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HomeNuméros34Pratique de l’espace et invention...

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34 | 2009
Voyages et construction du territoire


PRATIQUE DE L’ESPACE ET INVENTION DU TERRITOIRE

La Reconnaissance au Maroc (1883-1884) de Charles de Foucauld
Aurélia Dusserre
p. 57-88
https://doi.org/10.4000/rives.3822
Abstract | Index | Outline | Text | Notes | Illustrations | References | Cited
by | About the author


ABSTRACTS

Français English

À la fin du XIXe siècle, le Maroc est un pays encore largement inconnu. Quelques
explorateurs l’ont parcouru, mais leurs travaux ne permettent pas encore de
saisir la réalité de son espace et de son organisation ethnographique et
politique. Il faut attendre le voyage réalisé par Charles de Foucauld en 1883
pour qu’une étape significative soit franchie dans la connaissance. Dans sa
Reconnaissance au Maroc, le voyageur rapporte une importante quantité de
matériel géographique et topographique et formule également la distinction qui
existe entre deux types d’espaces, clivage pensé selon des critères à la fois
sécuritaires et politiques. Cette dichotomie, fondamentale pour la compréhension
du pays, n’a toutefois pas de valeur systématique, notamment sur un plan
ethnographique.

At the end of the 19th century, Morocco was still little known to European
observers. A few explorers had visited the country but their writings provide
little by way of information on its ethnographical and political structures. It
was not until Charles de Foucauld’s voyage in 1883 that significant progress was
made towards a better understanding of the country. In his Reconnaissance au
Maroc, the traveler produced an extensive amount of geographical and
topographical material and identified two types of space, divided in terms of
security and political criteria. Although this dichotomy is undoubtedly an
important tool for understanding the country, it provides little in the way of
systematic analysis, particularly on ethnographical questions.

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INDEX TERMS


MOTS-CLÉS :

espace, territoire, voyage


GÉOGRAPHIE:

Maroc


CHRONOLOGIE:

XIXe siècle
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OUTLINE

Lire et parcourir le Maroc avant Charles de Foucauld
La préparation du voyage de Charles de Foucauld
La construction d’une représentations de l’espace marocain
La postérité du voyage
Conclusion
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1En 1921 à Casablanca, un monument à la mémoire de Charles de Foucauld est
inauguré en présence du général Lyautey. Sur sa base, on peut lire l’inscription
suivante :

> À Charles de Foucauld,
> Explorateur du Maroc.
> Officier- Explorateur- Prêtre- Apôtre du Sahara
> Héros, saint et martyr
> Mort pour la France à Tamanrasset (Hoggar) le 1er décembre 1916

 * 1 Charles DE FOUCAULD, Reconnaissance au Maroc 1883-1884, Paris, Challamel,
   1888, 2 vol., XVI-500 p., (...)
 * 2 Georges LOUIS, « À la mémoire de Charles de Foucauld », Bulletin de la
   Société de géographie maroca (...)

2Financée grâce à une souscription publique, l’initiative en revient à la
Société de géographie du Maroc créée en 1916, l’année même de la mort de
Foucauld. Les hommages rendus auparavant à l’auteur de la Reconnaissance au
Maroc (1883-1884)1 ont été nombreux : le deuxième numéro du Bulletin de la
société de géographie du Maroc, publié en 1916, fait bien évidemment état de la
disparition de l’explorateur ; un hommage appuyé lui est rendu en 19192, tandis
qu’une de ses lettres inédites est publiée l’année suivante dans le Bulletin.
Décidée dès 1916 par la société savante, l’érection du monument de Casablanca
participe pleinement à la création du « mythe Foucauld » et permet d’enrichir le
panthéon symbolique du Protectorat. Ce mythe joue sur deux registres qui sont
souvent associés, comme le montre la dédicace : Foucauld est à la fois vu comme
le créateur de la géographie marocaine, devenant ainsi de facto une sorte de
figure tutélaire pour la Société de géographie du Maroc qui y trouve une part de
sa légitimité, mais également comme une légende saharienne dont l’ensemble de la
vie, exemplaire, ne semble avoir tendu que vers cette seule direction.

 * 3 René BAZIN, Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara,
   Paris, Plon, 1921, 479 p.
 * 4 Daniel NORDMAN, « La Reconnaissance au Maroc, de Charles de Foucauld »,
   dans Profils du Maghreb. Fr (...)

3Les deux parts du mythe se retrouvent dans les lectures qui ont été faites de
la Reconnaissance. La tradition hagiographique développée à la suite de
l’ouvrage de René Bazin3 de 1921 a vu l’ouvrage « comme le témoignage d’une
annonce, d’une première initiation, comme l’anticipation d’une relation
personnelle avec l’islam, les populations nord-africaines, etc. »4. La
Reconnaissance a été également souvent consultée comme un recueil
d’informations, utilisée à la manière d’une encyclopédie pour mieux connaître un
pays sur lequel subsistaient à l’époque de sa rédaction de nombreuses
incertitudes. Si la valeur documentaire d’une telle relation de voyage est
aujourd’hui réduite, ce n’était pas le cas au moment de sa parution : dès 1885,
soit trois ans avant la publication du livre, Foucauld reçoit des mains de
Duveyrier la prestigieuse médaille d’or de la Société de géographie. La
Reconnaissance représente en effet une avancée considérable pour la connaissance
du pays encore très peu renseigné. A la fin du XIXe siècle, le Maroc est
fréquemment comparé à la Chine, image destinée à mettre en valeur son aspect
fermé et mystérieux. La comparaison est cependant exagérée : certaines zones
sont familières aux Européens, qui les ont parcourues et cartographiées dès
l’époque moderne. Il est donc plus juste de dire que le pays est inégalement
connu : d’une façon schématique, la lecture des cartes montre qu’à la plaine, où
se succèdent toponymes et indications de peuplement, s’oppose le vide des zones
de relief et des régions présahariennes, qui occupent pourtant la majeure partie
de l’espace.

4Cette méconnaissance peut a priori étonner. Le Maroc est en effet
géographiquement proche d’une Europe qui le contraint à ouvrir son territoire
sous la pression économique puis diplomatique ; les contacts s’intensifient tout
au long du XIXe siècle et de plus en plus d’étrangers pénètrent dans le pays.
Les lacunes paraissent également d’autant plus surprenantes que monde est de
mieux en mieux connu grâce aux grandes explorations et aux efforts réalisés par
les sociétés de géographie pour susciter et diffuser les découvertes.

5Les origines de ce « retard » sont donc en partie à chercher dans les
conditions propres au terrain marocain. Son parcours reste difficile car
diverses contraintes s’exercent sur son espace. Les premières sont simplement
d’ordre physique : les régions les moins connues correspondent aux milieux
naturels les plus difficiles, comme les montagnes, ou les moins familiers aux
observateurs européens, à l’image des zones présahariennes. L’absence de tout
réseau routier rend également la circulation délicate. A ces premiers facteurs
physiques s’ajoute une forte contrainte politique. La circulation des Européens
est en effet soumise à l’autorisation et au contrôle du sultan, et les étrangers
sont, jusqu’à une date tardive, interdits de séjour dans les villes marocaines.
Lorsqu’ils se déplacent, les voyageurs sont donc encadrés par une escorte armée
qui ne leur permet pas d’aller et venir librement ; le trajet est strictement
défini, les contacts avec les populations inexistants. Enfin, des facteurs
ethnographiques compliquent l’organisation de l’espace et la circulation dans le
pays : deux ensembles humains très différenciés coexistent, une population arabe
essentiellement concentrée dans les plaines et des populations berbères qui
occupent les zones de relief. Leurs structures sociales et politiques sont elles
aussi différentes : d’une façon très schématique, les populations arabes sont
soumises au pouvoir d’un sultan dont l’autorité est à l’inverse contestée par la
plupart des populations berbères, organisées selon un système tribal. Ces
données anthropologiques, linguistiques et politiques sont essentielles pour
comprendre l’organisation générale du pays puisqu’elles pèsent sur l’espace et
imposent des contraintes importantes à ceux qui désirent le parcourir.

6La publication par Foucauld de près de 3000 kilomètres d’itinéraires, dont 2250
kilomètres totalement nouveaux inscrits sur une carte publiée hors-texte, ainsi
que la détermination de plus de 3000 cotes d’altitude et de 85 positions
astronomiques avec un étonnant degré de précision, représente donc un apport
majeur et facilement quantifiable à la connaissance du pays. Cela répond au
projet initial de l’auteur, énoncé dès les premières lignes de la
Reconnaissance, de maîtriser l’espace et de réduire l’incertitude en passant par
les territoires les plus inconnus :

>  * 5 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op.cit., p. IX.
> 
> À la veille d’entreprendre mon voyage au Maroc se dressaient deux questions :
> quel itinéraire adopter ? Quels moyens prendre pour pouvoir le suivre ? La
> première se résolvait naturellement : il fallait, autant que possible, ne
> passer que par des contrées inexplorées et, parmi celles-ci, choisir les
> régions qui, soit par leurs accidents physiques, soit par leurs habitants,
> paraissent devoir présenter le plus d’intérêt.5

7L’optique avant tout topographique de la Reconnaissance – constitution et
restitution d’itinéraires dans le but de la maîtrise de l’espace – ne se conçoit
bien évidemment pas sans un parcours de l’espace, et pose dès lors la question
des moyens grâce auxquels ses contraintes pourront être contournées. Là encore,
Foucauld tient compte dès le départ de la nature de l’espace concerné, dont il
ne sous-estime ni les particularités ni les difficultés :

>  * 6 Ibid., p. IX-X.
> 
> Tel fut le but que je me proposai. Restait la seconde question : quel moyen
> employer pour l’atteindre ? Pourrait-on voyager comme Européen ? Faudrait-il
> se servir d’un déguisement ? (…) Je m’arrêtai au parti suivant : je partirais
> déguisé ; une fois en route, si je sentais mon travestissement nécessaire, je
> le conserverais ; sinon, je n’aurais qu’à le jeter aux orties.6

8Les conditions particulières imposées par le terrain sont ainsi prises en
compte et pleinement intégrées par l’auteur : loin d’être une simple
observation, l’exploration doit aussi se lire comme une pratique et une
expérience personnelles de l’espace qui engage celui qui le parcourt. Le voyage
apparaît comme une entreprise individuelle et subjective, et les modalités de
construction des savoirs doivent à ce titre être envisagées comme des pratiques
faisant intervenir la personne et le corps de l’explorateur. Ces pratiques sont
constitutives de l’entreprise de l’exploration. Dans ce cas précis, l’adoption
du déguisement et « l’expérience géographique » vécue par Foucauld ont permis de
mettre en mots la distinction entre les deux types d’espace du territoire
marocain :

>  * 7 Ibid., p. XI.
> 
> Il y a une portion du Maroc où l’on peut voyager sans déguisement, mais elle
> est petite. Le pays se divise en deux parties : l’une soumise au sultan d’une
> manière effective (blad el makhzen), où les Européens circulent ouvertement et
> en toute sécurité ; l’autre, quatre ou cinq fois plus vaste, peuplée de tribus
> insoumises ou indépendantes (blad es sība), où personne ne voyage en sécurité
> et où les Européens ne sauraient pénétrer que travestis.7

9Outre un apport géographique et topographique quantifiable, la Reconnaissance a
ainsi également une valeur ethnographique et politique : par la pratique de son
espace, Foucauld a contribué à la création d’une image particulière du
territoire. En ce sens, il apparaît comme l’inventeur de la dichotomie
constitutive de l’espace marocain précédemment évoquée, dans la mesure où il a
été le premier à l’avoir sinon théorisée, du moins mise en mots. Car si certains
des précédents explorateurs du Maroc l’avaient pressentie, c’est à Foucauld et
son voyage que l’on doit sa formulation, même si l’auteur n’a jamais cherché à
en faire un schéma systématique d’explication et de lecture spatiale. Ce sont en
effet les utilisations postérieures qui l’ont systématisée, tandis que, sur le
terrain, se construisait en pratique le mythe de l’exploration.


LIRE ET PARCOURIR LE MAROC AVANT CHARLES DE FOUCAULD

 * 8 Louis CHENIER, Recherches historiques sur les Maures et histoire de
   l’empire de Maroc, Paris, Boill (...)
 * 9 Lucien FEBVRE, La terre et l’évolution humaine, introduction géographique à
   l’histoire, Paris, A. M (...)

10Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la question de la nature ethnographique et
politique de l’espace marocain ne s’est pas réellement posée aux observateurs
européens. Pour une raison simple : la plupart des voyageurs, ambassadeurs ou
captifs n’avaient qu’un contact limité avec le pays dont ils ne voyaient qu’une
toute petite portion, essentiellement les villes et les côtes. Les zones
réputées d’un accès difficile n’étaient pas prises en compte ; quand leur
existence était mentionnée, c’était pour les écarter du domaine de la
connaissance, à l’image par exemple de l’Atlas. Ainsi, pour Louis Chénier
(1722-1795), la zone est peuplée « par une multitude de tribus, dont la férocité
en interdit l’accès à tout étranger »8 : en plus de l’inconnu, les montagnes
sont un lieu de désordre et ne sont donc « jamais considérée[s] pour
elle[s]-même[s] », c’est-à-dire comme un milieu naturel spécifique ; elles sont
« une frontière et non un pays »9. Faute d’un parcours et d’une connaissance
suffisants, le pays est donc réduit à sa plus petite dimension, celle de son
littoral et de quelques routes qui traversent les plaines pour relier entre
elles les capitales impériales et Tanger :

>  * 10 L. CHENIER, Recherches, op.cit., p. 14.
> 
> …pour donner une idée de cet Empire, je parlerai des provinces maritimes, que
> j’ai parcourues dans presque toute leur longueur ; comme elles bordent cette
> côte, elles intéressent plus que celles qui sont dans l’intérieur.10

 * 11 Voir notamment, parmi d’autres, les Instructions générales aux voyageurs
   publiées en 1875 par la So (...)

11Les pratiques du voyage se transforment cependant progressivement. Devant leur
multiplication et l’avancée de la connaissance de la terre à la fin du XVIIIe
siècle, des structures efficaces entièrement dédiées à cet objectif s’organisent
en Europe et modifient la nature des voyages et de leurs acteurs. La collecte
naturaliste et paysagère des voyageurs sans formation spécialisée est remplacée
par une mission d’enregistrement de l’espace, à l’échelle non plus simplement
topographique mais bien désormais géographique. Cela entraîne un changement dans
l’espace parcouru, de plus en plus grand, qui exige un contact direct avec les
lieux, sous la forme d’une traversée extensive, dans la perspective d’une
restitution graphique faite en Europe par les géographes de cabinet.
L’observateur envoyé sur le terrain doit donc être en mesure de rapporter des
indications susceptibles d’être transformées en tracé par le géographe de
cabinet, c’est-à-dire de collecter les lieux, mener des enquêtes orales afin de
déterminer, par exemple, les distances, les directions, etc. Pour faire la
meilleure observation possible, l’explorateur doit donc tenter à la fois de
limiter les intermédiaires imposés entre le terrain et lui et de passer le plus
inaperçu possible. C’est pour cela que beaucoup d’entre eux voyagent désormais
déguisés. Le choix du déguisement n’est pas un phénomène spécifique au terrain
marocain : dès la fin du XVIIIe siècle, l’African Association le recommande ; il
figure également dans la plupart des instructions publiées à destination des
voyageurs par les sociétés savantes11. L’idée n’est donc pas née en Europe dans
une optique d’exotisme plus ou moins fantasmé ; la pratique s’est développée sur
le terrain, où elle était notamment encouragée par les consuls afin de permettre
aux voyageurs d’atténuer leurs particularités pour des raisons de sécurité, mais
également dans l’ambition de mener une observation « pure ».

 * 12 Domingo BADIA dit Ali BEY, Voyages d’Ali Bey el Abassi en Afrique et en
   Asie pendant les années 180 (...)
 * 13 René CAILLIÉ, Journal d’un voyage à Tembouctou et à Jenné, dans l’Afrique
   centrale, précédé d’obser (...)

12Ces voyageurs d’un type nouveau parcourent le terrain marocain à partir du
début du XIXe siècle. Les premiers à voyager travestis sont l’Espagnol Domingo
Badia, qui parcourt le Maghreb sous l’identité d’Ali Bey12, et le Français René
Caillié13, qui, parti de Tanger en 1824, est le premier Européen à pénétrer dans
Tombouctou. Ils sont suivis dans la seconde moitié du siècle par deux voyageurs
d’origine germanique.

Figure 1. Portrait de G. Rohlfs

Zoom Original (jpeg, 428k)

13En avril 1861, Gerhard Rohlfs (figure 1) débarque à Tanger avec le projet de
s’engager auprès du sultan pour participer à la réorganisation de l’armée
chérifienne ; il renonce rapidement à cette idée pour entamer l’année suivante
un premier voyage effectué sous l’identité de Mustapha, médecin turc venu de
Constantinople. Durant la première partie de son itinéraire, Rohlfs reste sur
les sentiers battus et parcourt des routes connues par les Européens ;
néanmoins, de Marrakech à la frontière algérienne, il passe en pays berbère, que
les Européens n’ont encore ni traversé, ni, a fortiori, cartographié (figure 2).

Figure 2. Itinéraires de Gerhard Rohlfs et d’Oskar Lenz au Maroc

Zoom Original (jpeg, 312k)
 * 14 Gerhard ROHLFS, Mein erster Aufenthalt in Marokko und Reise südlich vom
   Atlas durch die Oasen Draa (...)

14Ce changement d’espace est-il perceptible à la lecture de son récit de
voyage14 ? Ayant choisi de voyager en compagnie de caravanes pour assurer sa
sécurité, Rohlfs semble avoir conscience d’une modification des conditions du
terrain. Il note ainsi, avec la dramatisation habituelle à ce type de
littérature :

>  * 15 G. ROHLFS, Adventures in Morocco, op.cit., p. 313 (toutes les
>    traductions sont de l’auteur).
> 
> En quittant Mogador, j’avais laissé derrière moi la civilisation pour entrer
> dans un pays où je pouvais m’attendre à ne rencontrer aucun Européen, et où la
> langue arabe ne me servirait à rien en dehors des villes. J’étais pour ainsi
> dire seul.15

 * 16 G. ROHLFS, Reise durch Marokko Ubersteigung des grossen Atlas, Exploration
   des Oasen von Tafilelt, (...)

15Il perçoit le changement d’espace avant tout en termes linguistiques et
civilisationnels, ne dépassant pas le traditionnel point de vue européocentré.
La qualité de son observation ne lui permet d’ailleurs pas d’aller au-delà : son
récit est avant tout descriptif et se contente de recueillir des renseignements
d’ordre général et des connaissances « positives » – pour reprendre le mot
utilisé par Jomard une trentaine d’années auparavant, c’est-à-dire destinées à
servir aux cartographes européens dans une optique de restitution topographique.
Ce premier voyage rencontre un grand écho dans les milieux géographiques
européens et Rohlfs peut repartir en 1864 pour un nouveau périple beaucoup plus
novateur par le choix de l’itinéraire et les conditions de voyage16. Il choisit
en effet cette fois-ci de traverser le pays du nord au sud en passant par le
Moyen Atlas, à rebours de la route suivie une quarantaine d’années auparavant
par Caillié lors de son retour de Tombouctou. Rohlfs affronte donc les montagnes
marocaines, une première pour un Européen, en suivant le trajet des caravanes le
long du treq sultan, route qui relie traditionnellement Fez aux oasis du Sud. La
majeure partie de son itinéraire traverse ainsi des régions inconnues mais, là
encore, le récit qu’il en ramène est largement descriptif et non hiérarchisé,
les particularités politiques et ethnographiques du territoire marocain
n’apparaissant pas réellement.

 * 17 Oskar LENZ, Timbuktu: Reise durch Marokko, die Sahara und den Sudan,
   ausgeführt im Auftrage der Afr (...)

16Celles-ci sont un peu mieux mises en valeur par l’Autrichien Oksar Lenz
(figure 3) qui relie en 1880 Tanger à Tombouctou17.

Figure 3. Portrait d’Oskar Lenz

Zoom Original (jpeg, 216k)

17Comme son prédécesseur, Lenz veut parcourir en priorité des espaces inconnus,
notamment les zones de montagne. Ayant déjà effectué des missions en Afrique
centrale, il est plus expérimenté que Rohlfs ; il voyage également selon des
modalités différentes, ayant choisi de constituer une petite escorte dès avant
son départ afin d’éviter les aléas et les contraintes des trajets en compagnie
des caravanes. Surtout, à la différence de Rohlfs qui fait le choix du turban
dès son départ de Tanger, Lenz commence son voyage sous le costume européen. Ce
n’est qu’une fois arrivé à Marrakech qu’il adopte le costume arabe :

>  * 18 O. LENZ, Timbouctou, op.cit., p. 290-291.
> 
> Pendant les derniers jours de ma présence à Marrakech, je m’étais constamment
> servie du costume maure ; depuis je le portai définitivement ; je changeai
> également de nom, et me fis appeler Hakim Ben Omar ben Ali ; Hakim est le nom
> générique des lettrés et désigne spécialement un médecin. Mes gens avaient
> ordre de ne me nommer que par ce nom (…) ce déguisement me parut la forme la
> plus acceptable qui put justifier mon extérieur fort peu oriental.18

 * 19 Ibid., p. 304.
 * 20 Ibid., p. 104.
 * 21 Ibid., p. 240.

18C’est également à partir de Marrakech qu’il choisit de se faire accompagner en
plus de ses habituels compagnons de voyage par une escorte choisie parmi les
populations locales pour remplacer celle fournie par le sultan. Lenz change donc
complètement sa manière de voyager, montrant ainsi qu’il a conscience de
pénétrer dans un espace différent de celui parcouru jusque là. Comment cet
espace est-il perçu et caractérisé ? Lenz postule l’existence d’une frontière
politique : au-delà de Marrakech, il estime être dans le pays « des Chelouh
audacieux et pillards qui bravent depuis des siècles la souveraineté du peuple
arabe »19 et ainsi sortir des limites où s’exerce le pouvoir du sultan. Il
considère donc que ces zones n’appartiennent plus au Maroc : « Tant que je
voyageai à l’intérieur du Maroc, je conservai mon nom et mon costume européen ;
plus tard, je changeai aussi bien l’un que l’autre »20. Cette frontière
politique se double d’une frontière de civilisation : la « puissante chaîne de
l’Atlas, avec sa nature sauvage et ses habitants indomptés et pillards »21 ne
peut appartenir à un espace politique où s’exerce une souveraineté certes
imparfaite, mais d’une certaine manière légitime. Si sa pratique de l’espace est
différente suivant les milieux traversés, sa vision du Maroc est semblable à
celle de ces prédécesseurs : il établit un lien entre sécurité et civilisation
sans offrir de lecture réellement ethnographique, et la proposition de
« frontière » qu’il formule est entièrement calquée sur la vision sultanienne.

19Ces premiers voyages d’exploration sont donc des étapes essentielles pour la
connaissance géographique du Maroc : des zones non parcourues jusqu’ici ont été
mises en carte et de nombreuses positions ont été établies. La pratique même du
voyage s’est elle aussi transformée : bien qu’ils ne voyagent pas encore sans
autorisation du sultan, Rohlfs et Lenz n’ont pas toujours été encadrés par des
escortes et ont pu se déplacer quasiment en solitaire – ou du moins choisir
librement leurs trajets –, ne tenant compte que des contingences imposées par la
sécurité. Ils ont donc une pratique personnelle de l’espace, vécue avec une
médiation limitée, le choix du déguisement leur permettant de prétendre à un
regard débarrassé, le temps de l’exploration, de leur condition d’Européen.

 * 22 Lenz voyage sous l’égide de la Société africaniste allemande.
 * 23 Voir notamment les deux lettres de Lenz à Duveyrier, publiées dans le
   Bulletin de la Société de géo (...)
 * 24 La Mission militaire française présente au Maroc à partir de 1877 afin
   d’aider le sultan à réformer (...)

20Les représentations du Maroc n’en sont cependant pas encore réellement
affectées, pour deux raisons principales. Rohlfs et Lenz ont d’une part tous
deux des liens étroits avec l’Europe, y compris pendant leur exploration.
Subventionnés, voire mandatés par des sociétés savantes22, ils sont également en
lien avec les sociétés de géographie européennes – Lenz fait ainsi régulièrement
parvenir à la Société de géographie de Paris des lettres l’informant de
l’avancée de son voyage23. Leurs voyages gardent aussi un caractère
« officiel », malgré les tentatives de travestissement de leurs auteurs : grâce
aux lettres de recommandation du sultan ou de grands personnages religieux, des
rapports diplomatiques ou des escortes officielles, les autorités européennes et
marocaines peuvent suivre les voyageurs sur le terrain24. D’un point de vue de
la lecture de l’espace d’autre part, ces deux voyageurs, s’ils l’ont ressentie,
n’ont pas encore perçu ni compris la spécificité spatiale, ethnographique et
politique du Maroc, en raison d’un manque d’expérience du pays et d’un regard
encore trop éloigné, qui peuvent en partie s’expliquer par le fait que le Maroc
n’était pour eux qu’une étape dans des voyages aux plus larges ambitions.


LA PRÉPARATION DU VOYAGE DE CHARLES DE FOUCAULD

Figure 4. Portrait de Charles de Foucauld à Alger, à l’âge de 24 ans

Zoom Original (jpeg, 144k)
 * 25 Voir le dossier personnel de Foucauld conservé au SHD sous la cote Yh 130.
 * 26 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 142.

21Sur tous ces aspects, le voyage réalisé pendant près de onze mois par Charles
de Foucauld contraste fortement. Il a tout d’abord été préparé d’une façon plus
approfondie, à partir du terrain algérien, au cœur d’enjeux dépassant ceux de la
simple connaissance. Le premier contact de Foucauld avec le Maroc est en effet à
resituer dans une perspective militaire. Le jeune officier médiocrement sorti de
l’école d’application de cavalerie de Saumur est envoyé en 1880 avec son
régiment à Alger ; suite à des problèmes d’indiscipline, il est renvoyé de
l’armée peu de temps après25. Revenu en France, il demande sa réintégration en
mai 1881, au moment de l’insurrection de Bou Amama et des expéditions menées
dans le Sud-Oranais. Il mène alors huit mois de campagne aux côtés d’Henry de
Castries, chef de brigade topographique, et du lieutenant Laperrine, futur
fondateur de la compagnie des méharistes du Sahara. Selon Daniel Nordman, il est
vraisemblable qu’il soit parvenu au cours de cette campagne jusqu’à l’oasis de
Figuig, important enjeu des relations algéro-marocaines ; quoiqu’il en soit,
Foucauld est sur le terrain au moment où « une très forte poussée, oranaise et
militaire, s’exerce alors, à travers les confins, vers le Maroc (…) à la fois
freinée et suscitée par l’agitation des tribus »26. Mais la conscience qu’a pu
avoir l’auteur de l’existence d’un enjeu politique marocain n’explique pas la
totalité du projet de voyage – ce serait également donner plus de poids qu’ils
ne le méritent aux tenants de l’idée d’un Foucauld espion travaillant au service
des autorités françaises.

 * 27 Dès 1835, le Gouvernement d’Alger décide la création d’une bibliothèque
   qui ouvre ses portes en 183 (...)
 * 28 Mac Carthy a également conseillé et guidé le jeune Duveyrier, ainsi que
   Soleillet et Flatters. Fouc (...)
 * 29 Le témoignage d’Augustin Bernard est particulièrement éclairant : « J’ai
   connu de Foucauld à Alger (...)

22La préparation théorique du voyage est également fondamentale – et c’est un
autre point de divergence avec les précédents voyageurs. A Alger, Foucauld
fréquente le milieu intellectuel et scientifique local qui, par sa proximité
avec le Maroc, apparaît de plus en plus comme le relais naturel de l’entreprise
d’exploration du pays. Le territoire algérien est en outre, dès les années 1840,
l’objet d’une appropriation scientifique déployée dans plusieurs domaines que
mènent des acteurs dont le point commun est leur professionnalisme : la
production savante sur l’Algérie dans la seconde moitié du XIXe siècle est
fortement institutionnalisée, notamment autour de la bibliothèque du musée
d’Alger et de ses conservateurs, Adrien Berbrugger27 puis, à partir de 1869,
Oscar Mac Carthy. L’influence exercée par ce dernier sur les voyageurs est
décisive28. Spécialiste de l’Algérie, président de la Société de géographie
d’Alger et membre de celle d’Oran, le conservateur est un des éléments
essentiels du pouvoir scientifique de la colonie ; il est également l’auteur en
1881 d’une carte du Sud-Oranais et d’une partie du Maroc, où figurent le
territoire marocain jusqu’à la longitude de Fès ainsi que les itinéraires de
Caillié et de Rohlfs. Mac Carthy joue un rôle essentiel dans le voyage de
Foucauld : c’est vraisemblablement lui qui suggère au jeune officier
démissionnaire le Maroc comme terrain d’exploration et qui lui conseille d’y
voyager déguisé. Il lui donne ensuite les moyens de réaliser son projet en le
guidant dans ses lectures, et en lui présentant celui qui sera son guide, le
rabbin Mardochée29.

 * 30 Sur les liens particuliers entretenus par Foucauld et Duveyrier, voir
   infra. Se reporter également (...)

23Les conseils donnés sont à la fois d’ordre théorique et pratique. Sur le plan
proprement intellectuel, Foucauld a pu prendre connaissance des principales
références érudites existant sur le Maroc : Ptolémée, Ibn Khaldoun, Ali Bey,
Caillié, Carette, Rohlfs et Lenz sont cités dans la Reconnaissance. Sur un plan
plus pratique, il apprend l’arabe, un peu de berbère et d’hébreu. Lors de la
préparation du voyage, Foucauld est donc totalement inséré dans les réseaux
scientifiques de la jeune colonie algérienne : ce sont ces milieux algérois et
oranais qui ont exercé la plus forte influence sur lui et l’ont poussé à
l’action. Les contacts et les appuis que Foucauld a trouvés en métropole
renvoient également indirectement au terrain algérien : son plus grand soutien
est en effet Henri Duveyrier, ancien explorateur du Sahara, excellent
connaisseur des enjeux de la région, qui occupe à cette époque des fonctions
centrales au sein de la Société de géographie de Paris, se trouvant par là même
au cœur de la science officielle ainsi que de ses réseaux européens30.

24Enfin, l’exploration menée par Foucauld se distingue des précédentes dans les
conditions propres du voyage. Le choix de l’itinéraire, d’une part, est purement
marocain (figure 5), alors que le Maroc n’était jusque là parcouru que comme la
porte d’entrée d’une Afrique mystérieuse ou comme le point de départ de voyages
orientaux aux plus larges ambitions.

Figure 5. Itinéraire de Charles de Foucauld

Zoom Original (jpeg, 688k)

25Foucauld privilégie également l’exploration des montagnes marocaines : trop
connues, les plaines ne l’intéressent pas ; à l’inverse, les zones de relief ne
sont jamais perdues de vue, qu’elles soient traversées ou simplement longées :

>  * 31 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. XI. Les passages soulignés
>    par nous mettent en valeur (...)
> 
> Tanger, Tétouan : de là, gagner Fâs par une route plus orientale que celles
> suivies jusqu’alors ; de Fâs aller au Tâdla en traversant le massif montagneux
> occupé par les Zemmour Chellaha et les Zaïan ; parcourir le Tâdla ; gagner
> l’Ouad el Abid, passer à Demnât ; franchir le Grand Atlas à l’est des cols
> déjà explorés, gagner le Sahara Marocain et en reconnaître autant que possible
> la vaste portion encore inconnue, c’est-à-dire le versant méridional du Petit
> Atlas et la région comprise entre cette chaîne, l’Ouad Dra et le Sahel; puis
> voir le bassin du Haut Dra et les affluents de droite du Ziz ; de là revenir
> vers la frontière algérienne en franchissant une seconde fois le Grand Atlas
> et en explorant le cours de l’Ouad Mlouïa : comme dernières étapes, Debdou,
> Oudjda, Lalla Marnia.31

26Pour affronter ces espaces réputés difficiles en termes physiques et humains,
Foucauld choisit d’autre part de voyager déguisé, en compagnie d’un guide qu’il
garde tout au long du parcours. Nous l’avons vu, Foucauld n’est pas le premier à
voyager ainsi travesti au Maroc. Il se distingue cependant par le choix de
voyager sous l’identité d’un rabbin :

>  * 32 Ibid., p. X.
> 
> Il n’y a que deux religions au Maroc. Il fallait à tout prix être de l’une
> d’elles. Serait-on Musulman ou Juif ? Coifferait-on le turban ou le bonnet
> noir ? René Caillié, MM. Rohlfs et Lenz avaient tous opté pour le turban. Je
> me décidai au contraire pour le bonnet. (…) je jetai les yeux sur le costume
> israélite. Il me semblait que ce dernier, en m’abaissant, me ferait passer
> plus inaperçu, me donnerai plus de liberté. Je ne me trompai pas. Durant tout
> mon voyage, je gardai ce déguisement et je n’eus lieu que de m’en féliciter.32

 * 33 On en retrouve notamment traces dans les archives de la Société de
   géographie, conservées à la Bibl (...)

27La question du choix du déguisement fait débat jusque dans les sociétés de
géographie européennes33. La plupart des voyageurs choisissent le costume
musulman, généralement adopté sur les terrains orientaux. Les principaux
arguments avancés sont la difficulté de maîtriser les pratiques religieuses
juives et le mépris dont les juifs sont généralement victimes. C’est justement
ce dernier point qui décide Foucauld à voyager sous l’identité d’un rabbin : les
juifs étant une population minoritaire et déconsidérée dans le pays, cantonnée
dans des quartiers à part et vivant à côté des musulmans sans les fréquenter,
passer pour l’un d’eux est une garantie de tranquillité et un bon moyen de ne
pas attirer l’attention des musulmans, supposés être fanatiques envers les
chrétiens :

>  * 34 C. de FOUCAULD, Reconnaissance…, op.cit., p. X.
> 
> S[i le bonnet noir] m’attira parfois de petites avanies, j’en fus dédommagé,
> ayant toujours mes aises pour travailler : pendant les séjours, il m’était
> facile, dans l’ombre des mellahs, et de faire mes observations astronomiques
> et d’écrire des nuits entières pour compléter mes notes ; dans les marches,
> nul ne faisait attention, nul ne daignait parler au pauvre Juif qui, pendant
> ce temps, consultait tour à tour boussole, montre, baromètre, et relevait le
> chemin qu’on suivait ; de plus, en tous lieux, j’obtenais par mes « cousins »
> comme s’appellent entre eux les Juifs du Maroc, des renseignements sincères et
> détaillés sur la région où je me trouvais. Enfin, j’excitais peu de soupçons :
> mon mauvais accent aurait pu en faire naître ; mais ne sait-on pas qu’il y a
> des Israélites de tous pays ?34

 * 35 Tradition ancienne, la protection est définie pour la première fois dans
   le traité anglo-marocaine (...)
 * 36 « En général, les Juifs marocains, tous commerçants, appelés fréquemment
   par leurs affaires soit da (...)

28Le choix du costume israélite peut aussi se justifier par le fait que la
population juive est pour une partie d’entre elle régulièrement au contact des
Européens – ce dernier élément expliquant que les consuls le recommandent
généralement. Les juifs assurent en effet souvent des fonctions commerciales,
jouant le rôle d’intermédiaires dans le commerce arabo-européen. Certains juifs
bénéficient du statut privilégié de protégés, semblable à celui des
capitulations, qui les éloigne du pouvoir marocain en les plaçant sous
protection consulaire35, ce qui leur confère une réelle proximité avec les
milieux diplomatiques pour lesquels ils travaillent souvent comme drogmans36.

 * 37 Voir Jacob OLIEL, De Jérusalem à Tombouctou. L’odyssée saharienne du
   rabbin Mardochée, Paris, Olbia (...)

29Le rabbin Mardochée37, compagnon de Foucauld, incarne bien cette catégorie de
juifs au contact des diplomates et, plus largement, au service des Européens.

Figure 6. Portrait de Mardochée Aby Serour

Zoom Original (jpeg, 276k)
 * 38 « C’est donc un simple devoir que je remplis aujourd’hui, en soumettant à
   l’appréciation de mes che (...)
 * 39 J. OLIEL, De Jérusalem à Tombouctou, op. cit., p. 108.
 * 40 C’est Beaumier lui-même qui le lui délivre à Mogador à son retour de
   France. A son propos, le consu (...)
 * 41 Henri DUVEYRIER, « De Mogador au Djebel Tabayoudt par le rabbin Mardochée
   Abi Serour. Résumé du voy (...)
 * 42 L’utilisation d’intermédiaires locaux est très répandue et se développe en
   même temps que l’orienta (...)

30Né dans la vallée du Drâa au sein d’une famille de bijoutiers en 1830,
Mardochée Aby Serour (figure 6) est rapidement repéré pour ses aptitudes
intellectuelles et envoyé à l’âge de treize ans étudier dans une école
rabbinique de Jérusalem, ce qui lui donne l’occasion de fréquenter les
communautés juives du nord et du sud de la Méditerranée. De retour au Maroc en
1858, il se lance dans le commerce transsaharien, ce qui le conduit à
Tombouctou, cité en principe interdite aux non-musulmans. Revenu au Maroc suite
à une faillite, il rencontre le consul de France à Mogador Auguste Beaumier qui
recueille ses informations sur les routes commerciales et le signale aux
sociétés savantes parisiennes38. Sur le terrain, le consul français s’attache
dès lors à faire de Mardochée l’auxiliaire de la géographie française : il lui
apprend le français, le maniement des instruments de mesure et lui confie des
missions d’observation dans le sud du Maroc. Le rabbin complète ses
connaissances à Mogador avant de séjourner à Paris en mai 1874 et d’enrichir
encore sa compétence scientifique auprès de Maunoir et de Duveyrier. Devenu « le
nouveau héros exotique et attachant qui fait rêver à une Afrique extraordinaire
et inaccessible »39, objet de toutes les attentions, Mardochée peut désormais
être employé par la Société de géographie. Il est reconnu par les autorités
françaises, qui lui donnent le statut et le passeport de protégé en 187440. Il
effectue alors des missions sur le terrain41 avant de se voir confier en 1879,
pour le compte de la Société de géographie, un voyage à Tombouctou en lien avec
la Commission supérieure du transsaharien. Après ce voyage, le rabbin, alors
véritable instrument de la géographie au service des Français42, retombe un peu
dans l’oubli : installé à Alger où il dirige une école rabbinique en 1880, il
est cependant rapidement présenté par Oscar Mac Carthy à Foucauld, qui décide
d’en faire son compagnon pendant tout le voyage moyennant un contrat et un
salaire mensuel de 270 francs.

 * 43 « Le jour, j’épiais le moment où personne n’était sur la terrasse de la
   maison ; j’y transportais m (...)

31Le rôle joué par Mardochée est crucial dans le déroulement et la réussite du
voyage de Foucauld. A la fois guide et protecteur, garde du corps et
interprète43, le rabbin met à la disposition du voyageur son intime connaissance
du pays, de son fonctionnement, mais aussi de la communauté juive du Maroc. Les
deux hommes ne nouent cependant pas de liens particuliers : pendant les onze
mois du périple, leur relation reste inscrite dans un cadre contractuel –
contrat d’ailleurs âprement négocié pendant des semaines, l’explorateur
n’acceptant finalement la présence du rabbin à ses côtés que sous la pression de
sa famille. Au retour du voyage, le contrat désormais caduc, les deux hommes se
séparent dès le passage de la frontière algérienne en mai 1884 : Mardochée
s’arrête à Lalla Maghnia et ne rentre pas à Alger avec Foucauld, qui y connaît
un retour triomphal. Dès lors, les chemins du vrai et du faux rabbin divergent.
Lors de la remise de la médaille d’or de la Société de géographie de Paris en
1885, le compagnon de Foucauld n’est en effet jamais cité, tandis que la
Reconnaissance ne lui accorde qu’une place minime, celle de simple auxiliaire
d’un parcours aux plus importantes ambitions.

 * 44 « …vivre constamment avec les Juifs marocains, gens méprisables et
   répugnants entre tous, sauf de r (...)
 * 45 « Malgré tant de précautions, je ne prétends pas que mon déguisement ait
   été impénétrable. Dans les (...)

32La réussite du voyage de Foucauld tient donc en majeure partie à la solidité
du dispositif construit autour de lui, destiné dès avant le départ à garantir
les meilleures conditions de parcours et d’observation. Le choix de voyager
déguisé et en compagnie de Mardochée répondent à des buts strictement
utilitaires. Le déguisement n’a pas d’autre valeur que celle de perdre pour un
temps son identité et de passer inaperçu ; il n’est pas de plaisir au
travestissement, bien au contraire44. Même s’il a évidemment été reconnu à
plusieurs reprises comme Européen au cours du voyage45, les stratagèmes destinés
à tenter de se réduire à un simple regard ont atteint leur but : pendant
l’exploration, mis à part lors du séjour à Mogador entre janvier et mars 1884,
Foucauld a réussi à disparaître totalement, les autorités ayant véritablement
perdu sa trace. Désormais anonyme, il est un voyageur parmi d’autres qui
parcourt le terrain au gré des contraintes que celui-ci impose, et peut dès lors
l’appréhender dans sa pleine réalité.


LA CONSTRUCTION D’UNE REPRÉSENTATIONS DE L’ESPACE MAROCAIN

33L’apport de la Reconnaissance, nous l’avons dit en introduction, est double.
D’une part, Foucauld rapporte en Europe un important matériel cartographique et
géographique, facilement quantifiable. D’autre part, grâce à sa pratique
particulière de l’espace, il a pu saisir et mettre en mot la dichotomie de
l’espace marocain, c’est-à-dire l’existence de deux types d’espaces
différenciés. Sur quels critères se fonde-t-il  pour établir la distinction
entre blad es sība et blad el makhzen ? Deux éléments sont associés, comme on
peut le voir dans ce passage dans la région des Aït Atab, peu après Ouarzazate :

>  * 46 Ibid., p. 75.
> 
> Me voici en blad el makhzen, pour la première fois depuis Meknâs. En passant
> la rivière, je suis entré sur le territoire des Entifa, tribu soumise. Ici,
> plus de zetat, plus d’escorte ; on voyage seul en sûreté.46

 * 47 « Dans cette contrée, comme dans le blad es sība tout entier, on ne va
   jamais sans armes », ibid., (...)
 * 48 « Le pays est sûr ; on est en blad el makhzen », ibid., p. 76.
 * 49 Abdelahad SEBTI, « Insécurité et figures de la protection au XIXe siècle;
   la “ztāta” et son vocabul (...)
 * 50 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. 7.

34Le premier critère est directement issu des conditions du parcours : il s’agit
de la sécurité du voyageur. L’insécurité domine en bled es sība et la présence
des coupeurs de route est fréquente47 ; à l’inverse, le pays makhzen est
considéré comme sûr48. De fait, comme il l’annonce dans son avant-propos, il est
nécessaire en sība de voyager déguisé et d’être accompagné par un zetat,
c’est-à-dire un homme issu de la tribu traversée, qui, moyennant paiement,
accepte d’escorter le voyageur et de lui fournir l’anaïa, la protection, afin de
garantir sa sécurité.  Il s’agit ici d’une pratique judiciaire ancienne et
codifiée49 que Foucauld présente dès le début de sa route, au moment de son
excursion à Chefchaouen dans la région du Rif : « Un jeune homme du village où
nous avons passé la nuit nous accompagne : son père, qui, moyennant une faible
rétribution, nous a accordé son anaïa, nous le donne pour nous servir de
zetat »50. En note, l’auteur précise le fonctionnement du système :

>  * 51 Ibid., p. 7-8.
> 
> Dans toutes les tribus indépendantes du Maroc, ainsi que dans celles qui sont
> imparfaitement soumises, la manière de voyager est la même. On demande à un
> membre de la tribu de vous accorder son anaïa, ‘protection’, et de vous faire
> parvenir en sécurité à tel endroit que l’on désigne : il s’y engage moyennant
> un prix que l’on débat avec lui, zetata : la somme fixée, il vous conduit ou
> vous fait conduire par un ou plusieurs hommes jusqu’au lieu convenu ; là, on
> ne vous laisse qu’en mains sûres, chez des amis auxquels on vous recommande.
> (…) On passe de la sorte de main en main jusqu’à l’arrivée au terme du voyage.
> Ceux qui composent l’escorte sont appelés zetat ; leur nombre est extrêmement
> variable.51

 * 52 Ibid., p. 40.
 * 53 Aux côtés du makhzen sultanien, de l’administration centrale, de petits
   makhzen fonctionnent dans c (...)
 * 54 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. 24.
 * 55 Ibid., p. 40.

35Deux espaces s’opposent donc suivant le degré de sécurité qui y règne,
nécessitant des moyens différents pour les parcourir : zetat en sība, simple
escorte ou guide en pays makhzen. Un autre critère de différenciation apparaît,
celui de la soumission au pouvoir sultanien. Ce critère politique est
fondamental : il est à l’origine même des dénominations choisies. Le terme
makhzen définit en effet à l’origine le magasin, c’est-à-dire le lieu où est
conservé l’impôt ; depuis la dynastie saadienne, il désigne par extension le
groupe de personnes au service du sultan, et plus largement l’administration
chérifienne. A l’inverse, le mot sība peut être traduit par le terme dissidence
– on trouve également parfois celui de rébellion. Le pays makhzen est donc
synonyme des « Etats du sultan »52 où s’exerce un pouvoir décentralisé sous la
responsabilité de caïds nommés par le pouvoir central afin de faire régner
l’ordre, de rendre la justice et de lever des impôts53 : « il n’y a points de
grand commandement dans le blad el makhzen. Jamais plusieurs tribus
considérables, plusieurs villes ne sont réunies sous l’autorité d’un seul ;
chaque tribu de quelque importance, chaque cité, chaque province a son qaïd,
nommé directement par le sultan et ne relevant que de lui »54; ces
fonctionnaires n’existent pas en pays sība, qualifié par Foucauld de « pays
libre »55.

36L’analyse de Foucauld est donc extrêmement empirique et fondée sur deux
éléments relativement faciles à repérer. Cette dichotomie est centrale dans
l’ouvrage : elle est constamment mentionnée, l’auteur caractérisant de façon
systématique l’espace dans lequel il se trouve. La limite entre les deux pays
est clairement inscrite sur le terrain, et, quand il la franchit, Foucauld ne
manque pas de la relever. Elle conditionne également la rédaction de l’ouvrage
dans la mesure où les deux types d’espace ne sont pas appréhendés selon le même
schéma.

 * 56 Notamment à Tisint : « L’un d’entre eux, le Hadj Bou Rhim ould Bou Rzaq,
   devint dans la suite pour (...)

37L’auteur applique ainsi deux plans différents pour la description scientifique
et topographique des paysages concernés. Pour le pays makhzen, le schéma de
rédaction est le suivant : heure du départ, situation du pays, description de
l’itinéraire et allure générale de la route, le sol et le relief,
l’enregistrement des modifications du paysage, le nombre de voyageurs rencontrés
et enfin une description sommaire des villes et villages traversés. Lors de la
traversée de la sība, le schéma général connaît quelques modifications : le nom
de(s) tribu(s) est mentionné, ainsi que l’état politique du pays ; le territoire
est toujours situé et délimité en fonction des tribus voisines, également
nommées ; enfin, la population est évaluée, ainsi que le nombre de fusils.
Foucauld insiste donc davantage sur les hommes lorsqu’il traverse des régions
insoumises : escortes, pouvoirs locaux, populations, sont soigneusement décrits.
Il consacre également plus d’attention à la description des villages et de leurs
activités, et à l’histoire locale. Les liens d’homme à homme paraissent donc
plus importants en pays insoumis. La raison est peut-être simplement due au fait
que Foucauld effectue des séjours plus longs dans les tribus qu’en bled makhzen,
tribus sur lesquelles on dispose en outre de moins d’informations puisqu’elles
sont moins bien traitées par la littérature antérieure. Enfin, le système du
zetat permet de nouer de vrais liens particuliers, notamment avec les
personnages importants des tribus traversées : des contacts, voire de réelles
amitiés, peuvent ainsi s’établir en toute confiance, permettant l’existence de
vrais dialogues56.

 * 57 « Un mkhazni à cheval m’a escorté de Qaçba el Aïoun à Oudjda ; un autre
   m’accompagnera d’Oudjda à l (...)
 * 58 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 164.

38La distinction entre deux types d’espaces est donc clairement formulée dans la
Reconnaissance ; elle est également, comme nous l’avons dit, clairement inscrite
sur le terrain. Foucauld n’en fait cependant pas un critère systématique : il
adopte un point de vue très nuancé. Il apparaît par exemple que l’insécurité
n’est pas limitée aux pays de sība. Foucauld mentionne à plusieurs reprises les
dangers existant en pays soumis où il est parfois nécessaire, en raison de la
présence de pillards et d’hommes armés, de voyager accompagné d’une escorte
parfois fournie par le sultan57. L’auteur établit également des nuances dans les
liens qui existent avec le pouvoir sultanien : il ne relève que peu de secteurs
sība sans relations avec le pouvoir central, essentiellement dans les régions du
Sud ; la plupart du temps, Foucauld reconnaît l’existence de ce qu’il appelle
une « suzeraineté » ou une « autorité nominale » qui passe notamment par l’envoi
de cadeaux et, dans certains cas, par l’envoi de contingents armés par les
tribus. L’observation menée par l’explorateur est donc équilibrée et la division
entre makhzen et sība n’est jamais systématisée. Elle n’a pas non plus de rôle
déterminant ni même une fonction opératoire. Le raisonnement de Foucauld reste
dans le cadre de l’analyse politique classique : le statut de l’espace est pensé
selon la place qu’il occupe dans un système centralisé autour de l’Etat
chérifien. L’empire du Maroc n’est donc pas analysé différemment d’un Etat
européen classique et sur ce point l’auteur « passe alors à côté de
l’originalité de l’Etat maghrébin »58. De la même façon, il n’a jamais été
question pour l’auteur d’établir au travers du clivage makhzen/sība une
quelconque opposition entre Arabes et Berbères, nous y reviendrons.

 * 59 « Mes instruments étaient une boussole, une montre et un baromètre de
   poche, pour relever la route  (...)
 * 60 « En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres carrés caché
   dans le creux de la main (...)

39Le voyage de Foucauld est donc à bien des égards original et novateur. Parti
sur ses propres fonds, voyageur anonyme dans un Maroc encore largement inconnu,
l’auteur reste en dehors des habituels circuits d’encadrement des voyages. Si
son bagage est réduit à un appareillage sommaire caché dans une besace de
fabrication locale59, à des carnets de cinq centimètres sur sept et à de
minuscules crayons dissimulés sous son habit60, son bagage théorique et sa
connaissance pratique impressionnent. Le retour du voyageur ne se fera cependant
pas avec cette même discrétion : Foucauld devient une véritable figure de
l’exploration marocaine tandis que la Reconnaissance est largement utilisée sur
un plan politique.


LA POSTÉRITÉ DU VOYAGE

40Le retour de Foucauld à Alger, puis en métropole, fait grand bruit. Sortant de
l’anonymat de son voyage, l’exploit du voyageur est salué par les milieux
géographiques comme en témoigne l’allocution de Duveyrier lors de la remise de
la Médaille d’or de la Société de géographie en 1885 :

>  * 61 H. DUVEYRIER, « Rapport fait à la Société de géographie à propos du
>    voyage de M. le Vicomte Charles (...)
> 
> Il l’a accompli, sans l’aide du gouvernement, à ses frais, et en faisant avec
> le sacrifice de son avenir dans la carrière militaire un autre sacrifice plus
> grand encore, si possible. Il s’est résigné à voyager sous le travestissement
> du juif, au milieu de populations qui considèrent le juif comme un être utile,
> mais inférieur. Prenant bravement ce rôle, il a fait abnégation absolue de son
> bien-être, et c’est sans tente, sans lit, presque sans bagages, qu’il a
> travaillé pendant onze mois chez des peuples qui, ayant plus d’une fois
> démasqué l’acteur, l’ont, à deux ou trois reprises, placé en face du châtiment
> qu’il méritait, c’est-à-dire la mort.61

 * 62 Felix DRIVER, Geography militant. Cultures of Exploration and Empire,
   Oxford, Blackwell, 2001, 258 (...)
 * 63 H. DUVEYRIER, « L’Afrique nécrologique », Bulletin de la Société de
   géographie, juillet-décembre 18 (...)

41Dans l’immédiat, ce sont les conditions dans lesquelles l’exploration s’est
accomplie qui suscitent le plus l’admiration. La rhétorique, notamment celle du
sacrifice, est classique pour l’époque et le contexte : le voyage de Foucauld
s’inscrit dans le moment de la « géographie militante »62. La discipline, en
train de se constituer sur le plan scientifique et institutionnel, bénéficie
d’une audience grandissante auprès d’un large public et les exploits des
explorateurs remplissent les pages des nombreux périodiques spécialisés. Divers
éléments, comme la publication en 1872 de l’article de Duveyrier consacré au
souvenir des explorateurs disparus en Afrique63 ou l’émotion suscitée par le
massacre de la mission Flatters en 1880, créent des conditions favorables à
l’héroïsation de ces acteurs, par ailleurs éléments centraux de la geste
coloniale en construction. Une part du mythe de Foucauld se construit donc au
moment de son retour grâce aux milieux géographiques qui soulignent l’exploit
personnel que représente un tel périple, le récompensant en conséquence.

 * 64 Les papiers de Duveyrier, conservés aux Archives Nationales sous la cote
   47 AP 11, contiennent une (...)

42À partir de la publication de son premier article dans le Bulletin de la
Société de géographie en 1887 puis après celle de la Reconnaissance l’année
suivante, les revues européennes64 saluent l’avancée que constitue le voyage sur
le plan de la connaissance du Maroc. Toutes soulignent la possibilité de
compléter les cartes existantes et se félicitent que certaines régions jusque là
inconnues soient éclairées sous un jour nouveau. Elles mettent en avant surtout
la valeur scientifique des travaux et du matériel rapporté : la quantité et la
qualité des observations astronomiques, la précision des descriptions, les
panoramas et les croquis réalisés par l’auteur sont unanimement loués. De la
même façon, la carte et l’atlas deviennent rapidement de vrais outils de
travail. Il semble qu’une étape ait été franchie dans la connaissance du pays ;
ce n’est plus seulement l’exploit personnel qui est mis en avant, mais bien la
scientificité et la rigueur du récit :

>  * 65 « Compte-rendu de la Reconnaissance au Maroc par le vicomte Charles de
>    Foucauld », Petermanns Mitte (...)
> 
> La relation de voyage (…) met en lumière l’importance de son voyage au Maroc
> (…) sans que l’auteur s’y glorifie ni emploie de phrases pompeuses. De même
> que son voyage a ouvert la voie dans l’exploration du Maroc, son livre
> transforme et assied notre connaissance du pays. Sans se laisser aller à
> raconter les choses qu’il a vécues et ses aventures, qui n’ont certainement
> pas manqué, de Foucauld fait sous la forme d’un journal le tableau des
> contrées qu’il a parcourues et de leur population.65

43L’explorateur a ainsi multiplié les données disponibles sur la géographie du
Maroc. Il a également simplifié les grandes lignes de l’organisation de
l’espace, en formulant notamment la division de l’Atlas en trois chaînes. Parmi
les éléments retenus, la dichotomie de l’espace marocain formulée par
l’explorateur n’apparaît cependant pas comme un des éléments essentiels. Le
discours ethnographique qui la sous-tend est à l’inverse repris, faisant l’objet
de plusieurs interprétations construites dans une optique géopolitique
particulière.

 * 66 Charles-Robert AGERON, « Du mythe kabyle aux politiques berbères », dans
   Le Mal de voir. Ethnologie (...)
 * 67 BNF, Cartes et Plans, Archives de la Société de géographie de Paris, colis
   n° 15, n° 2629.
 * 68 La lettre est publiée dans le Compte-rendu des séances de la Société de
   Géographie et de la Commiss (...)
 * 69 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 172. Sur les corrections
   et les modifications dans (...)

44Certaines interprétations immédiates de Foucauld, en particulier celle de
Duveyrier, ont en effet vu dans la Reconnaissance le postulat de l’existence
d’une catégorie berbère dans laquelle rentreraient les tribus indépendantes du
Maroc. Ces commentaires s’inspirent de la vulgate existant en Algérie depuis les
années 1850 à propos des Kabyles, qui tend à postuler l’idée d’une identité
berbère large – cette dernière justifierait la mise en place de politiques
différentes vis-à-vis de ces populations spécifiques66. Or Foucauld n’a jamais
perçu une quelconque unité berbère et, plus encore, le terme n’apparaît pas dans
la Reconnaissance : l’expérience du terrain qu’il a menée contredit cette
généralisation, qui est une construction politique et ethnographique de toutes
pièces. La relation de voyage tend pourtant à être utilisée à cette fin, quitte
à ce que les propos de l’auteur soient délibérément transformés. Daniel Nordman
relève ainsi la différence qui existe entre une lettre manuscrite de Foucauld en
date du 17 juin 1884 envoyée à la Société de géographie67 et la publication de
celle-ci dans les colonnes du Bulletin68. Cette lettre privée est le résumé par
l’auteur des résultats de son voyage. Lorsqu’il parle des populations de
l’Atlas, il met les noms des tribus entre guillemets (figure 7) ; or, ces
guillemets ont disparu dans la publication : « le crayon du correcteur chargé de
préparer le texte pour l’imprimerie les a délibérément rayés »69.

Figure 7. Extrait d’une lettre envoyée par Charles de Foucauld à la Société de
géographie, 1884 (BNF, Cartes et Plans, Archives de la Société de géographie de
Paris, colis n° 15, n° 2629)

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 * 70 Ce travail semble être le plus ancien, le projet de carte étant daté du 6
   mars 1885, et signé « Hen (...)

45La Reconnaissance tend donc à être insérée dans un ensemble de savoirs plus
larges et immédiatement accessibles, à valeur instrumentale. On trouve dans les
archives de la Société de géographie deux cartes manuscrites à l’état de
brouillon, réalisées par Duveyrier. Ces documents de travail, dont nous ne
savons pas en l’état actuel de la documentation consultée s’ils ont donné lieu à
une publication, ont été établis entre 1885 et 1889. Le premier est constitué de
deux cartes, retravaillées l’une sur l’autre ; deux titres sont donc
mentionnés : « Les révoltes au Maroc du 10 février au 5 mars 1885 »70, puis, au
dessus, « Situation politique au Maroc, 1er mars 1885 1889 ». Le second reprend
ce dernier titre, barré (figure 8).

Figure 8. Carte préparatoire d’Henri Duveyrier, BNF, Cartes et plans, Archives
de la Société de géographie, carton DU-EY, série 392.

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 * 71 Cette mention ne figure pas sur le premier document.

46Ces deux documents s’appuient sur les travaux de Foucauld puisque les tribus
cartographiées sont celles que l’explorateur a signalées comme insoumises en les
traversant. Sur le second document, deux éléments retiennent notre attention.
D’une part, Duveyrier mentionne les noms et la délimitation spatiale des tribus
révoltées mais les caractérise d’une façon générale par le terme de « Berâber »,
dont il demande la gravure sur une zone correspondant au Moyen Atlas71 : nous
sommes donc là dans la même volonté de schématisation et de généralisation que
celle précédemment énoncée. D’autre part, en marge et au crayon, il précise « ne
pas graver, sur la carte, le mot Maroc » : Duveyrier veut-il montrer que le
Maroc oriental immédiatement limitrophe de l’Algérie n’est plus, dans sa
majorité, sous contrôle de l’État chérifien ? Le caractère politique de cette
mention fait peu de doute, d’autant que les tribus révoltées sont désignées par
le terme « indépendantes ». L’auteur semble donc ici apporter ici une pierre à
l’édifice qui postule la déliquescence de l’empire marocain et souligne les
difficultés du pouvoir d’un sultan censé être affaibli.

47En métropole, la Reconnaissance est donc utilisée dans une perspective plus
large, au moment où la France affirme par ailleurs ses ambitions impériales. Les
commentateurs de l’œuvre foucauldienne l’ont incluse dans une géopolitique
pensée à l’échelle maghrébine qui s’appuie sur un langage d’origine
ethnographique devenu commun et doté d’une valeur opératoire. Qu’en est-il de la
réception et de l’utilisation de l’œuvre de Foucauld sur le terrain marocain
même ?

 * 72 René de Segonzac réalise un premier voyage dans le sud du Maroc en 1900
   (Excursion au Sous, avec qu (...)
 * 73 R. de SEGONZAC, Excursion, op. cit., p. 25.

48Le voyage de Foucauld marque une étape importante en termes de pratique de
l’espace et de perception de celui-ci. Les explorateurs qui se rendent au Maroc
ne manquent pas de saluer le souvenir de leur prédécesseur et de s’inspirer de
ses méthodes pour parcourir le pays. La plupart voyagent ainsi déguisés,
accompagnés de guides et de zetats soigneusement choisis. Les outils dont ils
disposent désormais sont plus performants : l’effort de simplification de
l’espace, notamment de l’orographie de l’Atlas, de Foucauld, ainsi que la
publication de ses cartes et itinéraires rendent plus claire l’organisation
générale du pays et facilitent le parcours de son espace. Enfin, la quantité des
observations consignées dans la partie « Renseignements » de la Reconnaissance
sont des aides précieuses. Les termes de makhzen et de sība sont rapidement
diffusés. Ils apparaissent très vite dans les récits des voyageurs, comme celui
du marquis de Segonzac, l’un des plus célèbres explorateurs du Maroc de
l’avant-protectorat, volontiers comparé à Foucauld dans la mesure où incarne
l’aventurier cheminant dans un Maroc encore largement inconnu et dangereux72.
Les deux mots deviennent donc des noms communs largement utilisés et qu’il n’est
pas la peine d’expliquer aux lecteurs. On assiste cependant rapidement à une
simplification et à des glissements de sens. Le terme sība garde la connotation
politique qu’il avait chez Foucauld mais connaît une généralisation : il devient
systématiquement synonyme de pays indépendant, son existence même étant souvent
postulée comme le signe d’une désintégration de l’État chérifien et de
l’impuissance du sultan – cela est particulièrement visible à la lecture de la
préface du premier ouvrage de Segonzac73. Le mot tend par ailleurs à désigner
d’une façon générale toutes les régions inconnues du Maroc, sans que, là encore,
les liens avec le pouvoir chérifien n’entrent vraiment en compte. Le titre de
l’ouvrage de Louis Gentil, Dans le bled es-siba. Explorations au Maroc. Mission
Segonzac, ainsi que la présentation de son projet le montrent clairement :

>  * 74 L. GENTIL, Dans le bled es-siba, op. cit., p. 4.
> 
> Toute mon attention s’est portée sur le bled es-siba ; encore me suis-je
> appliqué à éviter les itinéraires suivis par des explorateurs, tels que le
> vicomte de Foucauld et le marquis de Segonzac. Les conditions dans lesquelles
> je me suis placé, pour effectuer ma traversée de régions inconnues, m’ont
> empêché d’informer à mon aise, et c’est au prix d’artifices sans nombre que je
> suis arrivé, parfois, à me procurer les renseignements indispensables pour
> continuer mon chemin de façon profitable.74

 * 75 R. de SEGONZAC, Au cœur de l’Atlas, op. cit., p. 39.

49Comme pour les espaces africains du siècle précédent, le terme permet donc
d’opacifier certaines des zones du pays qui résistent encore à la science
européenne : « les ténèbres du bled es-siba s’obscurcissent de plus en plus
autour de nous »75. Ces espaces, en quelque sorte ensauvagés, deviennent l’objet
d’un certain nombre de fantasmes, entre émerveillement et crainte. L’inconnu
joue en effet sur l’ambivalence de l’attraction/répulsion d’une région difficile
à atteindre mais supposée riche de promesses :

>  * 76 R. de SEGONZAC, Excursion, op. cit., p. 28.
> 
> La majeure partie du Maroc est montagneuse, difficile d’accès, insoumise. La
> terre cultivable y est rare, les saisons y sont rudes ; en revanche, les
> forêts abondent, le fer, le cuivre, le sel se trouvent partout, on prétend
> même y connaître des mines d’argent et d’or. C’est le Bled es Siba.76

 * 77 Henri de LA MARTINIERE, Souvenirs du Maroc, Paris, Plon, 1919, p. 298.
 * 78 Les Français pénètrent au Maroc oriental dès 1903. En 1907, des troupes
   débarquent à Casablanca, po (...)

50Ces espaces sont donc le plus souvent assimilés aux seuls espaces dangereux où
il est délicat de voyager ; ainsi, pour Henri de La Martinière, chargé de
plusieurs missions archéologiques puis de fonctions diplomatiques, la sība
équivaut au « pays des brigands »77. La mise en avant de ces espaces ensauvagés
est aussi un effet rhétorique destiné à mettre en valeur les hommes qui ont
affronté ces espaces inconnus. Ce jeu sur l’inconnu et le risque est également
un moyen de mettre en valeur l’action des Français au Maroc : le décalage est
particulièrement visible dans le récit de La Martinière, rédigé alors que le
pays était sous protectorat français et cartographié de façon régulière pour la
majeure partie de son espace. Cette assimilation quasi immédiate entre la sība
et le danger contribue donc à la création d’un ethos et d’une mythologie de
l’explorateur. Elle participe à la création de l’image d’un Maroc inconnu et
dangereux, obscurci tant sur le plan géographique que politique au début du XXe
siècle. Le pays est pourtant au même moment l’objet d’une connaissance plus
précise et d’un contrôle plus étroit de la part des autorités françaises78. Ceux
qui le parcourent continuent néanmoins à utiliser un déguisement qui devient
progressivement un uniforme (figure 9) renvoyant à un âge d’or de l’exploration,
celui de Foucauld.

Figure 9. La création de l’image de l’explorateur. Ici, Louis Gentil in L.
GENTIL, Dans le bled es-siba…, op.cit.

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CONCLUSION

 * 79 Daniel RIVET, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette
   Littératures, 2002, p. 110

51Le caractère novateur de la Reconnaissance est en premier lieu dû à la qualité
des informations topographiques et géographiques rapportées. Foucauld a clarifié
l’organisation spatiale et orographique du Maroc en établissant notamment la
division de l’Atlas en trois chaînes et en individualisant le massif du Siroua.
Il a également su formuler grâce à sa pratique de l’espace un trait de caractère
essentiel du Maroc, la distinction entre le bled makzhen et le pays de la sība.
Foucauld a donc construit une représentation d’un territoire, sans que celle-ci
constitue néanmoins encore une norme efficiente. L’intérêt de la Reconnaissance
est donc de voir comment l’auteur invente la dichotomie de l’espace marocain,
mais sans encore la systématiser ; si le discours de Foucauld est bien
géographique, il est encore limité sur le plan ethnographique dans la mesure où
il reste au stade de l’inventaire. Ce sont en effet les commentateurs, et non
Foucauld lui-même, qui ont contribué à cette systématisation en faisant rentrer
le Maroc dans un schéma construit à l’origine pour l’Algérie. Les modifications
des contextes savant et politique se chargeront de faire évoluer les notions
créées par l’auteur : la limite mouvante établie par Foucauld entre deux types
d’espace deviendra une « frontière étanche tracée par les savants coloniaux »79.
Cette frontière arbitraire sera le prétexte à la mise en place de politiques
différenciées dans l’optique du divide ut imperes, élément essentiel de
l’idéologie coloniale et de la vulgate marocaine.

52La Reconnaissance est donc une étape majeure dans la construction d’un espace
savant, désormais objet d’étude clairement parcouru, individualisé et
caractérisé. Par sa pratique de l’espace et l’empirisme de ses analyses,
Foucauld a saisi le Maroc et a également contribué à la création d’une
géographie marocaine dans laquelle le terrain occupe une part essentielle.
Devenue nom commun, la sība valorise ceux qui la parcourent, mais également, a
posteriori, celui qui l’a mise en évidence. Foucauld semble donc être considéré
au Maroc même comme l’inventeur d’une pratique et d’une géographie marocaines.
On comprend alors aisément pourquoi il est avec Segonzac l’une des figures qui
donne à la Société de géographie du Maroc une part de sa légitimité - d’une
façon quelque peu paradoxale cependant, dans la mesure où il incarne une figure
de l’exploration, alors même qu’il ne s’est jamais montré comme tel.

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NOTES

1 Charles DE FOUCAULD, Reconnaissance au Maroc 1883-1884, Paris, Challamel,
1888, 2 vol., XVI-500 p., atlas. L’édition originale est illustrée de 4
photogravures et de 101 dessins réalisés d’après les croquis de l’auteur et
paraît en deux volumes : l’un contenant le « Voyage » proprement dit, l’autre
une partie « Renseignements ». Elle est également accompagnée d’un atlas de 22
cartes. Une seconde édition paraît en 1939 (Reconnaissance au Maroc. Journal de
route conforme à l’édition de 1888 et augmenté de fragments inédits rédigés par
l’auteur pour son cousin François de Bondy, Paris, Société d’Editions maritimes,
géographiques et coloniales, 1939, 432 p., portrait, carte, fac-similé). Cette
édition ne comprend ni les annexes ni l’atlas, mais elle est complétée par trois
textes inédits : les « premières journées de voyage », l’histoire de Mardochée
et les pages intitulées « Mes relations avec les marabouts de Bou el Djad ».
L’édition consultée (par la suite : Reconnaissance) est le fac-similé de
l’édition originale de 1888, Paris, l’Harmattan, 1998, 240 p. (collection « Les
introuvables »). Elle ne reprend cependant ni la seconde partie (appendices et
« Renseignements ») ni l’atlas. Seule a été reproduite en grand format la carte
générale, synthèse des cartes manuscrites du voyageur.

2 Georges LOUIS, « À la mémoire de Charles de Foucauld », Bulletin de la Société
de géographie marocaine, 2ème trimestre 1919, n° 9, p. 45-55.

3 René BAZIN, Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara,
Paris, Plon, 1921, 479 p.

4 Daniel NORDMAN, « La Reconnaissance au Maroc, de Charles de Foucauld », dans
Profils du Maghreb. Frontières, figures et territoires (XVIIIe-XXe siècle),
Rabat, Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, 1996,
p. 141.

5 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op.cit., p. IX.

6 Ibid., p. IX-X.

7 Ibid., p. XI.

8 Louis CHENIER, Recherches historiques sur les Maures et histoire de l’empire
de Maroc, Paris, Boilly et Royer, 1787, tome III, p. 14.

9 Lucien FEBVRE, La terre et l’évolution humaine, introduction géographique à
l’histoire, Paris, A. Michel, 1970, p. 362.

10 L. CHENIER, Recherches, op.cit., p. 14.

11 Voir notamment, parmi d’autres, les Instructions générales aux voyageurs
publiées en 1875 par la Société de géographie de Paris, ou encore D. KALTBRUNER,
Manuel du voyageur, Zurich, Wurstler & Cie éditeurs, 1879, p. 129-134.

12 Domingo BADIA dit Ali BEY, Voyages d’Ali Bey el Abassi en Afrique et en Asie
pendant les années 1803, 1804, 1805, 1806 et 1807, Paris, Didot, 1814, 4
volumes. Seul le premier volume concerne le Maroc.

13 René CAILLIÉ, Journal d’un voyage à Tembouctou et à Jenné, dans l’Afrique
centrale, précédé d’observations faites chez les Maures Brakna, les Nalous et
les autres peuples, pendant les années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828¸ avec une
carte itinéraire et des remarques géographiques par M. Jomard, Paris, Imprimerie
Royale, 1830, 3 volumes.

14 Gerhard ROHLFS, Mein erster Aufenthalt in Marokko und Reise südlich vom Atlas
durch die Oasen Draa und Tafilet, Brême, J. Kühtmann, 1873, 468 p. Une
traduction paraît en anglais l’année suivante sous le titre Adventures in
Morocco and Journeys through the oases of Drâaa and Tafilet, Londres, S. Low,
Marston, Low and Searle, 1874, 371 p.

15 G. ROHLFS, Adventures in Morocco, op.cit., p. 313 (toutes les traductions
sont de l’auteur).

16 G. ROHLFS, Reise durch Marokko Ubersteigung des grossen Atlas, Exploration
des Oasen von Tafilelt, Tuat und Tidilket und Reise durch die große Wüste über
Rhadamès nach Tripoli, Brême, Verlag von Kuthmann’s Buchhandlung, 1868, 200 p.

17 Oskar LENZ, Timbuktu: Reise durch Marokko, die Sahara und den Sudan,
ausgeführt im Auftrage der Afrikanischen Gesellschaft in Deutschland in den
Jahren 1879 und 1880, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1884, 2 vol. (430 et 408 p.).
Une édition paraît en français l’année suivante : Timbouctou, voyage au Maroc,
au Sahara et au Soudan, Paris, Hachette, 1885, 2 vol. (467 et 438 p.).

18 O. LENZ, Timbouctou, op.cit., p. 290-291.

19 Ibid., p. 304.

20 Ibid., p. 104.

21 Ibid., p. 240.

22 Lenz voyage sous l’égide de la Société africaniste allemande.

23 Voir notamment les deux lettres de Lenz à Duveyrier, publiées dans le
Bulletin de la Société de géographie, juillet-décembre 1880 (6e série, t. 20),
p. 463-464.

24 La Mission militaire française présente au Maroc à partir de 1877 afin
d’aider le sultan à réformer son armée suit de très près ce qui se passe sur le
terrain, tentant ainsi également de renforcer informellement la présence et les
intérêts français. Le personnage de Lenz apparaît à plusieurs reprises dans les
rapports du chef de la mission, Jules Erckmann, qui maintient une surveillance
constante sur le géographe allemand : « Le Docteur Lentz [sic], géographe
allemand, a en effet séjourné quelques temps à Fès dans l’intention de visiter
le pays et d’aller ensuite à Maroc (…) Les démarches des Allemands à la cour du
Maroc ayant toujours excité vivement mon attention, j’ai fait surveiller le
Docteur Lentz par des gens à mon service… », Rapport de Jules Erckmann, chef de
la mission, 28 avril 1880, SHD, série 3H, 3, Mission militaire, rapport n° 29
(les expressions soulignées le sont dans le texte original).

25 Voir le dossier personnel de Foucauld conservé au SHD sous la cote Yh 130.

26 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 142.

27 Dès 1835, le Gouvernement d’Alger décide la création d’une bibliothèque qui
ouvre ses portes en 1838 en même temps qu’un musée. La tâche en est confiée à
Adrien Berbrugger, secrétaire particulier de Clauzel qu’il a suivi à Alger en
1833 ; arabisant, érudit et grand voyageur, Berbrugger participe à tous les
aspects de la connaissance du pays et contribue à faire de la Bibliothèque
d’Alger un lieu incontournable pour qui s’intéresse à l’Algérie et plus
largement au Maghreb : en tant qu’homme de cabinet ou lors de voyages,
Berbrugger se tourne en effet vers d’autres terrains ; il participe à ce titre à
l’élaboration du premier ouvrage géographique consacré au Maroc, la Description
de l’Empire de Maroc d’Emilien Renou, qui paraît en 1846, et rencontre à
plusieurs reprises pendant l’été 1863 Rohlfs revenu du Sahara. Sur Adrien
Berbrugger, voir la notice d’Alain MESSAOUDI dans François POUILLON (dir.),
Dictionnaire des orientalistes de langue française, Paris, IISMM- Karthala,
2008, p. 86-88. Sur la constitution du milieu scientifique d’Alger, voir
Florence DEPREST, La Méditerranée et le monde méditerranéen : pour une analyse
de l’invention géographique des lieux et des découpages de l’espace, mémoire
pour l’habilitation à diriger des recherches en géographie, sous la direction de
Marie-Claire ROBIC, Paris-I, 2007, 270 p.

28 Mac Carthy a également conseillé et guidé le jeune Duveyrier, ainsi que
Soleillet et Flatters. Foucauld lui témoigne sa gratitude au début de la
Reconnaissance : « Que celui dont les savantes leçons ont préparé mon voyage,
dont les conseils l’ont dirigé, dont la prudence en a organisé l’exécution, que
M. O. Mac Carthy, président de la Société de Géographie d’Alger, protecteur-né
de quiconque travaille pour la science ou pour la grandeur de notre colonie,
reçoive le premier l’hommage de ma profonde reconnaissance » (Reconnaissance,
op. cit., p. V).

29 Le témoignage d’Augustin Bernard est particulièrement éclairant : « J’ai
connu de Foucauld à Alger en 1882. Chaque jour il venait travailler à la
bibliothèque de la rue de l’Etat-Major, qu’on appelait la bibliothèque-musée (…)
Mac Carthy renseigna souvent les explorateurs. Ces conseils furent précieux au
vicomte de Foucauld. Je les revois encore tous les deux, le vieux savant et le
jeune officier de cavalerie, accoudés sur la balustrade de la cour mauresque,
feuilletant les ouvrages des anciens géographes que de Foucauld devait laisser
bien loin derrière lui ». A. BERNARD, Un saint français : le Père de Foucauld,
Paris, 1917 (Revue hebdomadaire, 24 mars 1917), p. 7-8, cité par D. NORDMAN,
« La Reconnaissance », art. cit., p. 144.

30 Sur les liens particuliers entretenus par Foucauld et Duveyrier, voir infra.
Se reporter également à D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit.,
p. 145-147.

31 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. XI. Les passages soulignés par
nous mettent en valeur les zones montagneuses du parcours.

32 Ibid., p. X.

33 On en retrouve notamment traces dans les archives de la Société de
géographie, conservées à la Bibliothèque nationale de France. Voir notamment
BNF, Cartes et Plans, Archives de la Société de géographie, Manuscrits de la
Société, colis n° 4, notice n° 1673.

34 C. de FOUCAULD, Reconnaissance…, op.cit., p. X.

35 Tradition ancienne, la protection est définie pour la première fois dans le
traité anglo-marocaine de 1767. Cette pratique constitue un véritable transfert
de souveraineté, puisqu’elle substitue l’autorité étrangère à l’autorité
marocaine sur des citoyens marocains. Cette convention permet aux protégés
marocains de bénéficier eux aussi de l’extraterritorialité et de n’être jugés
que par des tribunaux consulaires ; elle leur donne aussi la possibilité
d’échapper à la pression fiscale du Makhzen. Voir Jean BRIGNON (dir.), Histoire
du Maroc, Casablanca, Hatier, 1967, p. 289-292 et sur cette question en
particulier, Mohammed KENBIB, Les protégés : contribution à l’histoire
contemporaine du Maroc, Rabat, Publications de la Faculté des lettres et
sciences humaines, 1996, 389 p.

36 « En général, les Juifs marocains, tous commerçants, appelés fréquemment par
leurs affaires soit dans les ports où ils trouvent nos consuls, soit en Algérie,
ont avantage à être en bonnes relations avec les Chrétiens, et surtout avec les
Français », C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. XI.

37 Voir Jacob OLIEL, De Jérusalem à Tombouctou. L’odyssée saharienne du rabbin
Mardochée, Paris, Olbia, 1998, 270 p.

38 « C’est donc un simple devoir que je remplis aujourd’hui, en soumettant à
l’appréciation de mes chefs et de mes maîtres des renseignements qui m’ont paru
avoir leur utilité, et en signalant au bienveillant intérêt de la Société de
géographie, et à la notoriété de mes confrères africains, le pauvre juif d’Akka
qui m’a chargé de leur offrir ses services, et de leur faire connaître son nom
et son adresse : Le rabbin Mordokhaï-Aby-Serour, à Timbouktou », Auguste
BEAUMIER, « Premier établissement des Israélites à Tombouctou », Bulletin de la
Société de géographie, 1870/01, p. 370.

39 J. OLIEL, De Jérusalem à Tombouctou, op. cit., p. 108.

40 C’est Beaumier lui-même qui le lui délivre à Mogador à son retour de France.
A son propos, le consul écrit alors : « Ce sauvage m’est revenu il y a près d’un
mois, enchanté de l’accueil qui lui a été fait partout et suffisamment dégrossi
pour entreprendre avec fruit de nouveaux voyages à l’intérieur de l’Afrique. On
a été satisfait à Paris de son intelligence et, s’il ne lui arrive pas malheur,
il y a tout lieu d’espérer qu’il rendra à la science et au commerce d’excellents
services, qui feront également honneur à ses coreligionnaires du Maroc », lettre
de Beaumier du 15 septembre 1874, citée ibid., p. 113.

41 Henri DUVEYRIER, « De Mogador au Djebel Tabayoudt par le rabbin Mardochée Abi
Serour. Résumé du voyage », Bulletin de la Société de géographie,
juillet-décembre 1875, p. 561-573.

42 L’utilisation d’intermédiaires locaux est très répandue et se développe en
même temps que l’orientalisme : les savants européens s’entourent tous d’experts
autochtones. Au moment de la mise en carte des territoires conquis et, en Inde,
des grands surveys, autorités locales et sociétés savantes européennes
l’encouragent puisque certains territoires ne sont encore pas accessibles aux
Européens. Ces intermédiaires sont de mieux en mieux formés selon des méthodes
particulières et élevés du rang d’ » instruments » à celui de pair pour
permettre l’extension de l’exploration corporelle à des espaces toujours plus
étendus. Sur ce sujet, voir Kapil RAJ, « La construction de l’empire de la
géographie : l’odyssée des arpenteurs de Sa Très Gracieuse Majesté, la reine
Victoria, en Asie centrale », Annales HSS, sept-oct. 1997, n° 5, p. 1153-1180.

43 « Le jour, j’épiais le moment où personne n’était sur la terrasse de la
maison ; j’y transportais mes instruments enveloppés de vêtements que je disais
vouloir mettre à l’air. Le rabbin Mardochée Abi Serour, Israélite authentique
qui m’accompagne dans mon voyage, restait en faction dans l’escalier, avec
mission d’arrêter par des histoires interminables quiconque essayerait de me
rejoindre », C. de FOUCAULD, « Itinéraires au Maroc », Bulletin de la Société de
géographie, 1887, p. 123.

44 « …vivre constamment avec les Juifs marocains, gens méprisables et répugnants
entre tous, sauf de rares exceptions, était un supplice intolérable. Comme à un
frère, à cœur ouvert, se vantait d’actions criminelles [sic], ou me confiait des
sentiments ignobles. Que de fois n’ai-je regretté l’hypocrisie ! Tant d’ennuis
et de dégoûts étaient compensés par la facilité de travail que me donnait mon
travestissement », Ibid., p. 121.

45 « Malgré tant de précautions, je ne prétends pas que mon déguisement ait été
impénétrable. Dans les quatre à cinq points où ni mon bonnet noir, ni mes
nouaders, ni les serments de Mardochée ne servirent de rien : la population
juive s’aperçut tôt ou tard que j’étais un faux frère », C. de FOUCAULD,
Reconnaissance, op. cit., p. XI. Foucauld est également reconnu par certains
musulmans, notamment par Sidi Edris à Boujad et par des notables de Tisint, où
il séjourne longuement, dont le Hadj Bou Rhim. Voir p. 137, 158, 164.

46 Ibid., p. 75.

47 « Dans cette contrée, comme dans le blad es sība tout entier, on ne va jamais
sans armes », ibid., p. 124. Voir également p. 12 et 79.

48 « Le pays est sûr ; on est en blad el makhzen », ibid., p. 76.

49 Abdelahad SEBTI, « Insécurité et figures de la protection au XIXe siècle; la
“ztāta” et son vocabulaire », dans Noureddine EL AOUFI (dir.), La société civile
au Maroc. Approches, Rabat, S.M.E.R., 1992 et « Zţāţa et sécurité du voyage. Un
thème de pratique judiciaire marocaine », Hespéris-Tamuda, vol. XXX, fasc. 2,
1992, p. 37-52.

50 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. 7.

51 Ibid., p. 7-8.

52 Ibid., p. 40.

53 Aux côtés du makhzen sultanien, de l’administration centrale, de petits
makhzen fonctionnent dans chacune des villes impériales et à l’échelon local. En
ville, les fonctions sont confiées à des gouverneurs et dans les tribus, à des
caïds. Ces fonctionnaires reproduisent le modèle central.

54 C. de FOUCAULD, Reconnaissance, op. cit., p. 24.

55 Ibid., p. 40.

56 Notamment à Tisint : « L’un d’entre eux, le Hadj Bou Rhim ould Bou Rzaq,
devint dans la suite pour moi un véritable ami, me rendit les services les plus
signalés et me sauva des plus grands périls », ibid., p. 137.

57 « Un mkhazni à cheval m’a escorté de Qaçba el Aïoun à Oudjda ; un autre
m’accompagnera d’Oudjda à la frontière française. Il a suffi de les demander aux
qaïds ; une escorte de ce genre s’accorde toujours, à condition de payer : le
prix est modique. Le gouvernement concourt à fournir les zetats dans les régions
du blad el makhzen trop peu sûres… », ibid., p. 257-258.

58 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 164.

59 « Mes instruments étaient une boussole, une montre et un baromètre de poche,
pour relever la route ; un sextant, un chronomètre et un horizon à huile, pour
les observations de longitude et de latitude ; deux autres baromètres
holostériques, des thermomètres fronde et des thermomètres à minima, pour les
observations météorologiques », C. de FOUCAULD, « Itinéraires », art. cit,
p.121. En raison de la clandestinité dans laquelle il est contraint de faire ses
mesures, il doit les dissimuler soigneusement.

60 « En marche, j’avais sans cesse un cahier de cinq centimètres carrés caché
dans le creux de la main gauche ; d’un crayon long de deux centimètres qui ne
quittait pas l’autre main, je consignais ce que la route présentait de
remarquable, ce qu’on voyait à droite et à gauche », Ibid., p. 122.

61 H. DUVEYRIER, « Rapport fait à la Société de géographie à propos du voyage de
M. le Vicomte Charles de Foucauld au Maroc », Comptes rendus de la Société de
géographie, séance du 24 avril 1885, p. 12.

62 Felix DRIVER, Geography militant. Cultures of Exploration and Empire, Oxford,
Blackwell, 2001, 258 p.

63 H. DUVEYRIER, « L’Afrique nécrologique », Bulletin de la Société de
géographie, juillet-décembre 1872, p. 561-644.

64 Les papiers de Duveyrier, conservés aux Archives Nationales sous la cote 47
AP 11, contiennent une sélection des articles parus à propos du voyage de
Foucauld dans les principales revues de géographie britanniques et allemandes.
Les sociétés savantes européennes collaborent étroitement entre elles à cette
époque, et sont reliées par un réseau de correspondants ; l’information circule
donc largement.

65 « Compte-rendu de la Reconnaissance au Maroc par le vicomte Charles de
Foucauld », Petermanns Mitteilungen, 1889, II, p. 51.

66 Charles-Robert AGERON, « Du mythe kabyle aux politiques berbères », dans Le
Mal de voir. Ethnologie et orientalisme : politique et épistémologie, critique
et autocritique, Paris, Collection 10/18, 1976 (Cahiers Jussieu 2, Université
Paris-VII), p. 331-347.

67 BNF, Cartes et Plans, Archives de la Société de géographie de Paris, colis n°
15, n° 2629.

68 La lettre est publiée dans le Compte-rendu des séances de la Société de
Géographie et de la Commission centrale, 13, Paris, Société de Géographie, 1884,
séance du 20 juin 1884, p. 372-375.

69 D. NORDMAN, « La Reconnaissance », art. cit., p. 172. Sur les corrections et
les modifications dans l’édition des textes de Foucauld, voir Maria Letizia
CRAVETTO, « Alchimie d’un catalogue (439 autographes de Charles de Foucauld) »,
Revue d’Histoire de la Spiritualité. Revue d’Ascétique et de Mystique, 53, 1977,
p. 199-221.

70 Ce travail semble être le plus ancien, le projet de carte étant daté du 6
mars 1885, et signé « Henri Duveyrier ».

71 Cette mention ne figure pas sur le premier document.

72 René de Segonzac réalise un premier voyage dans le sud du Maroc en 1900
(Excursion au Sous, avec quelques considérations préliminaires sur la question
marocaine, Paris, Challamel, 1901), avant de parcourir le Rif, le Moyen Atlas et
la vallée de la Moulouya lors d’un second voyage qui débute en 1901. Ces deux
premiers voyages lui permettent de bénéficier d’une réelle aura, et le récit de
ses aventures est rapidement épuisé (Mission de Segonzac. Voyages au Maroc.
1899-1901, Paris, A. Colin, 1903). Il se voit alors confier une nouvelle
mission, l’une des plus grandes jamais organisées au Maroc, sous l’égide du
jeune Comité du Maroc et de la Société de géographie de Paris : l’exploration du
sud et du sud-est du pays, avec l’aide, notamment, des géologues Louis Gentil et
Paul Lemoine. Sur cette mission, récompensée par la Médaille d’or de la Société
de géographie, voir R. de SEGONZAC, Au cœur de l’Atlas. Mission au Maroc.
1904-1905, Paris, Larose, 1910 et Louis GENTIL, Dans le bled es-siba.
Explorations au Maroc. Mission Segonzac, Paris, Masson, 1906. Pour la biographie
de Segonzac, nous renvoyons à notre notice dans F. POUILLON (dir.),
Dictionnaire, op. cit., p. 887-888.

73 R. de SEGONZAC, Excursion, op. cit., p. 25.

74 L. GENTIL, Dans le bled es-siba, op. cit., p. 4.

75 R. de SEGONZAC, Au cœur de l’Atlas, op. cit., p. 39.

76 R. de SEGONZAC, Excursion, op. cit., p. 28.

77 Henri de LA MARTINIERE, Souvenirs du Maroc, Paris, Plon, 1919, p. 298.

78 Les Français pénètrent au Maroc oriental dès 1903. En 1907, des troupes
débarquent à Casablanca, point de départ de la présence française effective. A
cette même date, la cartographie régulière du pays est mise en route au sein,
notamment, des Bureaux topographiques des Troupes débarquées de Casablanca et du
Maroc oriental, crées à l’arrivée des Français.

79 Daniel RIVET, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette
Littératures, 2002, p. 110.

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LIST OF ILLUSTRATIONS

Title Figure 1. Portrait de G. Rohlfs URL
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image/jpeg, 428k Title Figure 2. Itinéraires de Gerhard Rohlfs et d’Oskar Lenz
au Maroc URL
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image/jpeg, 312k Title Figure 3. Portrait d’Oskar Lenz URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-3.jpg File
image/jpeg, 216k Title Figure 4. Portrait de Charles de Foucauld à Alger, à
l’âge de 24 ans URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-4.jpg File
image/jpeg, 144k Title Figure 5. Itinéraire de Charles de Foucauld URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-5.jpg File
image/jpeg, 688k Title Figure 6. Portrait de Mardochée Aby Serour URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-6.jpg File
image/jpeg, 276k Title Figure 7. Extrait d’une lettre envoyée par Charles de
Foucauld à la Société de géographie, 1884 (BNF, Cartes et Plans, Archives de la
Société de géographie de Paris, colis n° 15, n° 2629) URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-7.jpg File
image/jpeg, 1.0M Title Figure 8. Carte préparatoire d’Henri Duveyrier, BNF,
Cartes et plans, Archives de la Société de géographie, carton DU-EY, série 392.
URL http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-8.jpg File
image/jpeg, 380k Title Figure 9. La création de l’image de l’explorateur. Ici,
Louis Gentil in L. GENTIL, Dans le bled es-siba…, op.cit. URL
http://journals.openedition.org/rives/docannexe/image/3822/img-9.jpg File
image/jpeg, 272k

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REFERENCES


BIBLIOGRAPHICAL REFERENCE

Aurélia Dusserre, “Pratique de l’espace et invention du territoire”, Rives
méditerranéennes, 34 | 2009, 57-88.


ELECTRONIC REFERENCE

Aurélia Dusserre, “Pratique de l’espace et invention du territoire”, Rives
méditerranéennes [Online], 34 | 2009, Online since 07 December 2012, connection
on 07 December 2024. URL: http://journals.openedition.org/rives/3822; DOI:
https://doi.org/10.4000/rives.3822

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THIS ARTICLE IS CITED BY

 * (2012) Territoires impériaux. DOI: 10.4000/books.psorbonne.42481
 * Palard, Jacques. (2020) Negotiating Religious Otherness. Archives de sciences
   sociales des religions. DOI: 10.4000/assr.58844
 * Palard, Jacques. (2020) Gérer l’altérité religieuse. Archives de sciences
   sociales des religions. DOI: 10.4000/assr.52128

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AURÉLIA DUSSERRE

UMR6570 TELEMME-Université de Provence

BY THIS AUTHOR

 * Chemins et itinéraires [Full text]
   Écriture de soi dans les récits d’exploration du Maroc (1880-1910)
   Published in Rives méditerranéennes, 44 | 2013

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