est d’ailleurs corroboré par l’histoire même de la méthode. Je
qualifierais volontiers le volet «historique» de cette méthode de «péplum» en
tant qu’imitation de reconstitution comme le sont ces films italiens qui portent
cette épithète, et qui n’ont de rigueur historique que par rapport à l’argent
qu’on veut bien injecter dans «l’importance» des décors. Il y a toujours quelque
part un vieux fonds de colonialisme qui transparaît. On peut se demander si pour
bien des personnes la vogue actuelle pour les peuples amérindiens, – à bien des
égards positives -, est autre chose qu’une compensation aux désagréments de la
vie moderne et l’éventuelle prise de conscience de la dimension
«totalitaire»[67] que ce regard rétrospectif impose sur les communautés
traditionnelles ?

Parler de vérité en réduisant celle-ci à l’horizontalité immanente de
l’histoire, c’est ruiner le Mystère de l’Incarnation du Dieu «qui s’est fait
homme». Lorsque Frithjof Schuon évoque la relation entre Vérité et Présence dans
le Christianisme et qu’il énonce que «l’élément Présence prime l’élément Vérité,
(…) [mais que c’est] en ce sens que la Vérité s’identifie au phénomène du Christ
; la Vérité chrétienne, c’est l’idée que le Christ est Dieu»[68], il est alors
incontestable que la négation des prérogatives traditionnellement et surtout
logiquement  attribuée à la Divinité du Christ, entre autre à travers une
historicisation déplacée de celle-ci, engendre fatalement  une perte de la foi,
et un éventuel sentiment de révolte devant ce qui masque, rend opaque mon
appartenance dans l’espérance, fruit de mon amour du Christ. «Ce qui garantit la
fonction spirituelle du récit sacré, c’est le symbolisme d’une part et le
caractère traditionnel d’autre part : dans le cas des récits du Mahâyana, c’est
le Bouddha qui se porte garant de la réalité et partant de l’efficacité du
récit, c’est-à-dire qu’il garantit, sinon absolument l’historicité des faits, du
moins certainement leur vérité spirituelle, qui prime l’historicité, et leur
vertu salvatrice, qui est la raison d’être du mythe, comme l’indique Frithjof
Schuon, qui ajoute dans une note saillante à ce sujet : «S’il n’en était pas
ainsi, on ne s’expliquerait pas que les quatre Évangiles puissent se contredire
sur certains détails et que les anciens Chrétiens n’en aient pas été gênés, ni
que les visions des saints puissent diverger. Ce même principe de primauté du
réel spirituel explique à plus forte raison les différences «mythiques» des
religions»[69].  En d’autres termes,  la soi disant «méthode historico-critique»
détruit la possibilité pour le symbole de transmettre efficacement les Énergies
d’En haut. On ne saurait mieux   subvertir le christianisme !

Il découle de ces brèves observations qu’aucun des «présupposés» envisagés ne se
concilie avec les considérations «opératives» que le Dr Ladislas Robert a retenu
sur la nature de la sagesse. La méthode «historico-critique» est un
réductionnisme et un négationnisme à tous les niveaux de la réalité et
appartient soit au magasin des farces et attrapes ou d’après la terminologie
adoptée à ce «rationalisme apparent» et à cet «abus du concret» ou
« concrétisme » dont Frithjof Schuon démontre l’inanité.

 3. Le nouveau regard de Méduse, pour ne pas conclure

On sait que Méduse est dans la religion grecque l’une des trois Gorgones, dont
le regard pétrifiait celui qui le croisait. Cette pétrification n’est-elle pas
pleinement incarnée par le rationalisme qui arrête la vision du réel sur une
portion de celui-ci, figeant ainsi  le mouvement dans une subjectivité détachée
de toute corrélation transcendantale objective ?

Le scientisme n’est  que la rupture individualiste et passionnelle opérée par la
raison  de son intégration au fonctionnement équilibré de l’Intellect ; elle se
manifeste avec d’autant plus d’intensité sous l’horizon du Kali Yuga, que la
dimension d’autorité au sein de la Vérité s’y trouve voilée ou parodiée. L’une
des facettes du «nouveau regard de Méduse», est l’obnubilation ou l’effet
d’hypnose qu’engendre un découpage artificiel de la réalité, celui-ci entrant
dans le processus soi-disant descriptif de la méthode scientifique, mais opérant
un choix sélectif, qui même démultiplié demeure en retrait des visées
épistémologiques dont elle prétend délimiter le signe  à défaut de se saisir du
sens.

Cette hypnose est particulièrement manifeste dans la technique relative à tel ou
tel secteur de recherche. Ainsi chaque science à sa terminologie distinctive qui
la met à priori  à l’abri de la critique des opportuns. En réalité, la
pédanterie et l’infatuation du masque lexico-technique dissimule le plus souvent
une excessive pauvreté dans l’armature des postulats pour ne rien dire de
l’absence de tout principe. Ainsi de la théorie de l’évolution qui n’est plus
que ruine et dogme laïcisé dont le catéchisme positiviste est ressassé comme une
vieille antienne.

Nous avons intitulé notre article «Paradoxes et Masques de la Misosophie». Les
masques sont ceux que l’homme appose en tentant de séduire Mâyâ  par des
artifices techniciens. Les paradoxes qui en sont l’illustration «chaotique»,
reviennent à se prétendre orgueilleusement «rationnel» et à l’abri de l’erreur
parce qu’on use et abuse de tel ou tel langage détaché de son objectivité
divine. L’épistémologie des sciences par sa dissémination phénoménale est
dépourvue de toute objectivité autre «qu’apparente»[70]. La psychologie moderne
renvoie constamment à une intersubjectivité où le sujet n’est pas compris dans
sa consistance unitive et dans la transparence plénière de son interdépendance
ontologique. L’équilibre de toute sagesse est en «réalité» en quelque sorte
prédéterminé par l’intégration distinctive du «sujet» et de l’objet à tous les
niveaux des états de l’être. Frithjof Schuon a parfaitement circonscrit ce
problème lorsqu’il précise : «C’est dire que la doctrine de la Subjectivité
suprême exige une prédisposition providentielle à la recevoir ; nous disons une
«prédisposition» plutôt qu’une «capacité», car la principale cause d’une
incompréhension métaphysique est moins une incapacité intellectuelle foncière
qu’un attachement passionnel à des concepts conformes à l’individualisme naturel
de l’homme. D’une part, le dépassement de cet individualisme prédispose à ladite
compréhension ; d’autre part, la métaphysique totale contribue à ce dépassement
; toute réalisation spirituelle a deux pôles ou deux points de départ, l’un se
situant dans notre pensée, et l’autre dans notre être»[71].

Le processus de réification que l’on constate au sein du monde moderne et dont
nous avons tenté d’esquisser dans notre présentation du rationalisme quelques
effets singulièrement négatifs, n’est-il pas le «moteur» de l’involution des
civilisations traditionnelles ou des communautés humaines à fondement
métaphysique ? Ce développement tout en poursuivant ses effets de laminage et de
corrosion, déploie maintenant avec les nouvelles technologies («Internet»,
«Walkman», «Natel», «réalité virtuelle», etc.) un autre volet de son emprise :
la parodie par réplication, la copie se substituant à l’original et favorisant
en «douceur» la séparation de l’être et de son humus qu’est ce «est» en lui.
L’individu perd le sens de l’altérité  sans qu’il puisse offrir de véritable
résistance tant le procédé respecte «apparemment» les velléités de son vouloir
amoindri[72]. Celui-ci s’apparente pleinement aux charmes délétères et fascinant
du serpent biblique ou de la Mâyâ  hindoue.

Il peut être plus étrange de découvrir la présence de ce «processus» chez des
personnes qui manifestent habituellement et à priori une forme de «connaissance
métaphysique». A cet égard il semblerait que l’on puisse être musulman
«guénonien» et astrophysicien de surcroît, et oublier certaine vérité
principielle   ou doctrinale ? Ainsi, dans un récent volume de la revue Question
de, consacré à l’exploration de la relation entre sciences et conscience,
monsieur Abd-Al-Haqq Guiderdoni écrit que «les lois de l’astrophysique, de la
biologie, de la paléontologie sont [sic] universelles[73]» Ce type d’erreurs est
typique du substrat que véhicule le monde moderne.

Le doute qui a été semé dans la tête du petit Syméon dans notre anecdote relatée
en exergue, est comme un arrêt, une brisure dans l’âme. D’un autre côté,
l’expérience de la sagesse ou de la Sophia perennis  comme la désigne Frithjof
Schuon laisse poindre cette grâce que Dieu a déposée dans l’âme de l’homme, qui
fait de lui un «trait d’union»  ou pontifex  entre le Ciel et la Terre. L’enfant
et l’adulte se tiennent alors par la main. Nous dirons que l’une des dimensions
pédagogiques exceptionnelles, – et peut être un mystère de sa fonction
eschatologique  -,  de l’œuvre de Frithjof Schuon est de ramener et d’inscrire
l’Etre, pour celui qui l’oublie, par delà le passage incessant du discontinu et
de son pouvoir corrosif, au cœur du chemin continu de la vie perçue dans la
plénitude de son universalité vraie. Laissons les cordes du «luth métaphysique»
nous prodiguer encore quelques vibrations de pure intériorité   : «Nous avons vu
que le monde, la vie, l’existence humaine, se présente pratiquement comme une
hiérarchie complexe de certitudes ou d’incertitudes. Si l’on nous demandait ce
que l’homme, placé dans ce monde d’énigmes et de flottements qui est le sien,
doit faire avant tout, nous répondrions qu’il y a là quatre choses à faire ou
quatre joyaux à ne jamais négliger : premièrement, accepter la vérité ;
deuxièmement, en avoir toujours conscience ; troisièmement, éviter ce qui est
contraire à la vérité ; et quatrièmement, accomplir ce qui leur est conforme.
Toute religion et toute sagesse se laisse réduire, extrinsèquement et
humainement, à ces quatre lois : dans toute tradition, nous voyons en effet une
vérité immuable, puis une loi d’«attachement au Réel», de «souvenir» ou
d’«amour» de Dieu, et ensuite des prohibitions et des injonctions ; et nous
avons là un réseau de certitudes élémentaires qui encadre et résout
l’incertitude humaine, et qui réduit ainsi tout le problème de l’existence
terrestre à une géométrie simple et primordiale»[74].

Merci Frithjof Schuon.

Copyright, Olivier DARD, 30, Chemin François-Lehmann, 1218 Le Grand-Saconnex/
Genève, Suisse.

[1]Dans Le Soufisme, voile et quintessence  de Frithjof Schuon, nous lisons
cette excellente explication de la misosophie : «Un auteur allemand (H. Türck) a
proposé le terme de “misosophe” – “ennemi de la sagesse” – pour ceux des
penseurs qui sapent les fondements mêmes et de la vérité et de l’intelligence.
Nous spécifierons que la misosophie – sans parler de quelques précédents
antiques – commence grosso modo par le “criticisme” pour aboutir aux
subjectivismes, relativismes, existentialismes, dynamismes, psychologismes et
biologismes de tout genre. Quant au terme ancien de “misologie”, il désigne
surtout la haine fidéiste contre l’usage de la raison», note 2/, page 98. C’est
bien sûr dans le premier sens usité par Frithjof Schuon que nous l’entendons.

[2]Voir, Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, Moine du Mont-Athos : Vie,
Doctrine, Ecrits, page 14, Éditions Présence, Paris, 1996.

[3]Voir, Livret d’introduction, page 1, accompagnant le coffret musical des deux
«C.D.» de l’ensemble Al-Kindî, sous la direction du Shaykh Hamza Shakkûr,
Éditions Le Chant du Monde/ Harmonia mundi, CMT 574 1123.24, 1999, Paris.

[4]«La réponse que la raison  nous donne – car elle n’est que réponse – dépend
étroitement de la question qu’on lui pose. Elle est conditionnée par elle dans
son unité, sa mesure, son échelle. Toute réponse est dans un certain sens
contenue dans la question par les postulats qu’elle suppose», écrit Luc Benoist,
page 14, de l’Ésotérisme, Que Sais-je ?   No 1031, Éditions P.U.F., Paris, 1980.

[5]Voir la préface à De l’Unité transcendante des religions, page 9, Éditions du
Seuil, Paris, 1979. Un autre aspect de cette distinction capitale et en aucun
cas simplement  «formelle», tient à l’usage que font de nombreux auteurs actuels
du terme “philosophie” dans une acception plus ou moins rigoureuse de “sagesse”,
alors qu’ils leurs seraient certainement utiles de méditer la manière dont
Schuon procède à ces délimitations ;  car on perçoit chez eux encore trop
souvent des confusions entre le psychisme et le spirituel qu’une terminologie
fautive et inadéquate entretient. Ainsi, le théologien Jean-Yves Leloup,
s’autorise-t-il à parler de (sic) «l’inconscient»  du Prophète de l’Islam, qui
serait «submergé par l’inconscient collectif (…)», ce qui est outrepasser
grandement les limites du plausible et du recevable. Un peu plus loin dans le
même ouvrage, il écrit que pour Angélus Silésius, «Dieu est une création de
l’homme» ! Ces passages se trouvent respectivement page 70, et 84, de Sectes,
Églises, religions : de l’égarement au discernement, Éditions Le Fennec, Paris,
1996. On découvre des confusions tout aussi aberrantes chez le peu sérieux
“Swami” Prajnanpad, avec l’introduction d’un jargon emprunté à une psychanalyse
de bazar, dont le terme de “lying” – qui ne signifie que reviviscence – est un
exemple. Cette attitude indique une forme d’orgueil déplacé, en ce que, ne
parvenant pas à comprendre la métaphysique, – et donc à en transmettre
traditionnellement  le contenu – ici celle du Védânta, on estime «normal» et
«scientifique» de lui substituer ou de lui adjoindre les inepties de cette
pseudo “science” que René Guénon qualifiait de  «sacrement du diable»…

[6]In, Forme et substance dans les religions, page 152, Éditions Dervy-Livres,
Paris, 1975.

[7]Au sens de l’ambiguïté de Mâyâ. Voir l’importante étude de Patrick Laude,
Humour, rire et sainte folie : à propos de l’ambiguïté de Mâyâ et du principe
démiurgique, in, Connaissance des Religions, No 60, Cosmologie et Images du
Monde, pages 10-47, Paris, décembre 1999-avril 2000.

[8]Logique et Transcendance  a été publié à Paris en 1970 aux Éditions
Traditionnelles. Nous n’oublierons jamais «l’ébranlement intérieur» immense que
fût cet ouvrage, et singulièrement ces premiers chapitres, alors que nous avions
consacré plusieurs années à l’étude de l’école dite du positivisme logique   (de
R. Carnap à G. Ryle et consorts) et de l’analyse des propriétés du langage,
ainsi qu’à une réflexion sur les travaux du philosophe allemand Martin Heidegger
! Les quatre chapitres cités occupent les pages 15 à 86 de l’ouvrage. En ce qui
regarde Heidegger, qui n’est pas un métaphysicien, et a passablement obscurci
des questions difficiles, le Pr. Jean Borella fait cette intéressante remarque :
«Heidegger voit, dans l’identification du réel véritable aux Idées, l’acte de
naissance de la “métaphysique”, donc de l’oubli de l’être au profit de ce qui 
est. Mais Platon a lui-même récusé cette conception, que Jean-François Mattéi
nomme celle de l’«Idée fixe», et dont il montre, dans une étude remarquée,
qu’elle n’est pas celle de Platon (L’Étranger et le simulacre. Essai sur la
fondation de l’ontologie platonicienne, P.U.F., Paris, 1983, page 276) (…)»,
Note 19/ page 184, in, Penser l’analogie, Éditions Ad Solem, Genève, 2000.

[9]Du fait de l’absence de concomitance entre ces concepts en forme de
«postulats» et la finalité que ceux-ci induisent dans les différents ordres de
réalité.

[10]«Pour le kantisme, dont Maritain a bien vu qu’il exprime l’un des aspects
fondamentaux de la science moderne, (…)», écrit Jean Piaget, in, Sagesse et
illusions de la philosophie, page 232, collection Quadrige No 139, Éditions
P.U.F., Paris, [1965], 1992. Que la «connaissance» [apparaisse] «comme une
interaction entre les opérations structurantes du sujet et les propriétés de
l’objet», comme nous le dit Piaget, page 119, op. cit., contient une part de
vérité à son niveau, mais n’autorise pas à réduire l’intelligibilité à ce que
Piaget appelle l’isomorphisme, c’est-à-dire la correspondance des structures
entre «les systèmes matériels d’ordre causal et les systèmes implicatifs de
signification».  Piaget indique ici qu’il n’accepte ni l’interactionnisme, ni la
réduction simplement physicaliste. Néanmoins, ces «systèmes implicatifs», se
situent de toute façon en retrait  par rapport au «contenu» de l’intelligibilité
et témoignent à contrario   – au sens subjectif et réducteur – de ce que Piaget
nomme le «constructivisme». L’attitude apparente de Piaget à l’égard de la
métaphysique paraît l’indiquer.  [Voir, L’explication en psychologie et le
parallélisme en psychophysiologie, in, Traité de psychologie expérimentale, Vol.
III, Éditions P.U.F., Paris, 1966. Par ailleurs, indépendamment de la notion
«d’émergence», laquelle ne peut être niée, tout processus de structuration à des
causes dont la complétude n’est pas non plus réductible aux présupposés de
celui-ci. Cette complétude pouvant s’entendre par le développement d’une
technique de désidentification, – après avoir quitté les identifications
abusives –  afin qu’émerge un centre de pure conscience. On peut ainsi
comprendre en quoi bien des approches  qui se prétendent rationalistes évacuent
la possibilité («rationnelle») même d’accéder à l’objet de leur quête par un
réductionnisme, qui ne s’avoue pas pour ce qu’il est, voir par des raisonnements
tautologiques, comme dans certaines formulations de la théorie évolutionniste.
Pour revenir à Piaget, faut-il rappeler l’avis que le grand logicien hollandais
E.W. Beth exprima lors de la parution en 1949 du Traité de logique   de Piaget ?
Nous sommes à ce propos en plein accord avec le Père J.-M. Bochenski qui
remarque : «Quant à Piaget, personne parmi les logiciens ne le prend au sérieux.
(…) C’était un piètre logicien. Il a commis, et je ne puis m’exprimer autrement,
il a commis une logique formelle. Personne vraiment, au XXe siècle, n’a jamais
fait pareille chose, même les scolastiques les plus ignorants. Personne n’a
érigé un tel monument d’ignorance», in, Entre la logique et la foi, Entretiens
avec Joseph.-M. Bochenski, recueillis par Jan Parys, pages 69-70, Éditions Noir
sur Blanc, Montricher, Suisse, 1990.

[11]In, Logique et Transcendance, op. cit., page 40. Frithjof Schuon est ici
pleinement Védantin. Olivier Lacombe observe au sujet de l’existence du Soi chez
Shankarâchârya : «S’il était besoin d’un moyen de connaissance pour révéler
l’existence du Soi, comment le Soi serait-il le centre et le principe de toute
notre organisation épistémologique ? De toute nécessité c’est lui qui se révèle
lui-même en révélant ses objets : il est attesté par lui-même immédiatement,
translumineusement, existentiellement. Et ceci dans l’expérience de l’instant».
In, L’Absolu selon le Védânta , page 233, Éditions Paul Geuthner, Paris, 1937.
Le discours scientifique procède souvent de cet alternativisme que dénonce
Frithjof Schuon, qui absolutise tel paramètre au détriment de tel autre, en
fonction soit d’un subjectivisme qui ne s’énonce pas pour ce qu’il est, soit 
d’une sorte d’hypertrophie des «faits» qui ne sont pas reporté à leur contexte
réel.  Si ce n’est pas forcément le cas dans la pratique elle-même, c’est du
moins ce qui ressort de l’analyse des nombreuses publications dans de multiples
secteurs des sciences.

Comment expliquer autrement des erreurs aussi graves que celle ayant atteint M.
Robert Wenger, en Suisse, qui décrété «aujourd’hui» parfaitement «sain
d’esprit», a été interné une ample partie de sa vie de façon totalement
arbitraire semble-t-il, et sur la base d’un diagnostique erroné puisque ce
dernier a été favorablement révisé. Cette affaire peu flatteuse pour la médecine
a été dévoilée par M. Hosang Balz, de la «DRS», et adaptée en français sous
forme d’un documentaire de la Télévision suisse romande par M. Éric Burnand. Les
cas d’internement abusifs (et la morgue révélatrice des médecins) – pour de
toutes autre raisons  que celle relevant de la rigueur «scientifique» – de
plusieurs écrivains, Antonin Artaud, Knut Hamsun ou Ezra Pound – sur ce dernier
voir la belle biographie de John Tytell, Ezra Pound le volcan solitaire ,
surtout les pages 350 et suiv., Éditions Seghers, Paris, 1990 –  entre autre,
sont suffisamment connus pour que nous n’y revenions pas. La querelle des
contre-expertises dans de multiples procédures criminelles indique aussi que la
«scientificité» est bien davantage un concept «idéologique» qu’une réalité
empirique.

[12]Sur la question du réductionnisme «neuronal», voir l’article de François
Lurçat, De l’homme neuronal aux neurosciences, in, Commentaire  No 31, automne
1985, pages 882-886, qui montre bien les erreurs et les impasses du succès de
librairie que fût L’homme neuronal  de Jean-Pierre Changeux. Paul Churchland,
parmi bien d’autres chercheurs actuels, lui emboîte le pas dans une version
«actualisée» à peine différente. Il est tout de même révélateur que J.-P.
Changeux, dans un récent dialogue avec le mathématicien Alain Connes, (voir,
Matière à Pensée, Éditions Odile Jacob, Paris, 1989) fasse appel à Platon et
Aristote pour s’extraire de difficultés méthodologiques semble-t-il
insurmontables sans leurs concours ! On lira avec profit, l’article synthétique
de John R. Searle, Deux biologistes et un physicien en quête de l’âme : Crick,
Penrose et Edelman passés au scalpel de la critique philosophique, in, La
Recherche, No 287, mai 1996, pages 62-77. Les travaux du Pr. J.-P. Changeux,
comme ceux d’Edelman, Dennett et d’autres, ont fait l’objet d’une analyse
critique par le Prix Nobel de médecine Sir John C. Eccles, in, Comment la
conscience contrôle le cerveau , Éditions Fayard, Paris, 1997, qui procède selon
une grille interprétative dite des «trois mondes», qui fût élaborée en
collaboration avec le logicien Karl R. Popper. Cette théorie est elle-même
analysée dans la synthèse du Pr. J.-F. Lambert susmentionnée, et aussi dans un
autre article du même auteur : L’absence qui fait signe : les sciences
cognitives et la naturalisation de l’Esprit, pages 9-37 [25]  in, Colloque
l’Esprit et la Nature, 11-12 mai 1996, in, Cahiers du Groupe d’Études
Spirituelles Comparées No 5, Éditions Archè, Milan & Paris, 1997. Voir aussi
l’excellente étude de Giovanni Monastra, De la physique à la biologie : les
nouveaux paradigmes, in, Nouvelle Ecole, Physique, No 43, 1985-86, pages 73-83.

[13]L’un de ceux-ci consiste dans le recours à une «scientificité d’apparence» :
dans la présentation du livre d’Alan Sokal et de Jean Bricmont, intitulé
Impostures intellectuelles, et paru aux Éditions Odile Jacob, Paris, 1997,
Nicolas Journet écrit : «Sokal et Bricmont partent en guerre, au fil de leur
livre, contre ce qu’ils nomment le «relativisme cognitif», qui professe que la
vérité d’une proposition est toujours relative à un individu ou à une
collectivité humaine, en un moment donné de son histoire. Cette vision du monde
imprègne, selon eux, «certains secteurs des sciences humaines et de la
philosophie» contemporaines. Pour ces deux physiciens, il n’y a pas de doute que
ce relativisme est incompatible avec l’idée même de connaissance scientifique».
In, Dossier, Les sciences humaines sont-elles des sciences ? , Les enjeux de
l’affaire Sokal, pages 30-33, Sciences Humaines   No 80, février 1998. Or  les
critiques pleinement fondées de ces deux physiciens contre les détournements
opérés par Jacques Derrida, Michel Serres, Gilles Deleuze, Jacques Lacan, Julia
Kristeva et quelques autres ont produit des «crispations et des fermetures
idéologiques» qui sont autant d’indicateurs du statut disproportionné accordé à
un «rationalisme apparent» et non «réel», selon la formulation de Frithjof
Schuon,  dans l’Occident moderne.

Pour appréhender une autre facette de cette délicate question on consultera
l’ouvrage du Dr Philippe Decourt, Les Vérités indésirables, Vol. 1, Faut-il
réhabiliter Galilée ?, Comment on falsifie l’histoire : le cas Pasteur, Éditions
Archives Internationales Claude Bernard, Paris, 1989. Ce livre très documenté
montre bien que ce qui est déclaré «scientifiquement vrai» encore aujourd’hui
dans des milieux très différents – par exemple la légende de la persécution de
Galilée par l’Église – est loin de correspondre à la réalité des faits. Sur
Galilée et la présentation qui en est faite dans d’innombrables manuels à
prétention (sic) “scientifique”, Arthur Koestler relevait : «La personnalité de
Galilée, telle que la présente la vulgarisation scientifique, est encore plus
éloignée de la vérité que celle du chanoine Koppernighk [orthographe polonaise
de Copernic]». «Galilée n’a pas inventé le télescope. Ni le microscope. Ni le
thermomètre. Ni l’horloge à balancier. Il n’a pas découvert la loi d’inertie ;
(…) il n’a apporté aucune contribution à l’astronomie théorique ; il n’a pas
laissé tomber de poids du haut de la tour de Pise ; et il n’a pas démontré la
vérité du système de Copernic. Il n’a pas été torturé par l’Inquisition, il n’a
point langui dans ses cachots, il n’a pas dit Eppur si muove  ; il n’a pas été
un martyr de la science», in, Les Somnambules : Essai sur l’histoire des
conceptions de l’Univers, page 417, Éditions Le Livre de Poche No 2200, Paris,
1973.  Le Dr Decourt parvient aux même conclusions dans son ouvrage.

[14]In, Les Cahiers Jean Scot Erigène, vol. 3, Connaissance traditionnelle et
connaissance rationnelle, pages 135-222, Éditions Guy Trédaniel, Paris, 1992.
Cette étude d’une certaine ampleur, et d’une grande richesse, mets parfaitement
en évidence les problèmes posés par les développements les plus récents des
sciences cognitives, et des neurosciences, en les confrontant aux acquis des
mathématiques – théorème de K. Gödel, entre autre – et de la mécanique
quantique. Le Pr. J.-F. Lambert enseigne à l’Université de Paris VIII, et est
l’auteur d’un nombre important de travaux en psychophysiologie et en recherche
sur les mécanismes de formation et d’élaboration de la parole. Cette référence
n’indique aucunement que nous soyons en accord sur toutes les conceptions de
l’auteur, ni que celle-ci exclue d’autres démarches !

[15]Ou  «classiques», comme le théorème de K. Gödel, et l’analyse de la notion
«d’indicible» par L. Wittgenstein. De ce dernier, l’auteur cite cet extrait
intéressant : «Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde» (T6.41)… Il
remarque que «contrairement au cognitivisme orthodoxe, Wittgenstein, s’il ne
voit pas de sujet métaphysique dans le monde, l’établit à ses bornes» (page 152,
op. cit.,). Le principal biographe de L. Wittgenstein, Ray Monk, précise
d’ailleurs, contrairement à ce que supposent beaucoup de personnes sur la
relation que celui-ci entretenait avec la religion, que «Wittgenstein continua
de croire fermement que le christianisme est effectivement la seule voie vers le
bonheur». In, Wittgenstein, le devoir de génie, page 129, Éditions Odile Jacobs,
Paris, 1993.

[16]Op. cit., page 151.

[17]Op. cit., page 214.

[18]Op. cit., page 215.

[19]Op. cit., page 216.

[20]Le regretté Pr. Fernand Brunner note : «Et même nous l’ignorons entièrement
[l’essence de l’objet]puisque nous ne savons pas qu’elle relation ce que nous
atteignons de l’objet entretient avec l’objet lui-même. (…) On voit donc que
l’objectivité des sciences modernes n’est pas une objectivité pour l’objet, mais
une objectivité pour nous», in, Science et Réalité, page 21, Éditions
Aubier/Montaigne, Paris, 1954.

[21]Selon la célèbre parole de Maître Eckhart concernant la “prééminence” de
l’Intellect sur la ratio  : «Aliquid est in anima quod est increatum et
increabile ; si tota anima esset talis, esset increata et increabilis, et hoc
est Intellectus». Saint Thomas d’Aquin dit la même chose dans la Somme
Théologique   en I, q, 84, a, 5. Le Prophète Muhammad exprime : «La première
chose créée par Dieu a été l’Intellect». Dans la théologie Orthodoxe, notamment
chez saint Maxime Le Confesseur, l’Intellect s’appelle le “Noûs ”. D’après
Damascius, «l’Intellect intelligible ne sera pas dit Intellect parce qu’il
pense, mais parce qu’il est causant de ce qui pense», in Des premiers Principes,
Apories et résolutions, page 572, Éditions Verdier, Paris, 1987. Enfin, le
passage suivant de la Bhagavad Gîta énonce la même réalité : «La vaste immensité
(le Principe dont est issu l’Intellect) est la matrice dans laquelle je dépose
ma semence. D’elle naît le premier élément, l’Intellect manifesté (…)» (ref.,
14, 3,).

[22]In, Logique et Transcendance, [Évidence et Mystère ], op. cit., page 102.

[23]«L’être comme tel, c’est-à-dire en tant que mode d’objectivation, envisage
nécessairement la «Conscience» une – dont en réalité il n’est point distinct –
comme «externe» ;», écrit Frithjof Schuon, in, Perspectives spirituelles et
faits humains, page 145, Éditions Les Cahiers du Sud, Paris, 1953.

[24]Qu’il faut distinguer de la simple intuition sensible. «Nous avons dit que
dans la connaissance rationnelle ou mentale, les réalités transcendantes saisies
par la pensée sont séparées du sujet pensant ; or dans la connaissance
proprement intellectuelle ou cardiaque, les réalités principielles saisies par
le cœur se prolongent elles-mêmes dans l’intellection ; la connaissance
cardiaque est une avec ce qu’elle connaît, elle est comme un rayon ininterrompu
de lumière», écrit Frithjof Schuon, in, L’Ésotérisme comme Principe et comme
Voie, page 17, Éditions Dervy-Livres, Paris, 1978.

[25]Jean Borella, Aperçus sur les doctrines linguistiques de l’Inde [I], page
15, in, Études Traditionnelles, No 479, Paris, 1983. Le Pr. Borella remarque
dans cette belle étude que, «la grammaire hindoue, à l’instar de la géométrie
grecque, dès le Vème siècle avant J.-C., atteint, dans l’analyse des formes du
langage, un degré de perfection technique qui ne sera jamais dépassé, de l’aveu
même des modernes (…), [et que] ce cas d’une reconnaissance, par la science
moderne, d’une science traditionnelle, nous paraît unique» (op. cit., page 13).

[26]Titus Burckhardt, La symbolique du miroir dans la mystique islamique, in,
Aperçus sur la connaissance sacrée, page 52, Éditions Archè, Milano & Paris,
1987.

[27]L’Épreuve du Sens : Science et Incomplétude, op. cit., page 217.

[28]In, Regards sur les mondes anciens, page 121, Éditions Traditionnelles,
Paris, 1980.

[29]Dr Ladislas Robert, Vieillissement du cerveau et démence, pages 115-116,
Collection Nouvelle Bibliothèque Scientifique, Éditions Flammarion, Paris, 1998.
L’auteur a reçu pour ses découvertes le Prix Novartis en 1997. Plusieurs études
scientifiques récentes ont montré que tant la prière que la méditation, à
l’instar du Yoga, ont toutes deux des conséquences «physiques» extrêmement
positives sur le fonctionnement général du métabolisme humain. Voir à ce sujet,
le Recueil des conférences du Congrès de Lyon : L’Approche spirituelle en
psychiatrie, méditation et psychothérapie, Lyon, 18-19 mars 1994, Éditions
Spiramed, Suresnes, 1994.

[30]Le Shaykh Ahmad al-‘Alawî, observait : «La foi est nécessaire pour les
religions, mais elle cesse de l’être pour ceux qui vont plus loin et parviennent
à se réaliser en Dieu. Alors, on ne croit plus, on voit. Il n’est plus besoin de
croire quand on voit la Vérité», in, Martin Lings, Un saint soufi du XXème
siècle : le cheikh Ahmad al-‘Alawî, page 37, Collection de poche Points-Sagesses
No 38, Éditions Seuil, Paris, 1990. Victor Goldschmidt remarque de son côté,
«(…) que la notas, (la nouveauté) au moyen âge et jusqu’à Bossuet, est réputée
signe d’erreur, la vérité ne pouvant s’établir que sur le fondement de la
tradition. En dépit de tous les arguments qu’on peut invoquer in utramque
partem, il n’est pas sûr que nous ayons gagné au change», note 3/ page 193, in,
Platonisme et pensée contemporaine, Éditions Vrin, Paris, 1990.

[31]Frithjof Schuon remarque que : «Les penseurs rationalistes se refusent en
général à admettre une vérité qui présente des aspects contradictoires et qui se
tient, apparemment insaisissable, entre deux énonciations extrinsèques et
négatives. Or, il est des réalités qu’on ne saurait formuler autrement», in,
Perspectives spirituelles et faits humains, page 134, op. cit.

[32]Dans une note de Perspectives spirituelles et faits humains, Frithjof Schuon
rappelle  ce mode de fonctionnement de la perception visuelle humaine : «(…) En
d’autres termes, si on voyait les arbres du Paradis, l’esprit doué d’une vision
appropriée les accepterait comme «normaux», exactement comme le mental accepte
les arbres de la terre. Il est instructif, dans cet ordre d’idées, de noter que
la rétine de l’oeil ne retient que des images renversées, et que c’est l’esprit
qui rétablit le rapport normal et objectif». (op. cit., page 133, Note 1/).

Sur le principe de complémentarité Frithjof Schuon relève : «(…) C’est ce que ne
saurait saisir le point de vue exotérique, incapable qu’il est, d’abord
d’admettre des rapports différents, et ensuite de comprendre la simultanéité de
rapports antinomiques. Il n’admettra donc qu’un seul rapport, le plus apparent
et le plus opportun au point de vue humain». (in, Christianisme/Islam : Visions
d’oecuménisme ésotérique, page 173, Éditions Archè, Milan & Paris, 1981). Ce
point de vue «exotérique» est très exactement celui du néo-kantisme et du
scientisme que nous critiquons ici…

[33]In, La philosophie du Tao, page 26, Éditions Dangles, Paris, 1993. L’auteur
cite René Guénon, – que bien des soi-disant «scientifiques» devraient
sérieusement étudier avant d’écrire des bêtises à l’instar de celles du
physicien Stephen Hawking, que son infirmité ne saurait excuser – : «Comme René
Guénon l’a maintes fois répété, la dualité cartésienne  [et non point religieuse
comme d’aucun le répète, n.d.a.] du corps et de l’esprit qui s’est en quelque
sorte imposée à toute la pensée occidentale moderne, ne saurait en aucune façon
définir la constitution d’un être vivant, sans compter qu’elle a exercé [et
exerce toujours ! n.d.a.] une influence des plus néfastes». (page 85, op.
cit.,).

[34]Voir le chapitre Le Symbolisme du sablier, pages 190 et suiv., in, Logique
Transcendance, op. cit., ainsi que Les cinq Présences divines, pages 53 et
suiv., in, Forme et substance dans les Religions, Éditions Dervy-Livres, Paris,
1975. Toutes les erreurs rencontrées dans des ouvrages de vulgarisation
scientifique, ou sous un angle à priori  opposé, dans de très nombreuses
publications du type «New Age» où l’on traite des anges, des «énergies», des
fluides et plus généralement où l’on transpose arbitrairement sur le plan
spirituel des «éléments matériels» procèdent d’une ignorance de la Doctrine
traditionnelle des degrés de la réalité. Un exemple parmi d’autres de ces
erreurs a été publié dans le long article, apparemment «séduisant» pour un
public non averti, de Ken Wilber, Une théorie intégrale de la conscience, qui
s’exprime ainsi : «Quant à moi, j’ai toujours trouvé que la conclusion de
Teilhard de Chardin était la plus sensée : «Réfractée en arrière dans
l’Évolution, la Conscience s’étale qualitativement en un spectre de nuances
variables dont les termes inférieurs se perdent dans la nuit». Voilà ce qu’est
le quadrant supérieur gauche, et il représente l’intérieur des holons
individuels». Traduit de l’américain par Marie-Andrée Dionne pour la revue
Troisième Millénaire, No 45, 1997, pages 49-85, le passage cité se trouve page
55. L’original est paru  dans The Journal of Consciousness Studies, Vol. 4, No
1, février 1997, pages 71-92. De façon identique, nous voyons la métaphysique
abusivement ramenée au matérialisme scientifique dans ce propos de Douglas
Harding qui écrit que «la spiritualité qui nie les découvertes universellement
admises de la science moderne n’est pas de la spiritualité», in Troisième
Millénaire  No 55, 3ème Trimestre 2000, page 39. Toutes ces concessions à un
scientisme aberrant et totalitaire, qui émane de milieux «spiritualistes» ne
manque pas d’être assez inquiétante par l’influence exercée.

[35]In, Comprendre l’Islam, page 170, Collection de poche Points-Sagesse No 7,
Éditions du Seuil, Paris, 1976.

[36]Frithjof Schuon écrit : «ce n’est pas en fonction de la sottise que nous
connaissons la sottise, mais en fonction de l’intelligence qui permet de
constater cette privation», page 31, in, Logique et Transcendance, op. cit.

[37]In, Jean-François Malherbe, Le Langage théologique à l’âge de la science,
pages 23-24, Éditions du Cerf, Paris, 1985, cité par J.-F. Lambert, page 143,
op. cit. Un exemple probant de cette incapacité à percevoir la vanité d’une
application sans discernement de la méthodologie universitaire ou de cette
volonté d’occulter les prémices de sa propre démarche nous est donné par
l’article pédant et faussement “informé” de Jean-François Mayer, Doctrines de la
race et théories du complot dans les courants ésotériques , où l’auteur
s’autorise un jugement péremptoire et lapidaire à l’égard de Castes et Races  de
Frithjof Schuon, estimant que cet essai peut (sic) «faire sourire»… In, Tangram
, Bulletin der Eidgenössischen Kommission gegen Rassismus, No 6, mars 1999,
pages [16] 13-19. Si nous mentionnons cet article, cela tient d’une part à
l’auteur qui passe pour un “spécialiste” des nouveaux courants religieux, et
d’autre part à la publication, qui émane d’une Commission fédérale. La médiocre
qualité – c’est un euphémisme ! – de celle-ci montre comment la Confédération
dilapide les deniers publics. Monsieur Mayer aurait-il oublié, pour des raisons
plus directement «avantageuses», les valeurs qu’il soutenait en mai 1986 dans
une brochure intitulée Le Défi vert  ? Ainsi : «Or, n’est-ce pas bel et bien à
un «renversement des valeurs» que nous assistons ? Renversement qui amène nos
sociétés à mettre au sommet ce qui devrait ne servir que de fondements matériels
et à se laisser séduire par des solutions et orientations dangereuses». (op.
cit., page 12, Éditions Les Trois Nornes, Fribourg, Suisse).

[38]Dans un colloque qui s’est déroulé à Versailles le 11 novembre 1984, le
sociologue et politologue Julien Freund a fait remarquer que l’on ne saurait
écarter la notion de hiérarchie, même dans le cadre de l’égalitarisme moderne :
«L’égalitarisme a paradoxalement pour base une hiérarchie, du fait qu’il accorde
le rang de valeur suprême ou du moins supérieure à l’égalité. Autrement dit,
l’égalité elle-même n’a de valeur que par la place qu’on lui assigne dans un
système hiérarchique de valeurs», in, Le pluralisme des valeurs, page 5, Actes
du XVIIIème Colloque national de l’association  «GRECE», Paris, 1984.

[39]Op. cit., pages 201-206, [201] Éditions Dervy-Livres, Paris, 1977.

[40]Op. cit., page 203.

[41]In, Logique et Transcendance, page 220, op. cit.

[42]La synthèse à la fois scientifique et historique la plus accessible, récente
et précise sur le Linceul est certainement celle d’André Marion et Anne-Laure
Courage, Nouvelles découvertes sur le Suaire de Turin, Éditions Albin Michel,
Paris, 1997. Le professeur Marion, est physicien à l’Institut d’optique d’Orsay
et spécialiste en matière de traitement numérique des images.

[43]Voir, L’énigme du Linceul : la prophétie de l’an 2000, page 243, Éditions
Fayard, Paris, 1998. Contrairement à ce que pourrait rapidement laisser supposer
(à tord) le titre de ce livre, il s’agit d’un bon ouvrage sur le sujet, qui fait
suite à une réflexion en profondeur dont on trouvera la remarquable et
pertinente formulation dans : a) La perversion mathématique : l’oeil du pouvoir,
Éditions du Rocher, Monaco, 1985 ; b) La tête ou la parole coupée, Éditions
O.E.I.L., Paris, 1991 ; c) La science à l’épreuve du Linceul : la crise
épistémologique, Éditions F.-X. de Guibert, Paris, 2ème édition, 1996.

[44]L’Énigme du Linceul, op. cit., pages 225-226.

[45]In, Logique et Transcendance, op. cit., page 85.

[46]Voir Le Radiocarbone face au Linceul  de Turin : journal d’une recherche,
Éditions François-Xavier de Guibert, Paris, 1999. Agrégée de l’Enseignement
Supérieur, Madame Gastuche procède à un examen minutieux de la méthode mise au
point par Willard F. Libby, et ne s’en tient aucunement au seul cas du Saint
Suaire. L’ouvrage est technique et touffus et requiert des compétences en
analyse statistique. A l’inverse, un Henri Broch, auteur de divers ouvrages très
controversés sur l’irrationnel, par son adhésion sans nuance aux thèses
extrémistes de l’Union Rationaliste, et à plusieurs interventions médiatiques
parfois franchement délirantes, témoigne de l’impéritie et de la bêtise de la
science lorsqu’elle s’érige en dogmatique.

[47]Communication privée de Madame van Oosterwick-Gastuche, que je remercie au
passage. La lettre est datée de Paris du 29 février 2000, sur papier à l’en-tête
de l’Institut de France.

[48]Voir notre étude, Frithjof Schuon, Témoin de la transparence métaphysique du
monde, in, Connaissance des Religions, pages 257-278, hors-série sur Frithjof
Schuon, octobre 1999, en co-Editions avec Le Courrier du Livre, Paris.

[49]La meilleure réfutation du confusionnisme jungien du psychique et du
spirituel, à travers la doctrine de l’archétype, selon une perspective
authentiquement Traditionnelle et Métaphysique a été produite par Titus
Burckhardt, in, Science moderne et sagesse traditionnelle, chapitre IV,
Psychologie moderne et sagesse traditionnelle, pages 87-127, Éditions Archè,
Milan & Paris, 1986. L’ouvrage, exceptionnel contient également une
analyse-critique définitive du «mythe» moderne de l’évolutionnisme, chap., III,
pages 61-87.

[50]«Il ne s’agit pas, bien entendu, de l’hérésie émanationniste, qui n’a rien
de métaphysique et qui rabaisse le Principe au niveau de la manifestation, ou la
Substance au niveau des accidents» (Note 1/, page 80, de Frithjof Schuon, dans
le texte cité).

[51]«Car Dieu ne se manifeste directement que dans un support qui par définition
marque l’Absolu dans la relativité et qui, de ce fait, est «relativement absolu»
; cette «relative absoluité» est la raison suffisante de la possibilité homo
sapiens. L’homme pourrait disparaître, si Dieu le voulait, mais il ne saurait
tendre vers une autre espèce ; les idées platoniciennes sont des possibilités
précises, et non des brouillards ; chaque possible est ce qu’il est et ce qu’il
doit être» (Note 2/, page 80, de Frithjof Schuon, dans le texte cité).

[52]In, Logique et Transcendance, pages 79-80, op. cit.

[53]«Il faut préciser ici ce qu’il faut entendre par «forme» et «essence» : la
forme est une essence coagulée, c’est-à-dire que le rapport est à peu près celui
de la glace à l’eau ; le monde formel – états matériel et animique – possède
donc la propriété de «congeler» des substances spirituelles, à les
individualiser et partant à les séparer plus ou moins foncièrement les unes des
autres». In, Frithjof Schuon, Les cinq Présences divines, in, Forme et substance
dans les religions, page 66, Éditions Dervy-Livres, Paris, 1975.

[54]Cette théorie dite des «équilibres ponctués ou intermittents», a été
élaborée à partir des années 1970 par Stephen Jay Gould et Niles Eldredge. Pour
une critique de cette théorie et une vue d’ensemble des problèmes on lira avec
profit l’ouvrage remarquable du Pr. de paléontologie Roberto Fondi, La
Révolution organiciste : entretiens sur les nouveaux courants scientifiques,
préface de Rémy Chauvin, Éditions Livre-Club du Labyrinthe, Paris, 1986. Dans La
vie est belle : les surprises de l’évolution, Éditions Seuil, Paris, 1991, Jay
Gould confesse page 172, s’être «lourdement trompé», commettre un «affront
tacite» envers un collègue dû à «l’ignorance et au manque de réflexion»; ce mea
culpa même s’il est à l’honneur du biologiste, lui donne-t-il pour autant une
garantie pour vaticiner le dogme évolutionniste ?

[55]In, Évolutionnisme ou créationnisme : un acte de foi, page 17, Éditions
Action Chrétienne par la Radio et la Presse/ACRPT, 2022 Bevaix, 1987. L’auteur
est maître-assistant en biologie à l’Université de Dijon. Dans les ouvrages
récents sur la théorie de l’évolution et le darwinisme, écrit par des
scientifiques, outre le livre déjà cité du Pr. Fondi, je recommanderais : Pr.
Michael Denton, l’Évolution a-t-elle un sens ?  Éditions Fayard, Paris, 1997,
Pr. Rémy Chauvin, Le darwinisme ou la fin d’un mythe, Éditions du Rocher, Paris,
1997, l’entretien passionnant avec le Pr. M.-C. van Oosterwyck-Gastuche, La
théorie de l’évolution reste non prouvée, in, Les Cahiers d’EDIFA No 3, mai
1998, et le roboratif petit livre de Daniel Raffard de Brienne, Pour en finir
avec l’évolution , Éditions Perrin & Perrin, Paris, 1999.

[56]In, Évidence et Mystère , in, Logique et Transcendance , pages 97-98, op.
cit.

[57]In, Évolutionnisme ou créationnisme, op. cit., page 24.

[58]Sur cette question et relativement à l’origine de ces citations voir,
d’Ananda K.- Coomaraswamy, Le Temps et l’Eternité, Éditions Dervy-Livres, Paris,
1976.

[59]Pour une présentation générale, synthétique et historique de cette
«méthode», voir l’article des Pr. Pierre Gisel et Jean Zumstein, pages 118-128,
in, l’Encyclopédie du Protestantisme , publiée sous la direction de Pierre
Gisel, Lucie Kaennel et Isabelle Engammare, Éditions du Cerf, Paris, & Labor et
Fidès, Genève, 1995. Ces deux articles revus et corrigés font autorité sur un
plan  universitaire, nous usons donc de ceux-ci comme référence pour la critique
ici formulée. Les pages 118-124, signée par le Pr. Pierre Gisel, concernent
l’histoire et l’origine de la «méthode» en rapport avec la Réforme.  Les pages
124-128 signée par le Pr. Jean Zumstein, développent les assises philosophiques
et la structure épistémologique de la «méthode». Un ami, a qui nous avons soumis
une copie de l’article du Pr. Zumstein, et qui a longuement étudié l’œuvre de
Plotin, ainsi que l’histoire des sciences, n’a pu retenir son hilarité devant un
tel ensemble de pétitions de faux principes et d’élucubrations «dogmatiques»
abstraites. Il n’en demeure pas moins que ceux-ci poursuivent leur patient
travail d’érosion et de destruction de l’authentique Tradition chrétienne, comme
de toute Tradition d’ailleurs. Nous tenons le pari qu’il n’est pas possible de
trouver un seul logicien rigoureux qui avalise entièrement les postulats
controuvés de cet article…

[60]Le Pr. Gisel a au moins le mérite de le reconnaître lorsqu’il remarque :
«Mais la méthode ne le fait pas sans un certain nombre de modalités qui relèvent
de caractéristiques culturellement marquées (notamment par une modernité non
exempte de rationalisme), donnant ainsi indirectement à voir, dans son
déploiement propre, les risques possibles (on appréciera le terme…) de la
position protestante originaire. Certaines des impasses auxquelles elle (sic)
semble parfois être arrivée aujourd’hui et, surtout, certaines nouvelles
interrogations qui lui sont critiquement renvoyées peuvent être, au moins en
partie, lues comme le «retour d’un (re-sic) refoulé» – refoulé par
unilatéralisation critique et dès lors déviation – qu’il faut désormais prendre
en charge», (op. cit., page 118).  Joli tour d’illusionniste pour éviter de
répondre sur le fonds aux critiques, on fait appel à l’inénarrable charlatanerie
de la psychanalyse, afin de faire accroire que le critique en question souffre
de refoulement ! On se souviendra sur ce point de l’excellente note  1/ page 40,
de Frithjof Schuon, sur «le monstrueux orgueil qu’implique» l’attitude de la
psychanalyse, qui prétends gratuitement et frauduleusement attribuer «à des
saints toutes sortes de procédés artificiels» (…) mais en oubliant «(…) avec une
satanique inconséquence d’appliquer ce principe à soi-même et d’expliquer sa
propre position, prétendument objective (…)», in, Regards sur les mondes
anciens,  Éditions Traditionnelles, Paris, 1980.

[61]Logique et Transcendance, op. cit., page 21.

[62]Et si «sa réalité» est moindre ou partielle, c’est justement  – et nous nous
excusons de cette tautologie – parce qu’il n’est pas universel… A propos de ces
“quatre ordres”, on peut appliquer cette remarque de Jean Borella : «Platon,
Aristote, saint Thomas d’Aquin, ont enseigné que toute science requérait des
principes premiers qui ne sont pas eux-mêmes objets de démonstration de cette
science, mais qui sont connus par eux-mêmes : principia non sunt demonstranda
sed per se nota ; Commentaire aux Seconds analytiques, I, 1.5, No 6-7, (…)», in,
Le Mystère du Signe, Histoire et théorie du symbole, page 116, note 11/ Éditions
Maisonneuve & Larose, Paris, 1989.

[63]Dans cette optique Jean Borella relève : «Que fait en effet le nominaliste
sinon de chercher qu’elle est la vraie conception du concept ? Ce qui suppose
qu’il existe bien une telle vérité, donc une essence propre du concept, et que
notre pensée peut la découvrir. Mais c’est précisément ce qui est exclu par le
nominaliste lui-même, puisque le concept s’y réduit au mot et l’activité
pensante au fonctionnement  d’une chaîne de signifiants», pages 163-164, in, Le
Mystère du signe, histoire et théorie du symbole, op. cit. Shankarâchârya
«établit d’abord que la relation éternelle entre le mot et le référent ne
concerne pas le dénoté-individuel et contingent, mais son essence (âkriti  (…)).
Il ne saurait en être autrement, en effet, sinon il faudrait admettre que la
simple prononciation du nom devrait être inséparable de son objet. Ce qui n’est
pas». Cité par Jean Borella, Aperçus sur les doctrines linguistiques de l’Inde 
[II], page 58, in, Études Traditionnelles, No 480, Paris, 1983. Ce qui contredit
la thèse saussurienne controuvée de l’arbitraire du signe… De son côté Alain
Boyer note : «Mais il faut aussi rappeler ce que savait Spinoza, à savoir que
toute idée est affirmative, et par là prétend  être vraie : l’assertion a  est
logiquement équivalente à l’assertion métalinguistique «“a” est vraie» (Tarski).
Dire, comme Nietzsche qu’«il n’y a point de vérité», c’est dire : «il est vrai
que rien n’est vrai», ce qui n’est pas paradoxal, stricto sensu, mais équivalant
à l’affirmation p  : «Toutes les phrases sont fausses», qui ne saurait être
vraie (si p  est vraie, elle est fausse). La «prétention à la vérité» n’est pas
une nouveauté inouïe, mais elle est consubstantielle au langage lui-même, en ce
qu’il manifeste une fonction descriptive, au sens de Bühler et Jakobson», in,
Hiérarchie et Vérité, Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, page 26,
Éditions Grasset, Paris, 1991.

[64]Voir les chapitres IV et VI, pages 76-92, et 112-136, de La Logique de la
découverte scientifique, par Karl R. Popper, préface de Jacques Monod, Éditions
Payot, Paris, 1982. A propos d’une assertion du physicien Werner Heisenberg,
Seyyed Hossein Nasr remarque : «(…) seule la métaphysique peut démontrer qu’elle
est une application d’un principe plus universel. Sans la métaphysique on tombe
à nouveau dans l’erreur en réduisant le plus grand au plus petit, en réduisant
le Verbe à l’intelligibilité mathématique de la forme des objets matériels»,
Note 39, pages 141-142, in, l’Homme face à la nature : la crise spirituelle de
l’homme moderne, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 1978.

[65]Article de Pierre Gisel et Jean Zumstein, op. cit., page 125.

[66]Jean Zumstein, partie 4.1., Les présupposés philosophiques, page 125, op.
cit. Cette soi disant normativité de la raison ne trouve en vérité nulle part où
s’inscrire dans la réalité profonde. Ainsi le Pr. Tobie Nathan  considère fort
judicieusement sur le plan d’une efficacité psychopathologique : « – Prenez le
moindre événement créant du désordre : mettons le fait que malgré toutes nos
tentatives, ma femme ne parvienne pas à tomber enceinte. Nous pourrions, l’un et
l’autre, nous livrer à toute une série d’examens biologiques. Supposons même que
l’on finisse par identifier la cause de la stérilité de notre couple : mon
oligospermie. La question n’est pas résolue pour autant. Dès lors, il nous
faudra expliquer pourquoi cette jeune fille saine et en pleine santé est allée
s’amouracher d’un jeune homme incapable de lui fournir des enfants. Elle ne le
savait pas alors, me répondrez-vous, croyant seulement faire une remarque de
simple bon sens. Sans doute (…) ! Mais une force obscure ne le savait-elle pas ?
Cette puissance invisible n’est-elle pas aujourd’hui même en train de nous
attirer l’attention sur le fait que, tout comme les grands patriarches, nous
pourrions avoir été choisis comme origine d’une nouvelle lignée ? Qui sait si
cette stérilité, comme celle d’Abraham et de Sarah, n’est pas le signe de notre
destin de fondateurs ?», in, Médecins et sorciers, manifeste pour une
psychopathologie scientifique, page 56, Collection Les Empêcheurs de penser en
rond, Institut d’édition Sanofi-Synthelabo, Paris, 1999. Lorsque le Dr Nathan
insiste sur la notion de «société à univers multiples», contre celle de «société
à univers unique», ne peut on pas y voir une remise en cause sérieuse non
seulement de l’autonomie de la raison, mais aussi de sa non adéquation à
prétendre fournir une base suffisante pour l’interprétation des Écritures qui
par définition implique la présence et l’affleurement de l’Invisible ?

[67]Vu les conséquences que cette optique déformante produit, nous n’hésitons
pas à user de ce terme ! Sur cet aspect de la question, voir l’excellent ouvrage
d’Ananda K.- Coomaraswamy, Suis-je le gardien de mon frère ?   Éditions Pardès,
Puiseaux, 1997. Toute voie initiatique n’est-elle pas conditionnée par la
«coloration» de notre regard sur le monde et par notre attitude ?

[68]In, Vérité et Présence, in, Forme et Substance dans les religions, page 9,
Éditions Dervy-Livres, Paris, 1975.

[69]In, Le Voeu de Dharmakara, in, Logique et Transcendance, page 275, et note
1/ op. cit.,

[70]Dans un récent livre du prix Nobel de physique Steven Weinberg, on trouve un
chapitre intitulé «contre la philosophie», qui pourrait tout aussi bien
s’intituler contre la sagesse ! Selon le proverbe bien connu «qui veut faire
l’ange fait la bête»…

[71]In, Les deux Paradis, in, Forme et Substance dans les religions, pages
232-233, op. cit.,

[72]Le Pr. J.-L. Talmon a bien expliqué comment les meilleures intentions
peuvent se pervertir et se muer dans des formes apparemment démocratique et en
vérité despotique. Voir, Les origines de la démocratie totalitaire, Éditions
Calmann-Lévy, Paris, 1966. L’ouvrage publié dans une collection dirigée par
Raymond Aron est un “classique” sur le sujet. Il mériterait d’être réédité.

[73]In, Dieu laisse-t-il sa place au hasard ? , page 135, revue Question de  No
118, Sciences et conscience, Éditions Albin Michel, Paris, 1999. Et l’auteur
précise, dans un truisme remarquable, que «les produits de ces lois sont
contingents», ce qui ne change rien au caractère erroné de l’affirmation !
Monsieur Guiderdoni est membre du Centre d’Études Métaphysiques de Milan, qui
par le truchement de la revue Vers la Tradition  ne manque pas une occasion de
critiquer sottement l’oeuvre de Frithjof Schuon. Nous pouvons dans cet exemple
percevoir où mène  un «guénonisme» de «stricte observance». Serait-ce que
celui-ci n’aurait point été suffisamment «observé» ? Nous pouvons en effet lire
dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta  : «Les «pseudo métaphysiciens» de
l’Occident ont pour habitude de confondre avec l’Universel des choses qui, en
réalité, appartiennent à l’ordre individuel ; ou plutôt, comme ils ne conçoivent
aucunement l’Universel, ce à quoi ils appliquent abusivement ce nom est
d’ordinaire le général, qui n’est proprement qu’une simple extension de
l’individuel», page 34, Éditions Traditionnelles, Paris, 1984.

[74]In, L’Homme et la certitude, in, Logique et Transcendance, page 293, op.
cit.

 
 
 
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20 septembre 2021


FRITHJOF SCHUON, TÉMOIN DE LA TRANSPARENCE MÉTAPHYSIQUE DU MONDE

 * Non classé



"Celui qui porte la semence pour la mettre en terre ira en pleurant, mais il
reviendra avec un cri de joie quand il rapportera ses gerbes". La Sainte Bible.
(1)

(1) Psaumes, Chant du retour, CXXVI, 5-6.

Olivier DARD

à Jean-Paul LIPPI

« Celui qui porte la semence pour la mettre en terre ira en pleurant, mais il
reviendra avec un cri de joie quand il rapportera ses gerbes ». La Sainte Bible.
(1)

« Nomadiser dans l’étendue infinie du Verbe ». Edmond Jabès. (2)

« Le paradoxe de l’ésotérisme, c’est que d’une part « personne n’allume une
lampe pour la mettre sous le boisseau », et que d’autre part « ne donnez pas aux
chiens ce qui est sacré » ; entre les deux images se situe la « lumière qui
brille dans les ténèbres, mais que les ténèbres n’ont pas comprise ». Il y a là
des fluctuations que nul ne peut empêcher et qui sont la rançon de la
contingence ». Frithjof Schuon. (3)

« Anfang und Ende reichen sich die Hände » (L’origine et la fin se donnent la
main). Proverbe allemand. (4) 

Le 5 mai 1998, dans sa 91 année, le Métaphysicien suisse Frithjof Schuon s’est
éteint à Bloomington aux Etats-Unis, entouré des siens, dans la sérénité.

Trop jeune pour avoir eu l’inestimable privilège de suivre directement
l’Enseignement de celui qui, selon les termes de Jean-Paul Lippi (5). fût
peut-être « le plus grand Témoin de la Tradition (6)  en cette fin du XXe
siècle, l’auteur de ces lignes, chrétien orthodoxe, mais très sensible aux
splendeurs de « l’âme arabe » – que Schuon lui a révélée – souhaiterait
simplement partager ce que fut pour lui la rencontre de cette  oeuvre, et plus
précisément la qualité intérieure d’une parole réellement providentielle pour
l’homme du prochain millénaire.

(1) Psaumes, Chant du retour, CXXVI, 5-6.

(2) Le Livre des ressemblances, p. 24, Gallimard, Paris, [1976], rééd., 1991.


(3) L’Esotérisme comme Principe et comme Voie, p. 19, Dervy, Paris, 1978.


(4) Cité par Frithjof Schuon, La Transfiguration de  l’homme, p. 75, L’Age
d’Homme, Paris, 1995.


(5), Jean-Paul Lippi, auteur de plusieurs études d’esprit Traditionnel, a 
publié une remarquable thèse de doctorat : Julius Evola, Métaphysicien et
penseur politique : essai d’analyse structurale, L’Age d’Homme, Paris, 1998.


(6), Communication personnelle de M. Jean-Paul Lippi.



LIMINAIRE

L'oeuvre de Schuon poursuit, nous semble-t-il, tout en l'approfondissant
considérablement, celle de René Guénon (7)



 (7), Amplitude et distinction qui prend son sens par exemple à travers cette
intéressante remarque de Schuon relative à Louis Massignon : "(...) Il n'y a pas
de doute que Massignon fut un orientaliste ; le moins qu'on puisse dire est
qu'il n'était ni ignorant ni hypocrite. Il était catholique, ce qui était son
droit, mais on ne peut lui reprocher de l'étroitesse d'esprit ; il n'aimait pas
Ibn 'Arabî, mais il y a à cela des circonstances atténuantes, d'autant qu'il y a
des Musulmans qui partagent cette opinion, et d'autant qu'il portait tout son
amour sur El-Hallâj. J'ai regretté parfois d'avoir cessé mes relations avec lui
sous la pression de Guénon, qui avait à son égard de singuliers préjugés.

J'ajouterai qu'il y a avait chez Massignon une envergure humaine, faite
d'intelligence et de noblesse, qui le plaçait bien au-dessus de certains
"métaphysiens" guénoniens, dont l'arrogance aveugle donne la mesure de leur
petitesse". Cet extrait, au-delà de toute question de divergence doctrinale,
permet d'appréhender deux tempéraments face à la perspective  Métaphysique.
L'accent mis sur la Réalisation [spirituelle] ou la Déification en ""milieu"
chrétien, ainsi que sur la dimension humaine aussi bien sous l'angle éthique (le
Bien) qu'"esthétique" (la Beauté, les Arts), constitue une démarcation capitale
entre Schuon et Guénon. Pour notre part nous y voyons un enrichissement mutuel
et non un antagonisme comme l'a d'ailleurs très bien formulé Léo Schaya dans sa
préface à Naissance à l'Esprit.  Ce passage est extrait d'une version inédite de
l'étude publiée sous le titre "Quelques critiques", in, Dossier H : René Guénon,
L'Age d'Homme, Paris, 1984.

L’oeuvre de Schuon poursuit, nous semble-t-il, tout en l’approfondissant
considérablement, celle de René Guénon (7)  – qu’il coudoya durant un quart de
siècle – et occupe une « fonction » parallèle et distincte de la sienne, qui
peut s’interpréter ainsi que l’ont relevé plusieurs commentateurs, comme une
« Remanifestation » éliatique, entre autre par le fait exceptionnel et presque
unique pour le XXe siècle, du rayonnement qu’atteste son universalité.

Cette référence au prophète Seyidna Dhûl-Kifl s’appuie sur le sens de Sa
mission, ainsi explicitée par Léo Schaya :  » « Elie » ne signifie pas seulement
l’ésotérisme et son influence sur l’exotérisme juif, mais encore l’ésotérisme
dans son universalité, qui relie les Mystères de la Torah à ceux de toutes les
traditions authentiques d’Orient et d’Occident. (8) (…) Chaque fois que la
tradition a besoin d’être revivifiée de l’intérieur, précise Schaya, Elie (…) le
Maître invisible (…) descend secrètement en ce bas monde. (…) Son influence se
généralisera, se fera (…) à travers toutes les religions intrinsèquement
orthodoxes. Elie « proclamera la paix » entre elles, c’est-à-dire qu’il révélera
leur unité essentielle et transcendante qui, à l’avènement final du Messie, et à
ce moment seulement, se manifestera sous une nouvelle forme unanime
d’affirmation de l’Un. (9)  Les traces du message schuonien n’ont-elles pas
cette vertu ? A l’aube du prochain millénaire n’y a-t-il pas légitimité de
s’enquérir à ce propos ?

Si l’on considère l’oeuvre de Frithjof Schuon son évocation est alors une
mission risquée  et délicate, car nous ne sommes aucunement en présence, par
l’attention de l’ineffable qui s’y manifeste en de nombreux livres, d’une
« pensée mentale » et/ou profane, amis d’une parole où le contenant et le
contenu confluent fondamentalement vers cet invisible qui nous relie : le Sacré.

Ici est radicalement distinguée la « philosophie », dans l’acception commune et
« moderne », qui part toujours d’un doute, de la « métaphysique » « édifiée »
sur une certitude. Schuon en souligne immédiatement la portée dans la préface De
l’Unité transcendante des religions. (10), afin d’éviter les malentendus. L’un
de ceux-ci, réitéré sous de nombreuses formulations, – et repris par des groupes
« New Age » – consiste à opposer les religions dite « polythéistes » faussement
qualifiées de « païennes », à celles dite « monothéistes », sans comprendre que
d’un certain point de vue, proprement métaphysique ou encore « ésotérique », ces
antagonismes « avant tout » formels s’évanouissent. (11)

1. Une oeuvre où est célébrée la semence de l’Invisible : (12)

 

L’oeuvre de Schuon est la rencontre de l’homme avec la nature oubliée de son
être : La Tradition. Qu’est-ce qui dans ce mot peut me parler à moi occidental
immergé dans le devenir et le mouvement incessant qu’il produit ? Dans une
formule volontairement compendieuse, nous répondrons : La Tradition c’est
l’Amour. D’abord l’amour de cette lumière, nécessairement incréée, qui est
accueil de la présence au sein des formes que le monde recèle. Si la lumière est
incréée, c’est que nous n’en percevons que le prisme – le chatoiement de ses
teintes comme  l’alternance de sa froidure ou de sa brûlure – suivant son mode
de rayonnement reflété à travers la multiplicité des choses ou du réel. Ainsi,
sa source diaphane et invisible demeure enfouie dans l’humus de l’être. L’unité
qui est son origine et son lieu de naissance requiert une attention
bienveillante, une vigilance de notre part pour en capter l’essence. L’accord,
tel un diapason, ne s’engendre  et n’intervient que lorsqu’il y a harmonie entre
notre expérience partielle du créé et notre perception intuitive de la nature
intégrale et intégrante de l’incréé. Cette affinité, ce diapason, c’est le ton,
qui rythme la parole schuonienne : selon la proposition du Critias de Platon,
« pour parler de l’ineffable il faut avoir un certain ton ». (13) Ce dernier est
prégnant, et peut-être n’y a-t-on assez insisté, sous deux modalités entre
lesquelles se tient l’équilibre du sens : un souci « pluri-signifiant » de
l’usage de l’ellipse, lié au symbole et au divin et une aséité, (14)  un
dépouillement de l’expression par l’humain, dans la plus pure simplicité
monacale. Le symbole est alors un moyen de cet accord, sa respiration dans la
paix qu’il instaure chez le lecteur, ou encore comme le Verbe unanime du Ciel et
de  la terre. Nous plongeons dans la venaison du monde mais celle-ci n’étanche
point notre soif de l’unité consubstantielle qui lui est prévalent. C’est en
ajustant les deux images perçues, celle rugueuse de notre vieux compagnon ici et
celle  à la fois cosmique et universelle de son mode d’être identifié en chacun
de ses frères que la contingence et la relativité pourront se résorber dans la
conformité à son prototype divin. Or cette unité ne peut se découvrir, se
contempler, qu’au-delà des voiles qui dans la contrée du multiple, en dissimule
à l’oeil inexpérimenté la clarté parfois insoutenable. On ne peut   regarder de
face le soleil dans tout son éclat.

La citation de Schuon mise en exergue à propos du « paradoxe de l’ésotérisme »
traduit cette immuable relation entre le dehors et le dedans, l’externe et
l’interne. Il y a une « alchimie » de la « prise » et de la déprise entre ce qui
saisit, se dessaisit et voudrait être « saisi ». Cette liaison de l’exotérique à
l’ésotérique murmure l’insondable mystère où nous n’épuisons jamais ce qui veut
résonner de la Parole de Dieu en nous.

Nous avons dit que La Tradition est Amour. Elle l’est dans la mesure même de
notre gratitude envers la Création dont nous sommes le surgeon. Et cet acte de
reconnaissance ou de générosité est l’une des expressions de ce qui s’énonce
sous le vocable de « Tradition ». Lanza del Vasto relevait à cet égard que
« philosophie veut dire amour de la sagesse ou mieux sagesse d’amour ».
(15) Celui qui ordonne notre fin, et de ce fait notre Bien est précisément « ce
centre immuable qui met tout en mouvement, de la même manière que l’objet aimé
met en mouvement celui qui aime ». (16)   La doctrine hindoue des trois gunas
déterminera ce Bien, une des vertus, dans l’aspiration qualifiée de
« sattvique », qui est conformité à l’équilibre cosmique. (17)  Parce que
l’étymologie nous apprend que Kosmos signifie « Ordre », la Tradition –
transmission de cette « Sainte Ordonnance » d’après saint Denys l’Aréopagyte –
manifeste nécessairement l’amour divin dans le coeur humain ; et elle le
manifeste dans l’exacte mesure où l’amour « ne justifie pas une prétendue
liberté de « supprimer les frontières, qu’il ne légitime pas le chaos, [parce
qu’il] est une partie de l’ordre créé, et  [que] c’est dans la défense de cet
ordre, non dans la destruction que l’amour peut se réaliser. (18) Saint Bernard
ne disait-il pas : « Il faut en effet qu’une même charité nous unisse tous et
scelle notre unité dans le corps du Christ : mais cette charité ne subsiste
vraiment que dans l’ordre et la hiérarchie ». (19)  C’est au sein de cette
« Somme » de la Philosophia Perennis que Schuon nous offre et qu’Ananda K.
Coomaraswamy appelait de ses voeux dans l’avertissement d’Hindouisme et
Bouddhisme (20)  que nous découvrons émerveillé quelques unes de ses plus belles
sentences. Par cet accès à l’universalité des principales Révélations que la
Terre a connue, nous approchons de cette « intelligence qui est le  plus rapide
des oiseaux » nous dit le Rig Veda (21). parce qu’elle sort de la bouche de YHVH
ainsi que l’énonce pareillement Le livre des Proverbes. Relevons au passage que
cette « fulgurance » de l’intelligence est peut-être l’une des grâces prodiguées
envers Schuon ! Nous verrons en quoi elle s’avère fondamentale dans la question
du rationalisme.

Une autre manière de signifier les concordances de cet Amour, nous est donnée
par l’un des trois grands interprètes (22) de l’Islam intérieur, Jalâl ad-Dîn
Rûmî qui s’exprimait ainsi : « Je ne suis ni chrétien, ni juif, ni guèbre, ni
musulman. Je ne suis ni d’Orient ni d’Occident, ni de la terre ni de la mer…
J’ai mis la dualité de côté, j’ai vu que les deux mondes ne font qu’un. Un seul
je recherche, Un seul je connais, Un seul je vois, Un seul j’invoque. Il est le
Premier, Il est le Dernier, Il est l’Extérieur, Il est l’Intérieur ». (23) Cette
citation éclaire particulièrement l’oeuvre de Schuon caractérisée tant dans sa
dimension d’universalité déjà entrevue, que dans son orthodoxie rigoureuse et
son unité intrinsèque. Une autre image, celle du mandala (24)  qualifie bien non
seulement le mode d’énonciation mais ce que nous appellerons la géographie
sacrée qui lui est raccordée, et qui instaure ou éveille le divin dans les
différents états d’être, comme le font les incidences des rythmes originels
portés en soi, le plus souvent dans l’oubli de ce  que l’on est. Ce que l’on
« est », c’est-à-dire en tant que « créature déiforme douée d’une intelligence
capable de choisir ce qui y mène », (25)  rappelle Schuon. La Tradition est
Amour par le maintien de l’éternel Présent au sein des racines de ce qui
advient.

Le professeur James S. Cutsinger dans un excellent ouvrage (26) consacré à
l’oeuvre de Schuon où l’accent est mis sur la Voie spirituelle et ses fondements
doctrinaux, (27) a proposé quatre orientations métaphysiques pour délimiter
cette géographie sacrée : la Vérité, la Vertu, la Beauté et la Prière – cette
« barque salvatrice » selon une belle métaphore que nous empruntons à Schuon –
qui irriguent toutes de leur Eau lustrale le corps de ses livres, chair diaphane
du monde, dévouement envers l’Invisible du Livre. Ces quatre « orientations »
seront notre trace pour pénétrer plus avant cette oeuvre.

 (7), Amplitude et distinction qui prend son sens par exemple à travers cette
intéressante remarque de Schuon relative à Louis Massignon : « (…) Il n’y a pas
de doute que Massignon fut un orientaliste ; le moins qu’on puisse dire est
qu’il n’était ni ignorant ni hypocrite. Il était catholique, ce qui était son
droit, mais on ne peut lui reprocher de l’étroitesse d’esprit ; il n’aimait pas
Ibn ‘Arabî, mais il y a à cela des circonstances atténuantes, d’autant qu’il y a
des Musulmans qui partagent cette opinion, et d’autant qu’il portait tout son
amour sur El-Hallâj. J’ai regretté parfois d’avoir cessé mes relations avec lui
sous la pression de Guénon, qui avait à son égard de singuliers préjugés.
J’ajouterai qu’il y a avait chez Massignon une envergure humaine, faite
d’intelligence et de noblesse, qui le plaçait bien au-dessus de certains
« métaphysiens » guénoniens, dont l’arrogance aveugle donne la mesure de leur
petitesse ». Cet extrait, au-delà de toute question de divergence doctrinale,
permet d’appréhender deux tempéraments face à la perspective  Métaphysique.
L’accent mis sur la Réalisation [spirituelle] ou la Déification en «  »milieu »
chrétien, ainsi que sur la dimension humaine aussi bien sous l’angle éthique (le
Bien) qu' »esthétique » (la Beauté, les Arts), constitue une démarcation
capitale entre Schuon et Guénon. Pour notre part nous y voyons un enrichissement
mutuel et non un antagonisme comme l’a d’ailleurs très bien formulé Léo Schaya
dans sa préface à Naissance à l’Esprit.  Ce passage est extrait d’une version
inédite de l’étude publiée sous le titre « Quelques critiques », in, Dossier H :
René Guénon, L’Age d’Homme, Paris, 1984.

(8) Léo Schaya, La Création en Dieu, à la lumière du Judaïsme, du Christianisme
et de l’Islam, p. 532, Dervy, Paris, 1983. « 

(9) Léo Schaya, op. cit., p. 534.

(10) Op. cit., préface, Le Seuil, Paris, 1979, p. 9.

 (11) Dans Perspectives spirituels et faits humains, Schuon précise au sujet du
paganisme : « S’il ne se réduit pas à un culte des esprits, – culte
pratiquement  athée qui n’exclut pas la notion théorique d’un Dieu – est
proprement un « angélothéisme », le fait que le culte s’adresse à Dieu dans sa
« diversité », si l’on peut dire, ne suffit pas pour empêcher la réduction du
Divin – dans la pensée des hommes – au niveau des puissances créées. L’unité
divine prime le caractère divin de la diversité : il est plus important de
croire à Dieu – donc à l’Un – que de croire à la divinité de tel principe
universel ». Op. cit., p. 91.

(12) Allusion à l’excellent ouvrage du suédois Tage Lindbom (1909 –
2001), L’Ivraie et le bon grain ou le royaume de l’homme à l’heure des
échéances, Archè & Edidit, Milan et Paris, 1976, p. 151.

(13) Op. cit., « ouverture », Critias, Timée, en 106a, trad. nouv., de Luc
Brisson , « GF », Flammarion No 618, Paris, 1992, p. 353. L’ancienne traduction
de 1962 d’Emile Chambry, même éditeur, quoique moins concise sur un plan
stylistique, nous semble à quelques égards, plus précise, particulièrement dans
le cas de la citation citée en référence.

(14) André Lalande, dans son Vocabulaire technique et critique de la
philosophie définit ainsi ce terme : « Qualité d’un être qui possède en soi-même
la raison et la principe de sa propre existence. S’oppose chez les Scolastiques
au mot abaliété, qualité d’un être dont l’existence dépend d’un autre », op.
cit., 13e Ed., P.U.F., Paris, 1980, p. 82.

 (15) Voir, La Trinité spirituelle, Le Rocher, Paris, 1994, p. 170.

(16) L’Ivraie et le bon grain…, op. cit., p. 151.

(17) Voir, Frithjof Schuon, « Trangression et purification », in, L’Oeil du
coeur, pp 128 et suiv. Dervy, Paris, 1974. Schuon y développe  admirablement la
relation de l’homme et  des communautés humaines avec la Loi de Dieu dans les
diverses Révélations, et ce qu’il en advient lorsque nous la transgressons.

 (18) L’Ivraie et le bon grain…, Op. cit., p. 147.

(19) « Sermons 49 sur le Cantique », in, Textes Politiques, trad., de Paul
Zumthor, « 10/18, Bibliothèque médiévale No 1781, U.G.E., Paris, 1986, p. 55.

(20). Op. cit., « Idées » No 22, Gallimard, Paris, 1980, p. 7.

 (21). En VI, 9 – 5, cité par Mircea Eliade, in, « Le symbolisme des ténèbres
dans les religions archaïques », in, Polarité du symbole, Etudes Carmélitaines,
Desclée de Brouwer, Bruges, 1960, p. 16

 (22) Les deux autres étant Sohrawardî, Shaykh al-Ishrâq, et Muhyi-d-dîn Ibn
‘Arabî, Shaykh al-Akbar. Ceci n’entend aucunement signifier que nous considérons
qu’il n’y a pas d’autres représentants qualifiés de l’Islam, amis que nous
sommes en présence, à travers eux, de trois « moments » ou trois pôles
significatifs de ce qu’il y a de plus pur dans l’Esprit musulman.

 (23) Extrait de son Dîwân, cité par F. Schuon, in, Forme et substance dans les
religions, Dervy, Paris, 1975, note 3, p. 21.

(24), J’ai déjà usé de cette image dans mon étude : « Frithjof Schuon le Jnânî,
transparence et primordialité chez un métaphysicien et maitre spirituel du XXe
siècle », in, Vouloir, No 1 [114 – 118], juin 1994. Cet article a été publié sur
Internet sans l’autorisation ou sans avoir sollicité son auteur à ce sujet et
sans que celui-ci puisse émettre quelques remarques  que ce soit.

(25) In, Comprendre l’Islam, Points Sagesses No Sa 7, Le Seuil, Paris, 1976, p.
13.

(26)  Malheureusement non encore traduit en langue française : Advice to the
Serious Seeker : Meditations on the Teaching of Frithjof Schuon, Suny Press,
State University of New York Press, Albany, 1997. Ce livre est subdivisé en
quatre « parties » que nous reprenons ici comme point de repère de l’oeuvre de
Schuon. L’auteur (1953 – 2020) décédé depuis la parution de la présente étude
était professeur de théologie et d’histoire des doctrines religieuses à
l’Université de la Caroline du Sud aux USA. Il était également rattaché à
l’Eglise Orthodoxe.

 (27) Recension de l’ouvrage précité par le Pr. Patrick Laude, in, Connaissance
des religions, Nos 51-52, « Lumières du Moyen-Age », juillet-décembre 1997, pp
235 – 236, qui signale que « ne sont pas directement développés dans [cet]
ouvrage : la critique du monde moderne d’une part, et la question de l’Unité
transcendante des religions d’autre part ».


2. DE LA VÉRITÉ :

Selon « la maxime des maharadjahs de Bénarès, il n’y a pas de droit supérieur à
celui de la Vérité » (28) Bien sûr, il convient de ne pas confiner à la raison
ce qui est ici entendu et étendu aux orientations ci-dessus mentionnées. En
métaphysique véritable – ou ésotérisme – il n’y a jamais sens unilatéral, aussi
bien : « Si d’une part il y a opposition entre le Créateur et la créature, il y
a d’autre part unité d’Essence ; c’est ce que ne saurait saisir le point de vue
exotérique, incapable qu’il est, d’abord d’admettre des rapports différents, et
ensuite de comprendre la simultanéité de rapports antinomiques (29)   Il
n’admettra donc qu’un seul rapport, le plus apparent et le plus opportun au
point de vue humain ». (30) Ce point de logique « classique » rappelé,
arrêtons-nous quelque peu sur les raisons qui rendent impossible ou difficiles
la compréhension profonde, ultime de cette notion, que le grand mystique Nicolas
de Cues, appelait complexio oppositorum ou « coïncidence des opposés », ainsi
que sur les caractéristiques « cognitives » et « rationnelles » qui ont induit
d’une certaine façon cette cécité constatée à l’endroit de toute transcendance :
l’accueil de Dieu ou de l’Absolu au sein de l’intelligence humaine.

Si, comme le montre remarquablement Jean Borella (31), « on accepte de définir
la raison, dans son activité, comme la faculté de lier entre eux des jugements
(donc des connaissances) selon des règles ou principes, on voit que cette raison
raisonnante se trouve située entre deux sortes de réalité qui la dépassent et
dont elle est tributaire : les connaissances qu’elle reçoit « de l’extérieur »
(perception, révélation) ou « de l’intérieur » (Intellection, inspiration) d’une
part, et d’autre part les principes innés auxquels elle obéit et qui constituent
sa structure dynamique. D’un côté elle mendie du savoir, c’est-à-dire du réel
connu, de l’autre elle est conscience réfléchie d’une exigence d’ordre,
c’est-à-dire d’une relation fondée entre un savoir et un autre, et, finalement,
exigence de l’organisation générale de tous les savoirs entre eux. L’exigence
d’ordre, les lois dont l’observance par le mental définit la raison même, sont
l’objet d’une science qu’on appelle la logique. Or, c’est précisément cette
double dépendance qui prive la raison de toute autonomie absolue, et qui rend
caduques les prétentions hégémoniques du rationalisme. 

Durant toute l’ère médiévale, jusqu’à l’apparition catastrophique du nominalisme
philosophique (32), a prévalu une unité indivisible de la Réalité où une parole
réfléchissait toujours la Parole, ou un mot – semblablement les sentences et
proverbes – n’était jamais détaché du signe et du sens sacré auquel il renvoie
prioritairement. Comme René Guénon l’a rappelé (33), le mot grec muthos, vient
de la racine mu, et celle-ci (qui se retrouve dans le latin mutus, muet)
représente la bouche fermée, et par suite le silence, (…). Quant à mueô, et
c’est là ce qu’il y a de plus important, il signifie initier aux « mystères »,
(…) et par suite, à la fois instruire ([mais] sans paroles) et consacrer ; nous
devrions même dire en premier lieu consacrer, si l’on entend par
« consécration », comme ils e doit normalement, la transmission d’une influence
spirituelle (…) ». Nous voyons ainsi à travers cet exemple d’étymologie, que
l’envers et l’endroit des choses n’établissait leurs sens qu’au moyen d’une
unité plus profonde, et que l’instrument privilégié pour l’atteindre, maintenir
cette compréhension est l’Intellect ou l’oeil du coeur. C’est pour cela que René
Guénon  notait (34) « (…) C’est l’intuition intellectuelle et la doctrine
métaphysique pure qui sont au principe de toute civilisation traditionnelle ;
dès qu’on nie le principe, on en nie aussi toutes les conséquences, au moins
implicitement ».

Or le rationalisme, matrice du relativisme comme du criticisme néo-kantien, est
un agent privatif, il prive l’intelligence, de sa primauté sur-ontologique, de
son lien direct avec l’Absolu divin. Il appose entre l’homme – l’être – et la
nature une opacité qui obstrue tout sens du sacré. Ainsi l’homme moderne se
retrouve écartelé entre une double contradiction : d’une part les diverses
théories scientifiques (35) qui produisent un épuisement du « je » en tant que
sujet connaissant à travers un éparpillement phénoménal dépourvu d’objectivité
transcendantale, et d’autre part, le « dépoli » de la démarche psychologique par
laquelle ce même « je » ne découvre aucune assise réelle du fait de
l’intersubjectivité et de la relativité à laquelle ile st de fait renvoyé.

La Tradition est Amour par la bonne mesure qu’elle désigne et inventorie, au
moyen du respect du Saint Nom qui est foi, dans le tissu dense de l’étoffe
humaine.

 (28) Frithjof Schuon, Le jeu des masques, cité d’après Note 7/, p. 25, L’Age
d’Homme, Paris, 1992. Sur la relation de la Vérité à l’historicité, voir les
capitales remarques de Schuon, in, Sentiers de Gnose, pp 22 et suiv., La Place
Royale, Paris, 1987.

(29). Cette « notion » est essentielle ! Mais il s’agit de la vivre et non de
simplement la concevoir sur le plan mental. C’est-à-dire qu’il convient de
procéder face aux événements quotidiens en fonction de ce principe. La
psychologie moderne, si elle ne se cantonne pas à la « physique » obsolète du
mécanicisme freudien, entre autre dans son approche « systémique », dérivée des
travaux de Grégory Bateson, établit des « réseaux de correspondances » qui
voisinent avec la « notion » précitée de Schuon, mais en demeurant, néanmoins,
prisonnière d’une perception « horizontale », immanentiste, qui ne met pas
réellement en « dialectique » les deux « couples notionnels » précités. Voir,
Paul Watzlawick et al., Une logique de la communication, Points-essais No 102,
Le Seuil, Paris, 1979.

 (30) In, Frithjof Schuon, Christianisme / Islam : Visions d’oeucuménisme
ésotérique, Archè & Edidit, Milan et Paris, 1981, p. 173. « Humain trop
humain », aurait ajouté le philosophe allemand Nietzsche. En Vérité, humain trop
« humanitariste », « sentimental » et par ce processus « déshumanisé » de son
Humanité première, ontologique et cosmologique , si l’on nous permet cette
formulation elliptique. C’est nous qui soulignons certains passages en les
mettant en italiques. 

 (31) Voir, « Frithjof Schuon ou la sainteté de l’intelligence », in, Religion
of the Heart, essays presented to Frithjof Schuon on is eightieth birthday,
Foundation for Traditional Studies, Washington, 1991, pp 19 – 34, op. cit., pp
22 – 23. Recueil publié pour le quatre-vingtième anniversaire de Schuon.
L’importance de cette longue citation tient au fait qu’on ne rencontre pas cette
critique de la philosophie chez Guénon, et qu’à cette conception du rationalisme
se trouve lié la majorité écrasante de l’épistémologie des sciences actuelles, à
travers le criticisme kantien qui, ajoute Jean Borella, « corrompt la raison »
par un relativisme disproportionné face à ses objectifs. Et comme cette
« corruption » de la raison empoisonne la foi, il nous a paru d’autant plus
nécessaire d’y insister. Jean Borella s’est amplement inspiré, pour cet article,
des premiers chapitres de Logique et Transcendance [1970] de Frithjof Schuon,
qui constitue « l’analyse » et la réfutation la plus pénétrante jamais écrite
sur ces questions.

 (32) « Ce libéralisme philosophique, dont la première expression est le
nominalisme, inaugure en effet l’ère du doute par la négation de valeurs
universelles comme le Vrai, le Beau ou le Juste, toutes relativisées à l’aune de
l’individu raisonnant » écrit avec justesse Christophe Boutin dans sa thèse de
doctorat : Politique et Tradition : Julius Evola dans le siècle, Kimé, Paris,
1992, p. 149. 

(33) Voir, Aperçus sur l’Initiation, chap. XVII, p. 123, Traditionnelles, Paris,
1992.

 (34) : In, La Crise du monde moderne, « Idées » No 177, Gallimard, Paris, 1969,
p. 97.

 (35) Oswald Spengler a bien vu, une partie de ce processus lorsqu’il relève :
« Aussi l’histoire de la science occidentale est-elle celle de notre
émancipation progressive de la pensée antique (…) », chap. « Du sens des
nombres », vol. 1er, in, Le Déclin de l’Occident, Gallimard, Paris, 1978, p. 85.


3. DE LA VERTU :

Avec le reflux d’une fausse « libération » (36)  que la crise de civilisation a
amené, certains s’interrogent à nouveau sur la morale et les vertus mais de
façon tronquée, et surtout sans remettre en cause les présupposés de la
modernité.

Ainsi que nous avons pu le voir dans le rapport à la rationalité, ce sont ces
derniers qui par leur propension à ruiner tout lien, produisent ce «  »péché
d’extériorité », lequel engendre (…) fatalement tous les autres (37) en en
répercutant plus dans l’ordre de l’éthique humaine les qualités qui sont celles
de Dieu : sous la double dimension de la réceptivité « verticale » – qui est
sanctifiante et unitive – et du don à l’autre, au prochain, « horizontal »,qui
est bonté et générosité.

Or la « vie » d’une vertu en soi ne s’actualise que par le rayonnement divin
exercé dans sa substance. C’est à cette jonction que se noue l’énigme de
l’objectivité et de la subjectivité. Et « être parfaitement objectif c’est un
peu mourir ; l’homme moyen n’est certes pas prêt à y consentir (38) résume
Frithjof Schuon.

Les vertus sont ainsi autant de modalités et de couleurs par où Dieu se mire
dans le coeur de l’homme. C’est en ecs ens que Schuon peut dire : « (…) C’est
toute la différence entre (…) le reflet en tant que tel et le phénomène en tant
que principe reflété. S’il est vrai que nous portons en nous-mêmes ce que nous
aimons au-dehors, il est vrai également que nous aimons ce que nous devons être,
et nous devons l’être parce que, plus profondément et éternellement, nous le
sommes. D’une part, Mâyâ est Mâyâ et Atmâ est Atmâ ; d’autre part, Mâyâ « n’est
autre » qu’Atmâ, sans quoi elle ne serait pas » (39) En résumé, et comme Schuon
le précise : si « l’intelligence c’est discerner la Réalité transcendante (…)
l’intériorité c’est s’unir à la Réalité immanente ; l’un ne vas pas sans
l’autre. Le discernement, de par sa nature, appelle l’union ; les deux éléments
impliquant la vertu, par voie de conséquence et même à priori » (40)

On peut alors dresser des « couples relationnels » entre ces vertus divines et
leur actualisation dans le terreau humain : la pureté génère du détachement,
comme la bonté produit de la générosité, et la force de la vigilance ou la
beauté de la gratitude, nous avons là autant d’expression de la toute
possibilité dans sa dimension de  miséricorde. Schuon ajoute : « Il est très
significatif que dans les doctrines Traditionnelles qui insistent le plus sur la
Miséricorde – l’Amidisme par exemple – le point de départ est la conviction de
mériter l’enfer et de n’être sauvé que par la Bonté du Ciel ; la voie consiste
alors, non à e sauver par ses propres mérites puisque cela est considéré comme
chose impossible, amis à se conformer moralement, intellectuellement et
rituellement aux exigences d’une Miséricorde qui désire nous sauver et à
laquelle nous n’avons qu’à nous ouvrir ». (41)

L’homme moderne est un peu comme le corbeau de la fable de La Fontaine : il a
laissé tomber de son bec, sa part la plus fragile qui est aussi celle de sa plus
grande rectitude : la règle qui équilibre le battement de son coeur. Il oublie
le moineau du conte de Grimm qui a pris refuge dans « l’église », ce temple
intérieur : « S’en remettre pour tout dans les mains du Seigneur, souffrir avec
patience, être bon et prier, cultiver sa conscience et bonne foi garder, ainsi
l’on est sauvé par Dieu notre Sauveur ». (42) L’homme « moderne » reste sur le
parvis de tous les temples (43) Mais sa nature essentielle s’en va aux vents
mauvais de l’inadvertance et il anathématise tous les renards, ombres des ses
passions. Ainsi s’est-il dépossédé de sa propre contenance, et rompu le fil qui
le guidait vers l’airain de sa mémoire. Car cette part fragile, c’est sa chair,
sa vie dans l’indicible, l’esprit qui fulgure parfois au-delà des concrétions
existentielles en lesquelles ils e confine. 

A l’envers, la Tradition est ainsi Amour, par l’attirance spontanée en toute
conscience de la transparence qu’elle sollicite ; elle est paix dans la fidélité
aux vertus où se déploie l’Espérance.

 (36) Voir ci-dessus notre commentaire sur la place de l’amour au sein de
l’ordre cosmique. Pour comprendre où mènent les impasses de la modernité sur le
plan de la sexualité , voir Métaphysique du sexe (rééd.) de Julius Evola, ainsi
que le chapitre « le problème de la sexualité », in, L’Esotérisme comme 
Principe et comme Voie, op. cit., pp 125 -141. Comme exemple de recherche d’une
certaine « morale » ou « bien-être » : On se donne bonne conscience en
prétendant s’intéresser au yoga ou au bouddhisme, mais on refuse les
implications religieuses et métaphysiques  qui s’ensuivent, et on (sic)
agrémente ce dernier à toutes les sauces les plus anti-Traditionnelles qui
soient ! Sans doute la plénitude se trouve-t-elle dans la « politique de
l’autruche » et le gonflement de l’ego ?

 (37) in, L’Esotérisme comme Principe et comme Voie, op.cit., p. 154.

 (38) in, Racines de la condition humaine, La Table Ronde, Paris, 1990, p. 154.

 (39)  Op. cit., p. 158.

 (40). Op. cit., p. 138.

 (41) In, Forme et Substance dans les religions, Dervy, Paris, 1975, p. 110.
L’Amidisme est une des importantes Voies du Bouddhisme, il est fondé sur le
culte du Bouddha Amitâbha, grande Manifestation de la Miséricodre salvatrice.
Ses deux représentants les plus remarquables sont Nâgârjuna et Hônen Shônin.
Voir sur ce point le chapitre « David, Shankara, Hônen », in, Avoir un centre,
Maisonneuve & Larose, Paris, 1988, pp. 119 -130.

 (42) In, Jacob et Wilhelm Grimm, « Le moineau et ses quatre petits »,
in, Contes, tome II, p. 321, Flammarion, Paris, 1986.

(43) Dans un raccourci saisissant, Raymond Abellio ne disait-il pas quelque part
: « Le monde moderne, c’est l’homme dans le temple, la Tradition c’est le Temple
dans l’homme »…


4. DE LA BEAUTÉ :

« le monde moderne, engagé sans espoir sur la pente d’une laideur sans remède, a
furieusement aboli et la notion de beauté et critériologie des formes ».
(44) Ces lignes de Schuon indiquent comment la beauté s’est égarée,
semblablement aux vertus, dans la déréliction – la Chute – de la relation
normative que l’homme entretenait avec la nature vierge.

Mais pour appréhender ce trait de la primordialité, peut-être est-il nécessaire
de poser quelques jalons en soulignant certains des travers rédhibitoires et
récurrents de la « modernité » qui nous a retiré de la « notion » même de beauté
: pour concevoir la beauté, « dimension » et non « concept », il y a lieu en
premier de s’extraire du point de vue considéré comme (sic) « naturel », qui
rapporte toute valeur à celle de la société « moderne », actuelle. En d’autres
termes il s’agit de se dégager de ce « colonialisme mental » ou de cet
« égocentrisme évolutionniste » et « progressiste » qui ramène toujours à
lui-même le regard qu’il condescend à porter sur les civilisations qui nous ont
précédées. Il est possible de dire que le Darwinisme, « cheval de Troie au
service du « titanisme » moderne a décomposé, annihilé une certaine
représentation de l’unité humaine, en niant la spécificité de l’homme et en le
réduisant au rôle d’animal « évolué ».  Mais il a aussi égaré l’homme dans le
reflux fangeux de ses interrogations. Daniel Cologne relève dans ce sens : « En
attribuant à tous les hommes la même origine animale, le Darwinisme élabore,
dans le droit fil de l’absurdité égalitaire, un précieux instrument de
mobilisation de l’humain au service de la civilisation moderne ». (45) A
contrario, il est remarquable qu’une oeuvre telle que Logique et Transcendance,
par les preuves – proportionnées au type d’intelligence qui les reçoit –
lumineuses qu’elle présente sur les racines de l’intelligence, ait démontré la
nature prééminente, miraculeuse, du lien unissant la créature à Son Créateur.
Bref, l’urgence d’une quête intérieure, d’un ésotérisme bien compris ne s’est
jamais autant fait sentir, particulièrement lorsqu’il s’agit d’appréhender la
beauté. Alors que la société « moderne » n’en retient qu’un tégument sec qui
justifie son impuissance à vivre et à épanouir l’altérité propre de l’état
humain. Altérité que symbolise d’une certaine façon le dieu Hermès, signe et
lien tout à la fois, puisqu’il est le pont entre le langage et sa vivification
spirituelle. En offrant à Apollon sa première lyre n’a-t-il pas inscrit la
lettre de la beauté dans l’Esprit apte à la contempler ? La relation qu’induit
le message laisse vivante la « différence ». Circonscrite à l’Art sacré – mais
sans lui être réductible – , cette dernière se situe dans le frémissement,
l’écart apporté par l’artisan dans son travail lorsqu’il s’essaie à modeler la
chose d’après son être symbolisé.

La beauté est l’hospitalité, selon des formes appropriées à en traduire l’âme,
du fleuve de l’esprit qui pénètre chaque tradition. L’artisan opère sur la
« materia prima » du beau afin d’en libérer, d’en déployer la configuration qui
y est enfouie. Ceci explique pourquoi, du point de vue Traditionnel, l’Art sacré
est une translation du foisonnement de la Natura naturans et non pas une banale
copie des excentricités d’une natura naturata. Titus Burckhardt écrit : « Selon
la vision spirituelle du monde, la beauté d’une chose n’est rien d’autre que la
transparence de ses enveloppes existentielles ; le véritable art est beau parce
qu’il est vrai ». (46) La vérité qu’il transmet permet la contemplation sensible
de sa provenance archétypale suprasensible.

La beauté ne saurait donc être détachée de la stabilité du Réel duquel elle
relève, à la fois comme une enveloppe transparente et rayonnante, et en tant
qu’annonce et alliance du mystère de notre « condition » éminemment
surnaturelle. Toute l’oeuvre de Schuon en est un éclatant témoignage à travers
le tissage de la Manifestation divine qu’elle déploie sur l’arc-en-ciel du monde
et le prisme du coeur humain. Cette qualité est amitié intrinsèque au sens de la
philia grecque, gratitude envers la Manifestation et son Nom qui « jette sur les
choses de ce monde ou de notre âme comme une immense nappe de neige qui éteint
tout, et qui unit tout dans une même pureté, et dans un même silence débordant
et éternel ». (47) Cette gratitude qui perçoit toujours la danse du Divin
derrière le paravent du langage, est la lampe du Seigneur « grâce à laquelle
l’homme apprécie comme un enfant la valeur des petites choses ; l’homme noble,
qui a le sens du sacré, se situe à l’antipode de l’homme blasé et trivial, qui
ne respecte rien. Quiconque, ajoute Schuon, n’apprécie pas les dons de Dieu dans
le monde, est incapable de les apprécier dans le coeur, il n’y a pas de
contemplativité sans reconnaissance, donc sans humilité ». (48)

Chez le peintre d’icônes comme chez le calligraphe Zen, il y a toujours une
amitié qui transparaît dans le geste, fruit d’une souplesse autant que d’une
rigueur dans l’exécution. La beauté est fille de la forme lorsque celle-ci
épouse l’essence. C’est pour cela que nous pouvons lire dans Le Petit Prince de
Saint-Exupéry, cette déclaration magnifique et simple qui en est l’écho : « Oui,
dis-je au petit prince, qu’il s’agisse de la maison, des étoiles ou du désert,
ce qui fait leur beauté est invisible » (49) Un peu auparavant le renard avait
confié au Petit Prince : « Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit
bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». (50) Ce
caractère diaphane, incolore d’une certain point de vue de la beauté correspond
à sa racine ontologique, primordiale. Il est comme un nimbe où éclot la
« droiture », où s’esquisse une loyauté. Schuon ne dit pas autre chose : « La
beauté ne produit pas la vertu, certes, mais elle favorise d’une certaine
manière une vertu préexistante ». (51) Le choix de ce célèbre récit n’est pas
fortuit. Dans des entretiens accordés à Jean Biès, Schuon relève avec une acuité
marquante : « Il faut acquérir l’esprit d’un métaphysicien et garder l’âme d’un
enfant, rester en contact avec la nature, aimer les fleurs, lire de vieux livres
simples (…) pour le reste, choisir le moindre mal » (52) Les critères retenus
pour assurer la présence de la beauté et par la même celle du sacré, relèveront
évidemment directement de l’intention des Mystères de telle ou telle Révélation
et des outils dont la Tradition dispose pour en maintenir la pérennité. Les
conséquences des questions qui s’y trouvent soulevées occupent dans l’oeuvre de
Schuon une place prépondérante. Il convient également de souligner que celui-ci
a peint durant toute une période et composé de nombreux poèmes d’une étincelante
limpidité.

La Tradition est Amour dans la bonté cristalline du créé où se mire la beauté
indicible de Dieu.

 (44) L’Esotérisme comme Principe et comme Voie, chap., « Le rôle des
apparences », op. cit., p. 198.

 (45) In, Cyclologie Biblique et Métaphysique de l’Histoire, Pardès, Puiseaux,
1982, p. 72. A l’orgueil duquel [le Darwinisme] nous lui substituons cette
Parole inaliénable de la Genèse en I-2-4 : « Alors YHVH Dieu modela l’homme avec
la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme
devint un être vivant ». Voir aussi : Jean Phaure, Le Cycle de l’Humanité
Adamique : Introduction à l’étude de la cyclologie Traditionnelle et de la fin
des temps, Dervy, Paris, 1983.

 (46) In, Principes et méthodes de l’Art sacré, Dervy, Paris, 1995, pp 6 – 7.
Rappelons que Titus Burckhardt entretenait d’étroites relations, depuis
l’enfance, avec Frithjof Schuon. Ajoutons que récemment, Tayeb Chouiref a publié
deux magnifiques volumes illustrés en hommage à cette haute figure spirituelle
: Titus Burckhardt : Le Soufisme entre Orient et Occident, Documents réunis et
présentés par Tayeb Chouiref, tome 1, « Biographie, souvenirs et témoignages »,
tome 2, « Etudes et analyses », Tasnim, Paris, 2020.

 (47) Frithjof Schuon, Les Stations de la Sagesse, Maisonneuve & Larose, Paris,
1992, pp 184 – 185.

 (48) In, Approches du phénomène religieux, Le Courrier du livre, Paris, 1984,
p. 174.

 (49) Coll., « Folio » No 3200, Gallimard, Paris, 1999, p. 82.

 (50) Op. cit., p. 76.

 (51) In, Les Stations de la Sagesse, op. cit., p. 169.

 (52). Entretien accordé à Jean Biès, le 26 juillet 1967, in, Epignôsis No 16,
« Initiation – Vaincre la mort » [revue dirigée par Yves-Albert Dauge], Paris,
octobre 1986, p. 132.


5. DE LA PRIÈRE :

« Si l’on rencontre souvent, écrit Luc Benoist (53)  l’existence d’une dévotion
sans connaissance [Schuon] affirme qu’il ne peut y avoir de connaissance sans
dévotion et sans foi. Car si l’homme peut croire sans comprendre, il ne peut
comprendre sans croire (54) sans foi et sans vie. Car croire consiste à
s’identifier avec la vérité telle que la compréhension nous la révèle et nous
l’impose ». Cette « identification » délimite ce lieu où l’homme – « berger de
l’être » d’après la pertinente formule de Martin Heidegger – qui prie devient
berger de sa propre prière par le chemin d’Eternité qu’elle ouvre en lui. Mais
la route est longue et ardue ! La méditation, par le « vide » qu’elle libère
introduit au silence mental. Ainsi donc, en premier lieu, rappelle Swâmi Râmdas,
la maîtrise du mental et l’extirpation de toutes ses « Vâsanâs » [soit des
« souvenirs subconscients] sont absolument nécessaires avant que la lumière et
la connaissance divines puissent illuminer le coeur » (55) Nous avons ici une
distinction majeure avec la psychologie moderne qui, de manière erronée, le plus
souvent, n’établit pas de différence nette entre la « conscience » et le
« mental », ou entre ce qui est proprement vu et ce qui est regardé ; alors qui
entre en méditation véritable pourra assez aisément se convaincre de son
efficience (56) Le contraste tient entre la vision directe qui est « unitaire »
au sein de la conscience, même si elle est discontinue en ses prémices, alors
que le mental dualiste, toujours divisé décompose constamment ce qui est perçu.
Pourtant la méditation et la prière aspirent toutes deux à rassembler, à
concentrer d’une part, et à libérer, délivrer d’autre part, avec la finalité de
dissiper les atermoiements de l’ego et de prodiguer les ressources infinies du
« coeur-Intellect ». Des connexions qui s’établissent en fonction de la grâce,
jaillira l’invocation des « entrailles humaines ». Autrement exprimé, « le
serviteur [celui qui « pratique » l’oraison] ne peut se changer en Seigneur ;
mais il y a quelque chose dans le serviteur qui peut – non sans la grâce du
Seigneur – dépasser l’axe « serviteur-Seigneur » ou « sujet-objet » et réaliser
le « Soi ». Ce Soi, c’est Dieu en tant qu’indépendant de l’axe
« serviteur-Seigneur » et de toute autre polarité ». (57) Il convient d’assurer
notre salut, et l’oraison est comme le tour du potier, l’argile, le corps que
nous offrons à Dieu, et le céramiste, le calice qui reçoit l’eau du Saint Esprit
et permet au poisson de recouvrer son milieu naturel. (58) Ce milieu est celui
de la centralité. Centre en toute chose. Diligence du regard sur le visible pour
embrasser l’intangible. Du plus anodin grain de poussière à la plus lointaine
étoile de l’univers, l’être s’accomplit. Le point et le cercle se dilatent et se
résorbent l’un l’autre comme l’origine et la fin se donnent la main. La
conscience s’éveille. Le Christ Pantocrator de ses bras étendus atteint
l’Infini. L’Eternité s’épanche alors dans la contemplation du Sage. L’enfance en
lui, distille cette larme qui rejoint paisiblement l’océan de toute Béatitude.

La Tradition est Amour, lorsque dans son ordre de charité, elle tend comme un
enfant sers paumes par delà l’illusion du monde. Or de même que l’acceptation de
la Vérité soude l’homme à son être dans la certitude, que l’observance des
Vertus délimite l’espace quotidien dans lequel la Vérité peut s’inscrire, que la
Beauté témoigne en mode d’ampleur de la finalité de ces deux qualités, la Prière
ou l’oraison appose sur l’être la lumière du « Sur-Etre », et les abritent
toutes dans la nativité Royale du Seigneur. En cela la Tradition est
transparence métaphysique du monde.

Pour conclure, tout provisoirement ?

Il y a chez Frithjof Schuon une quête de la nature comme « telle » enfouie au
sein de l’amnésie collective et dissimulée sous les blocs erratiques du
« machinisme » destructeur.

La chair du monde transfigurée, ensoleillée de l’intérieur devenue icône devant
la théophanie (59) Descente voilée de la « Femme-Bisonne-Blanche », immaculée,
apportant la Pipe sacrée pour le rite du du Calumet. Par la cantillation sans
cesse réitérée du Saint Nom, tel le martèlement du pas de l’Amérindien sur la
terre de ses ancêtres, l’homme fait éclater l’écorce figée du réel et s’éveille
à la Présence, comme l’aurore se lève dans le sanctuaire majestueux des
montagnes.

En montrant la richesse souvent insoupçonnée de l’accord entre les multiples
modalités du vouloir humain et la connaissance métaphysique, Frithjof Schuon a
scruté les mystères de la Réalisation spirituelle, des résistances que l’ego
oppose à son intégration dans le « Plan divin ». Il a rendu à cet égard un
service inappréciable : restituer à l’homme égaré en cette fin de millénaire sa
confiance en lui et dans le monde. La foi en Dieu par la puissance de la
certitude. La transparence métaphysique du monde c’est encore cela, la nature
rendue à elle-même. L’attitude de Schuon est, dans cette perspective, semblable
à celle de Saint Antoine qui répondit un jour à un philosophe : « Père, comment
pouvez-vous être si heureux, alors que vous êtes privé de la consolation que
donnent les livres ? Antoine répondit : mon livre, ô philosophe, c’est la nature
et, quand je veux lire les paroles de Dieu, il est toujours devant moi ».
(60) Antoine fût le guide de Saint Athanase [fêté le 18 janvier], colonne  du
christianisme Orthodoxe et célèbre pour sa Théosis… La transparence métaphysique
se tient en équilibre entre le Métaphysique et le « physique » qui en provient.
Usons d’une image de l’esprit « Kshatriya » ou du chevalier japonais pour
illustrer ce que nous entendons : la fabrication traditionnelle d’un sabre
japonais ou katana répond à une science rigoureuse comme tous les Arts sacrés.
Il faut insister sur le fait que l’acier de ces lames est d’une robustesse à
toute épreuve, par le soin méticuleux apporté à la lente élaboration de leur
conception. Mais il y a un paradoxe éminent : on ne doit jamais toucher une lame
avec la main. Pourquoi ? Si le fil de la lame, d’une dureté exemplaire, tranche
comme un rasoir, les doigts graciles d’un enfant peuvent l’émousser et même
l’endommager très gravement (61) Dans cette « antinomie » apparente, les deux
propriétés « physiques », fragilité extrême et résistance comparable ne
peuvent-elles point se rejoindre ? Se marier en un « monde où se corporalisent
les Esprits et où se spiritualisent les corps » d’après la célèbre formule
d’Henry Corbin (62) « L’Etre est une évidence éblouissante, comparable à la fois
au point géométrique et à l’espace illimité ; point implacable dans sa rigueur,
et espace serein dans sa vacuité, comme l’exprime magnifiquement Schuon.
(63) Iaï-Do, telle est la Voie du sabre ou de l’éveil par le tranchant : « (…)
par un changement de l’attitude mentale appelée « Seishi O Choetsu », elle
donnait au sabre un double but : trancher toute opposition extérieure et,
intérieurement, trancher l’ego du « Bushi » [le pratiquant] pour qu’il atteigne
« l’Unité » de l’être : « Iaï-Do ». (64)  » « I » signifie être établi, demeuré,
résider. (…) Le second caractère, « aï », veut dire union, entente, harmonie »,
« Do », c’est la Voie. Ainsi, résider dans la Voie de l’harmonie par l’exercice
du tranchant. Toujours la même disposition : discerner entre le Réel et
l’illusion, entre l’essentiel et l’accessoire. Pour cela, apprendre à
« trancher », discriminer, par la Vision intérieure juste, tel l’aigle survolant
les cimes.  Frithjof Schuon écrit au sujet du Shintô, que ses « grandes vertus
se trouvent essentiellement représentées par les « Trois Trésors », – qui à
l’origine étaient au nombre de dix – à savoir : le Miroir, l’Epée et le Joyau ;
ils signifient respectivement la Vérité, le courage, la compassion, ou la
sagesse, la force et la charité ». Schuon ajoute que « le samouraï était froid
comme son arme, mais qu’il n’oubliait pas le feu qui l’avait forgée » (65) Comme
nous l’avons vu, ces antinomies sont le propre de la Manifestation. La
Métaphysique permet d’en approcher l’affinité, l’alliance par delà toute
opposition. A travers une herméneutique du symbole, elle déchiffre la chambre
nuptiale de la Tradition, la Religio perennis.

C’est ainsi que Jean Tourniac, dans une très belle préface indique : « L’épée de
la Tradition est celle du Roi-prêtre qui bénit Abraham et fonda, symboliquement
du moins, la Cité sainte de Jérusalem. C’est le couteau dressé de terre au ciel
et qui maintient en équilibre le fléau de la balance céleste, égalisant la
rigueur et la miséricorde ». (66) L’oeuvre de Frithjof Schuon, c’est la rigueur
affilée dans l’équanimité de la miséricorde. Encore une fois nous ne prétendons
aucunement avoir donné une vue « large » ou fusse même « synthétique » de cette
oeuvre incandescente, brûlée par le souffle de Dieu. Car s’il est un homme au
XXe siècle qui a rendu à la spiritualité son sens le plus puissant et le plus
élevé, c’est-à-dire le plus originel, c’est bien Frithjof Schuon. Notre ambition
est nettement plus modeste : seulement essayer d’en indiquer quelques chemins,
d’en élaguer quelques paisibles clairières, et si faire se peut, également
partager l’immense enthousiasme qui est toujours le notre devant tant d’éclat et
de rigueur. Si ces lignes atteignent ce but alors la noblesse de cette oeuvre
nosu aura amplement récompensé de nos efforts tout en la recevant avec gratitude
et vénération.

Pour m’avoir insufflé l’amour de la Tradition, je dédie à Frithjof Schuon le
Psaume 40 qui est Parole de l’Eternel : « J’espérais YHVH d’un grand espoir, il
s’est penché vers moi, il écouta mon cri. Il me tira du gouffre tumultueux, de
la vase du bourbier ; il dressa mes pieds sur le roc, affermissant mes pas. En
ma bouche il mit un chant nouveau, louange à notre Dieu.

Heureux est l’homme, celui qui met en YHVH sa foi ».

Olivier DARD

 

Achevé en avril 1999, en la Fête de Saint Nicétas le Confesseur, Higoumène du
Monastère de Médicius. Saint Jour de Pâques, Résurrection de Notre Seigneur.
Publication originale dans : Frithjof Schuon 1907 – 1998, Connaissance et Voie
d’intériorité, biographie, études et témoignages, in, Connaissance des
Religions, en co-éditions avec Le Courrier du Livre, hors série, sous la
direction de Bernard Chevilliat, Paris, juillet 1999, 300 pages, op. cit., pp
257 – 278. 

 (53) In, « L’oeuvre de Frithjof Schuon », in, Etudes Traditionnelles No 461,
Paris, juillet-septembre 1978.

 (54), Frithjof Schuon cite cette anecdote révélatrice : « Un compagnon du jeune
Saint Thomas d’Aquin dit à celui-ci, en présence d’autres jeunes moines, de
regarder par la fenêtre pour voir un boeuf qui vole ; ce que fit le Saint, sans
rien voir, bien entendu. Tout le monde se mit à rire, mais Saint Thomas,
imperturbable, fit cette remarque : « Un boeuf qui vole est chose moins
étonnante qu’un moine qui ment ». Il n’y a pas lieu de reprocher aux âmes pures
une certaine crédulité, qui en réalité leur fait honneur, d’autant que leur
humilité les incline à surestimer les autres, dans la mesure où l’évidence
contraire ne s’impose pas d’emblée ». In, l’Esotérisme comme Principe et comme
Voie, op. cit., p. 159.

 (55) In, Pensées, La Table Ronde, Paris, 1995, ppp 30-31.

 (56). Soulignons que plus la « technique » est simple, claire, plus elle a des
chances d’être efficace, nonobstant son affiliation régulière, stipulée à une
Voie Traditionnelle qui en assure la légitimité.

 (57) Frithjof Schuon, « Le Serviteur et l’Union », in, Logique et
Transcendance, Traditionnelles, Paris [Ed., or., 1970], 1982, p. 231.

 (58) Comme l’énonce l’ascète Saint Isaac le Syrien [de Ninive] : « Ce qui
arrive au poisson sorti de l’eau, c’est ce qui arrive aussi à l’Intellect quand
il sort de la mémoire de Dieu et s’exalte dans la mémoire du monde », cité
d’après Hiérothée Vlacos, in, Entretiens avec un ermite de la sainte Montagne
sur la prière du coeur, Points-Sagesse No 78, Le Seuil, Paris, 1994, p. 61.

 (59) Composé des mots grecs theos, « dieu » et du radical du verbe phainomai
« paraître » ; la théophanie désignait l’apparition, souvent impressionnante,
d’une divinité aux yeux d’un mortel », in, Dictionnaire des religions, sous la
direction de Paul Poupard, P.U.F., Paris, 1984, p. 1698. 

 (60) D’après Thomas Merton, La Sagesse du désert : Aphorismes des Pères du
désert, Spiritualités vivantes No 65, Albin Michel, Paris, 1987, p. 93.

 (61). Notre information sous cet aspect, provient de l’excellent
ouvrage Introduction à l’étude du sabre traditionnel japonais ou Nippon To, de
Daniel Gony. Ce « détail » qui n’en est point un figure p. 11, Ed., du Centre de
Recherche et d’Enseignement des Ressources Humaines (C.R.E.R.H.), Besançon,
1988.

 (62) ? Voir, Daryus Shayegan, Henry Corbin, la topographie spirituelle de
l’Islam Iranien, La Différence, Paris, 1990, p. 264.

 (63) In, Logique et Transcendance, op. cit., p. 29.

 (64) Voir : Malcolm Tiki Shewan, Iaïdo : L’Art du sabre japonais / The Art of
Japanese Swordsmanship, Ed., de la Fédération Européenne d’Iaïdo, Cannes, 1983,
p. 19. et aussi : Claude Durix, Le sabre et la vie, chronique d’un combat pour
l’unité de l’être, Guy Trédaniel, Paris, 1985. 

 (65). In, Images de l’Esprit : Shinto, Bouddhisme, Yoga, Le Courrier du Livre,
Paris, 1982, pp 51 – 52. Ré-édité dans la très belle collection « Théoriâ » des
éditions de l’Harmattan.

 (66) Voir, préface au livre de Gérard de Sorval, Initiation chevaleresque et
initiation royale dans la spiritualité chrétienne, Dervy, Paris, 1985, p. 15.

 

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