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 * Pourquoi le Festival de Cannes est-il si puissant ?


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Affiche du Festival de Cannes de 2014.

© Crédits photo : FDC / Lagency / Taste.


POURQUOI LE FESTIVAL DE CANNES EST-IL SI PUISSANT ?

À quoi le Festival de Cannes doit-il son succès ? Une offre unique de films
exclusifs, un espace de rencontres stratégiques pour les professionnels du
cinéma et un rayonnement médiatique international et cross-média.

par Axel Scoffier
Publié le 23 mai 2014
Temps de lecture : 6 min

 * Un label cinématographique de référence
 * Un évènement socio-économique articulé autour de la rencontre
 * Le développement de la marque dans une économie de l’attention
 *  
 * Un modèle économique équilibré entre subventions publiques et partenariats
   privés

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Fondé en 1946 sur une idée du ministre de l’Éducation Jean Zay (1), géré par
l’Association française du Festival international du film, le Festival de Cannes
est l’évènement cinématographique de référence dans le monde, réunissant chaque
année plus de 30 000 festivaliers accrédités. Sa proposition de valeur riche et
son modèle économique équilibré le protège contre la concurrence et les aléas
d’un secteur où la seule règle qui vaille est le fameux « nobody knows ».

 


UN LABEL CINÉMATOGRAPHIQUE DE RÉFÉRENCE

Le cœur de métier du Festival reste la compétition de la Sélection officielle
pour la Palme d’or. Chaque année, une quinzaine de films sont sélectionnés et
vus par un jury de professionnels (réalisateurs, acteurs, journalistes,
écrivains…) qui décerne une série de prix sous la direction d’un président. La
sélection officielle, assurée par le délégué général du Festival (Thierry
Frémaux depuis 2004) nourrit les ambitions des réalisateurs et producteurs du
monde entier et oriente fortement le calendrier de production des films qui,
s’ils veulent être choisis, doivent être soumis au Festival avant le mois
d’avril.

Depuis 1978, une seconde sélection officielle, Un Certain Regard, privilégie des
films atypiques et des cinéastes moins connus. Trois autres sélections
parallèles ont lieu, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique et
l’Acid, organisées par d’autres associations (respectivement la Société des
réalisateurs de films, le Syndicat français de la critique de cinéma et
l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion).

Enfin, le marché du film réunit dans le Palais des festivals des professionnels
du monde entier venus y faire affaire. Au total, 88 films ont été sélectionnés
dans les différentes compétitions en 2013, et 1 420 projetés au marché du film.



CONFÉRENCE DE PRESSE DU 67E FESTIVAL - THIERRY FRÉMAUX ET GILLES JACOB.
CRÉDITS : OLIVIER VIGERIE.
 

Dans un secteur à l’économie très capitalistique où peu de films sont produits
chaque année, le nombre de productions susceptibles d’être sélectionnées en
festival est relativement restreint, ce qui créée une forte concurrence entre
les festivals de cinéma internationaux (notamment Venise, Berlin, et depuis
quelques années Toronto) sur le cinéma dit « d’auteur » et au-delà. Cette
compétition est exacerbée par la nécessaire exclusivité des films présentés, qui
doivent être proposés en première séance (à la différence des Oscars qui
célèbrent les films sortis durant l’année passée) et s’exerce même entre les
différentes sélections du Festival. Le prestige de la Palme d’or, le rayonnement
médiatique de l’évènement lui-même (entretenu par la venue des stars des films),
et le label que représente le Festival (symbolisé par le logo apposé sur les
affiches et en ouverture de chaque film) permettent ainsi de faire parler des
films au moment de l’évènement, de soutenir leur promotion plus tard lors de
leur sortie en salle, et d’accroître leur valeur marchande lors des ventes des
droits internationaux.
 
Le succès du Festival tient donc à l’attractivité de sa compétition, renforcée
par un habile melting pot cinématographique qui introduit des films plus grand
public dans la programmation (les films hors compétition et les séances
spéciales par exemple) et crée ainsi de l’attention. Le film d’ouverture est
aussi généralement un film grand public très attendu : on a ainsi vu lors des
précédentes éditions les vingt premières minutes du Seigneur des Anneaux, Star
Wars : Episode III, Là- haut des studios Pixar ou encore Midnight in Paris de
Woody Allen. Par un effet vertueux, la compétition officielle attire des
talents, qui attirent les médias, qui à leur tour renforcent l’attractivité du
Festival et attirent les talents soucieux de leur notoriété pour un passage à
Cannes pouvant en effet se révéler déterminant dans la carrière d’un acteur (la
découverte d’Adèle Exarchopoulos en 2013 par exemple).
 
Depuis quelques années, la programmation s’ouvre d’avantage à d’autres
cinématographies et à d’autres publics, avec l’introduction des films de
patrimoine dans la sélection Cannes Classics, et la projection de films au grand
public lors les séances quotidiennes du cinéma de la plage.

L’ « effet Cannes » produit sur les films est difficilement mesurable, mais
conduit beaucoup de réalisateurs et producteurs à organiser leur calendrier de
production afin d’être en mesure de présenter leur film à Cannes, quitte à
raccourcir le temps de post-production pour être prêts à temps, ou à le
rallonger pour viser l’édition suivante (le cas Tree of Life de Terrence Malick
en 2011). En conséquence, et en réponse aux critiques parfois formulées lors des
projections, certains films peuvent être montés une deuxième fois entre leur
présentation à Cannes et leur sortie en salles.
 


UN ÉVÈNEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE ARTICULÉ AUTOUR DE LA RENCONTRE

Le Festival n’attire pas seulement les talents désireux de rencontrer la
reconnaissance critique et la célébrité publique. C’est aussi un évènement à
destination des professionnels qui profitent de la grande concentration de
potentiels interlocuteurs pour venir y présenter leurs projets.

Le marché du film, lancé en 1959, est le lieu consacré à la rencontre des
professionnels du secteur : 11 700 participants s’étaient inscrits en 2013,
issus de 107 pays et de 1 076 sociétés, et constitués de 42 % d’Européens, 17 %
d’Américains, 16 % de Français, 12 % d’Asiatiques et seulement 2 % d’Africains…
Ces professionnels peuvent y louer un stand, un pavillon, une salle de
projection, ainsi que des espaces publicitaires, et leur accréditation au marché
est payante. Plus de 5 300 productions y étaient présentées en 2013, dont 2 000
films encore à l’état de projet. Le marché du film est donc à la fois un lieu où
les distributeurs achètent et vendent des films terminés, et où les producteurs
cherchent des partenaires de coproduction ou de distribution pour les aider à
mener à bien leurs projets. Beaucoup se connaissent déjà, mais le Festival est
un bon moment pour se retrouver et voir plusieurs partenaires en même temps, en
particulier lorsqu’ils viennent de loin. 
 
Les producteurs et distributeurs principaux ont souvent des films présents dans
plusieurs catégories : ils viennent à la fois défendre un film en compétition
dans une des sélections, vendre leurs derniers films produits, prévendre leurs
nouveaux projets et acheter des films étrangers pour leur territoire ou établir
des alliances ou partenariats… Le Festival devient alors un moment fort de
démonstration de puissance, dont les soirées privées organisées par les
producteurs suivant la diffusion des films sont la tête de gondole et
nourrissent le prestige des sociétés en pleine négociation.
 


LE DÉVELOPPEMENT DE LA MARQUE DANS UNE ÉCONOMIE DE L’ATTENTION

Le succès du Festival tient à sa capacité à mobiliser les acteurs médiatiques et
à rayonner sur tous types de médias et de territoires. En offrant une
programmation exclusive de qualité, annoncée en avance et suscitant désir et
interrogations, en invitant les talents à assister aux projections et à mettre
en scène leur arrivée sur un espace organisé et ritualisé (le tapis rouge et la
montée des marches), le Festival parvient à incarner le moment de découverte des
films, à gérer la volatilité de leur valeur et à mobiliser les acteurs de
l’économie de l’attention.



BÉRÉNICE BEJO LE 21 MAI 2014. CRÉDITS : FDC - MP.

Le Festival attire la presse, qui constitue un sixième des accrédités : 4 598
journalistes (dont 1 998 français) s’y sont rendus en 2013, venus de 86 pays. La
presse écrite (papier et web) est la plus représentée en nombre de titres, mais
les équipes les plus nombreuses sont celles de télévision. Plusieurs logiques
sont à l’œuvre : une partie de la presse se concentre sur les films, dont elle
évalue la qualité artistique, tandis qu’une autre privilégie les talents qui
représentent ces films, voire leur simple apparence vestimentaire... Le glamour
des stars du festival participe autant à son rayonnement que les films
présentés !

>  La presse représente 1/6 des accrédités du Festival 

Le Festival cherche à accroître sa notoriété et l’autonomie de sa marque
en  accompagnant sa présence médiatique sur le web (comptes Facebook et Twitter
hyperactifs, plate-forme Echoes By Festival De Cannes qui agrège les contenus
médiatiques sur une carte interactive) mais aussi en développant des évènements
qui prolongent le festival et étendent en quelque sorte sa licence, notamment la
reprise de plusieurs sélections ailleurs en France et dans le monde (Un Certain
Regard à Paris par exemple).

 

La plateforme Echoes du Festival de Cannes


 


UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ÉQUILIBRÉ ENTRE SUBVENTIONS PUBLIQUES ET PARTENARIATS
PRIVÉS

L’économie du Festival de Cannes, dont le budget annuel est de 200 millions
d’euros, repose sur un modèle équilibré : adossé à un soutien public annuel
distribué par le ministère de la Culture (via le Centre National du Cinéma) et
par les collectivités locales (ville de Cannes, département, région), il profite
de l’attention qu’il génère pour s’associer sponsors et partenaires et compléter
ainsi son budget.

Renault et L’Oréal sont parmi les sponsors principaux, mais il faut aussi
compter sur HP, Nestlé, Chivas, Orange, Chopard, Canal+, Air France… Chaque
partenaire contribue à enrichir l’offre globale du Festival et accentue son
rayonnement : Renault véhicule les stars, L’Oréal les coiffe, Nestlé désaltère
les festivaliers (cafés Nespresso et eaux San Pellegrino), Orange offre des
espaces wifi, HP et LG des espaces informatisés à destination de la presse...

>  Renault véhicule les stars, L’Oréal les coiffe, Nestlé désaltère les
> festivaliers, Orange offre des espaces wifi... 

Les grandes marques de luxe passent également des contrats avec les talents pour
les mettre en valeur (vêtements de gala, bijoux, etc.). On remarque un certain
alignement de la communication de plusieurs de ces marques avec le monde du
cinéma : elles choisissent des acteurs comme égéries et développent des
campagnes très cinématographiques, et le Festival de Cannes contribue ainsi à
nourrir les valeurs de la marque (glamour, beauté, création, succès, désir...).
En retour, les marques sont sélectionnées avec attention afin de ne pas dégrader
l’image du Festival, voire de la renforcer. Le branding cannois est prolongé
jusque dans les lieux de fête et les plages de la ville : les villas sont
privatisées pour les festivités du soir (la villa Schweppes, la villa Inrocks),
tandis que la plage Nespresso et la plage Orange accueillent les producteurs en
journée.
 
Le soutien de l’État au Festival s’inscrit d’une certaine manière dans une
logique similaire à celle des partenaires privés, l’objet du Festival de Cannes
étant de permettre le rayonnement des arts et de la culture depuis la France, et
donc de rayonnement de la France elle-même… Le Festival de Cannes, en tant que
premier évènement culturel français, est un élément central du soft power
national.

--
Crédits photo :
Visuels presse Festival de Cannes
Affiche 2014 / © FDC / Lagency / Taste
 
(1)

Décédé en 1944. 

A S
AXEL SCOFFIER



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