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Academic rigour, journalistic flair

Des résidents de Gaza regardent un bâtiment résidentiel endommagé après une
frappe israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 janvier 2024.
(AP Photo/Fatima Shbair)


ISRAËL DEVANT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE : CELLE-CI EST-ELLE DEVENUE UN
SUBSTITUT À UN CONSEIL DE SÉCURITÉ DYSFONCTIONNEL ?

Published: January 11, 2024 3.27pm CET
Jean-François Thibault, Université de Moncton


AUTHOR

 1. Jean-François Thibault
    
    Professeur en relations internationales, École des hautes études publiques,
    Université de Moncton


DISCLOSURE STATEMENT

Jean-François Thibault does not work for, consult, own shares in or receive
funding from any company or organisation that would benefit from this article,
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Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a déposé devant la Cour internationale de
justice (CIJ), une Requête introductive d’instance contre l’État d’Israël.

La Requête stipule que ses actions dans la bande de Gaza, initiées au nom de son
droit à la légitime défense, dans la foulée des attaques menées par le Hamas le
7 octobre 2023, revêtaient « un caractère génocidaire ».

La CIJ a tenu des audiences publiques sur la requête le 11 et 12 janvier à La
Haye.

Le fait que l’Afrique du Sud ait choisi de déposer sa requête devant la CIJ
n’est pas anodin. En effet, non seulement le bureau du procureur de la Cour
pénale internationale, qui enquête sur la situation en Palestine depuis
plusieurs années, n’aboutit pas à des résultats concrets, mais le Conseil de
sécurité, l’organe qui devrait être le principal garant du maintien de la paix
et de la sécurité internationale, apparaît foncièrement dysfonctionnel.

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À l’inverse, la CIJ en est venue à jouer un rôle de plus en plus diligent. Au
cours des 10 dernières années, la Cour a ainsi prononcé plus d’ordonnances (11)
que durant ses cinquante premières années d’existence (10).

Mes travaux sur la responsabilité de protéger et sur le droit de la guerre m’ont
conduit à porter une attention particulière aux modes alternatifs de règlement
des différends, notamment par l’intermédiaire des tribunaux internationaux. Deux
organes sont fréquemment mentionnés : la Cour internationale de justice et la
Cour pénale internationale (CPI).


La Cour internationale de justice lors d’une audience. (UN Photo/CIJ-ICJ/Frank
van Beek)


DES COMPÉTENCES DIFFÉRENTES

La CIJ est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations unies
(ONU). Elle dispose d’une compétence universelle sur les différends d’ordre
juridique pouvant survenir entre États.

De son côté, la CPI tire sa compétence d’un traité entré en vigueur en 2002, et
dont Israël n’est pas signataire. Ses responsabilités sont d’enquêter et de
poursuivre des personnes physiques pour crimes graves de droit international
(crimes contre l’humanité, crimes de guerre, génocides et crimes d’agression).

Alors que la CIJ doit être sollicitée par un État avant de pouvoir se saisir
d’un contentieux, comme c’est le cas avec la démarche engagée par l’Afrique du
Sud, la CPI dispose de l’autorité pour ouvrir une enquête et éventuellement
déposer une accusation contre un individu.


AVANT ISRAËL, LA RUSSIE

Dans sa requête contre Israël, l’Afrique du Sud avance que les actions de l’État
hébreu (et son défaut de prendre des mesures pour contrecarrer les incitations
« directes et publiques » à commettre de telles actions) témoigneraient « de
l’intention spécifique… d’entraîner la destruction d’une partie substantielle de
la population palestinienne en tant que partie d’un groupe national, racial et
ethnique plus large de Palestiniens dans la Bande de Gaza ».

De ce fait, avance l’Afrique du Sud, Israël contreviendrait aux « obligations »
lui incombant en vertu de la Convention pour la prévention et la Répression du
Crime de Génocide, dont elle est signataire.

La question que la CIJ est appelée à trancher consiste uniquement, selon
l’Afrique du Sud, à déterminer si les actions qui sont identifiées dans la
Requête sont ou non « susceptibles de relever des dispositions » de la
Convention. La Cour n’a pas à se prononcer sur le fond à ce stade. Le cas
échéant, cela pourrait prendre des années.

On se rappellera qu’une Requête similaire avait également été déposée par
l’Ukraine contre la Russie dans la foulée de l’« opération militaire spéciale »
initiée par cette dernière le 24 février 2022.


Un pompier s’efforce d’éteindre un incendie après une attaque de missiles russes
à Kryvyi Rih, le 8 janvier 2024. L’Ukraine a déposé en février 2022 une Requête
à la CIJ pour violations graves et généralisées des droits de la personne.
(Ukrainian Emergency Service via AP)

La Russie était alors accusée d’avoir mensongèrement allégué « que des actes de
génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de
Donetsk » afin de lui permettre de justifier une intervention armée. L’Ukraine
affirmait que cette intervention avait engendré « des violations graves et
généralisées des droits de la personne de la population ukrainienne ». Dès le
16 mars 2022, la CIJ rendait son Ordonnance et intimait à la Russie de
« suspendre immédiatement les opérations militaires ».


LES LIMITES DE LA CIJ

Dans le cas de la requête de l’Afrique du Sud, une ordonnance de la CIJ pourrait
suivre au cours des prochaines semaines étant donné l’urgence de la situation.

Or, il ne faut pas faire preuve de trop d’optimisme. Car même dans le cas où la
Cour indiquerait comme mesure conservatoire la suspension immédiate des
opérations militaires, comme elle l’a fait dans le cas de l’Ukraine, et même si
cette ordonnance avait bel et bien un « caractère obligatoire », comme l’a
avancé la Cour en 2001 dans une autre affaire, cela ne signifierait pas que la
situation sur le terrain soit appelée à changer.

Malgré leur caractère obligatoire, les mesures d’exécution sont souvent
difficiles à mettre en œuvre dans des situations hautement sensibles et
controversées.


LE NOUVEAU RÔLE DES PAYS TIERS

Ce qui est relativement nouveau, c’est que la Cour internationale de justice
accepte désormais d’entendre des requêtes, telle celle parrainée par l’Afrique
du Sud, présentées par un État partie à un traité ou une convention, qui
allèguent un manquement à ses obligations erga omnes partes. De telles
obligations reposent en effet sur les valeurs que les États partagent en commun
et que tout État a donc un intérêt à faire respecter, sans égard au fait d’avoir
ou non soi-même subi les conséquences d’un manquement.

Ainsi, en 2019, la Gambie a déposé une Requête contre le Myanmar, concernant ses
actions envers les membres de la communauté rohingya. C’est aussi sur cette base
d’obligations erga omnes partes que le Canada et les Pays-Bas ont déposé en juin
2023 une Requête contre la Syrie l’accusant de contrevenir à la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants.


Destructions causées par les frappes aériennes du gouvernement syrien, à Ariha,
en janvier 2020. Le Canada et les Pays-Bas ont déposé en juin 2023 une Requête
contre la Syrie l’accusant de contrevenir à la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (AP Photo/Ghaith
Alsayed)

La reconnaissance par la CIJ de telles obligations erga omnes partes
revendiquées par un État n’étant pas directement impliqué apparaît comme une
innovation majeure. Elle permet, à défaut d’empêcher en amont qu’un État ne
contrevienne à ses obligations, de lui rappeler en aval et publiquement ses
obligations.


ASSUMER UN RÔLE ÉMERGENT EN MAINTIEN DE LA PAIX

Au-delà de la question qu’aura à trancher la Cour, le plus important reste le
rôle que les États semblent désormais vouloir lui faire jouer en lui soumettant
de telles requêtes. La CIJ a compétence en matière de règlement pacifique des
différends et, par extension, elle a un rôle à jouer dans le maintien de la paix
et de la sécurité internationale. Mais si ses ordonnances ne sont pas suivies
d’effets, sont-elles seulement destinées à marquer les esprits, ce qui
contribuerait à politiser la justice internationale ?

S’il est certes douteux qu’une ordonnance incite un État à mettre un terme à sa
conduite et à ses activités sur le terrain, la procédure elle-même demeure
toutefois importante. Elle peut permettre de documenter une situation et
d’établir les faits d’une manière telle qu’il pourrait être plus difficile d’en
faire abstraction par la suite.

Ainsi, dans le cas de la Syrie, l’Ordonnance rendue par la Cour la sommait de
prendre « toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de
torture et autres… traitements cruels, inhumains ou dégradants », et lui
intimait de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et
assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux
allégations ». Ces éléments pourraient ultérieurement être utilisés dans le
cadre de procédures judiciaires ou afin de justifier des réparations.

À cet égard, la Cour pourrait également faciliter la création et l’accès au
terrain d’une mission visant à établir les faits et à documenter les
circonstances. Il s’agit là d’un aspect important du règlement des différends
qui peut contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Le défi pour la Cour consistera à assumer ce rôle émergent en matière de
maintien de la paix et de la sécurité internationale et à naviguer à travers ces
questions d’interprétation qui demeurent éminemment politiques. Les décisions
que les juges ont à prendre seront capitales pour le futur d’un ordre
international qui apparaît pour le moment bien désordonné.

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