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MANAGEMENT : ET SI ON ARRÊTAIT DE VALORISER L’EGO ET L'ARROGANCE EN ENTREPRISE ?

19 mai 2022 - mis à jour le 19 mai 2022 • 5min

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auteur

Laetitia Vitaud

Autrice et conférencière sur le futur du travail

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Si les concepts de bienveillance et d’intelligence collective sont sur toutes
les bouches (ou presque), le monde du travail peine souvent à les insuffler
concrètement au quotidien. Pour preuve, la valorisation omniprésente d’un
leadership incarné par des codes virilistes faisant la part belle à l’ego et à
l’arrogance. Autrement dit, ceux qui « grimpent » dans la hiérarchie sont le
plus souvent les mêmes qui parlent haut et fort, savent vendre leurs mérites et
affichent plus d’amour propre que d’empathie. Un paradoxe décrypté sans langue
de bois par notre experte Laetitia Vitaud.

Quand je parle à des managers, ils/elles me disent avec sincérité que dans leur
organisation, l’humilité, l’écoute et le sens du collectif sont valorisés, comme
toutes ces soft skills dont on ne cesse de dire qu’elles sont essentielles.
Pourtant, quand on regarde les profils effectivement promus dans la majorité des
organisations, ce sont souvent des personnes qui ont su se mettre en avant,
occuper le terrain politique et parler plus fort que les autres. Bref, entre le
discours et la réalité, il y a un monde. Dans la vraie vie, l’ego et l’arrogance
font encore et toujours avancer.

Comme on n’est pas à un paradoxe près, quand il s’agit d’expliquer l’écart de
progression de carrière entre les femmes et les hommes – dans la plupart des
organisations, plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares –
on nous explique que les femmes ne se mettent pas assez en avant, s’excusent
trop, négocient mal, disent trop “nous” au lieu de “je” et sont trop “bonnes
élèves”. En somme, cela serait un problème d’insuffisance d’ego et d’arrogance !
Pour soutenir les futures leadeuses, on imagine donc des programmes et autres
formations pour les aider à mieux bomber le torse, à développer leur
“assertivité” et à correspondre davantage aux codes plus “virils” du leadership.

Mais ne devrait-on pas plutôt envoyer les (futur·es) leaders en stages d’écoute
et d’humilité ? Plutôt que les former à prendre plus de place, ne devrait-on pas
leur apprendre à en laisser ? Les entreprises et le monde entier s’en
trouveraient considérablement améliorés ! C’est un fait : de façon consciente ou
non, on favorise les personnalités qui manquent d’humilité (ah, le fameux effet
Dunning-Kruger !). Mais le problème ne se situe pas du côté de ceux/celles qui
manquent d’arrogance ! Si on arrêtait plutôt de développer l’ego et l’orgueil ?
La définition du leadership reste trop “genrée”, mais la solution n’est pas à
mon sens de faire adopter par tous les codes (négatifs) de la virilité.


UN LEADERSHIP ENFERMÉ DANS DES CODES VIRILISTES

Nous restons tous prisonniers d’une définition du leadership qui porte aux nues
les qualités des gorilles à dos argenté. Même inconsciemment, on associe le
charisme et le pouvoir plutôt aux mâles dominants. Ce qui est terrible, c’est
que nous perpétuons ainsi des biais qui entretiennent ce que la journaliste
Mary-Ann Sieghart appelle le “fossé de l’autorité”, de sorte que les femmes sont
moins prises au sérieux professionnellement. C’est la raison pour laquelle la
lecture de son livre, The Authority Gap, m’a fait forte impression. Elle y écrit
cette phrase choc qui m’a inspiré l’écriture du présent article : « Au lieu
d’envoyer les femmes suivre des cours d’affirmation de soi, on devrait envoyer
les hommes suivre des cours d’humilité. On réglerait le problème du fossé de
l’autorité. »

Dans la même veine, on peut également citer le livre de l’historienne Lucile
Peytavin, Le coût de la virilité, qui impute l’essentiel de nos comportements
asociaux à une éducation qui valorise les codes de la virilité. Dans une
interview, elle nous explique que « la virilité est un fardeau », dont les
femmes et les hommes sont victimes : « Quand on regarde les chiffres officiels,
les hommes représentent 80% des mis en cause par la justice, 90% des personnes
condamnées par la justice, la population carcérale est à 96% masculine et ils
sont sur-représentés dans tous les types d’infractions, notamment les plus
graves. Cependant, il n’y a rien dans la biologie et la physiologie des hommes
qui les pousserait à se comporter de cette façon, ce n’est pas à cause du
cerveau ou de la testostérone. C’est un argument qui revient sans cesse mais que
la science a invalidé. Les études de sociologie et de sciences de l’éducation
montrent que c’est l’éducation des garçons, notamment à la virilité, qui va les
pousser à avoir des comportements asociaux. On le transmet souvent de façon
inconsciente, et pourtant on éduque encore les garçons à être les plus forts ».

L’éducation est également un sujet d’entreprise. Les “comportements asociaux”
qu’on y trouve concernent le harcèlement, le manque d’écoute et les cultures
d’entreprise toxiques. Ne faudrait-il pas encourager les leaders à adopter des
comportements qu’on attribue culturellement davantage aux femmes (l’écoute,
l’humilité, le sens du collectif, le fait de s’excuser…) plutôt que l’inverse ?
Je précise, comme Lucile Peytavin, qu’il n’y a rien de génétiquement féminin ou
masculin dans les comportements en entreprise. Il s’agit uniquement de codes
culturels inculqués ou encouragés dans certains contextes. D’ailleurs, à bien
des égards, la question du genre est ici subsidiaire. Il y a évidemment des
femmes arrogantes et des hommes qui savent la jouer collectif…


L’EGO ET L’ARROGANCE, MEILLEURS ENNEMIS DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE ?

« L’ego démesuré qui accompagne souvent le succès enferme les leaders dans une
bulle et altère leurs décisions », explique cet article de la Harvard Business
Review. Avec l’arrogance vient la dégradation des capacités cognitives et de
l’intelligence émotionnelle. Qui n’a jamais fait face au complexe de Dieu de
certains collègues ? Quand une personne puissante et/ou arrogante refuse
d’admettre la possibilité d’erreur ou d’échec, et a une vision distordue de la
réalité dans laquelle les règles, conventions et exigences sociales ne la
concernent pas.

Ceux et celles qui montent dans la hiérarchie ont naturellement tendance à voir
leur ego devenir hypertrophié. Il est donc essentiel de promouvoir au départ les
personnes les plus humbles… ou de former les personnes qui montent à le devenir.
Il est remarquable que plus l’ego des dirigeants grandit, plus ces dernier·es
sont à risque de s’isoler et de perdre le contact avec la réalité. Ce que l’on
appelle le syndrome d’Hubris est courant dans l’univers politique, où il n’est
pas rare de rencontrer des personnes assoiffées de pouvoir qui ne supportent
plus la contradiction. Cela se traduit aussi par plus de narcissisme, une perte
d’empathie et d’intérêt pour les autres.

Les personnes qui se prennent pour Dieu dégradent le lien social et la qualité
de la collaboration. C’est ce qui a fait dire à Robert Sutton, professeur en
management et auteur du célèbre Objectif zéro sale con, qu’il faudrait cesser de
valoriser l’audace et le “talent” des individus au mépris de leur influence sur
le reste de l’équipe. En effet, les “sales cons” ont un effet délétère sur la
motivation des personnes qui en font les frais ! Ils font des dégâts sur le
collectif que leur éventuel talent ne compense nullement. Un ego démesuré
transforme les comportements. « Quand nous estimons être seuls responsables de
notre succès, nous avons tendance à devenir grossiers et égoïstes et nous sommes
plus enclins à interrompre les autres. Ce qui est particulièrement vrai en cas
de revers et de critiques. Ainsi, l’ego surdimensionné nous empêche de tirer les
leçons de nos erreurs et érige une barrière défensive qui bride l’assimilation
des enseignements que nous pourrions tirer des échecs essuyés », explique encore
la Harvard Business Review.

L’arrogance et l’ego démesuré entravent sérieusement l’intelligence collective
et affaiblissent la créativité. En effet, quand vous côtoyez un·e arrogant·e,
vous rechignez à exprimer votre opinion et à transmettre les informations de
peur de vous faire humilier. Privé de confiance mutuelle, le groupe voit alors
son intelligence collective s’atrophier. Les performances de toute
l’organisation s’en trouvent diminuées. L’arrogance n’est pas uniquement le
trait de personnalité anecdotique d’individus isolés, c’est un poison qui
contamine et affaiblit toute l’équipe !

Vu sous cet angle, les stages d’humilité, programmes de soutien en intelligence
émotionnelle et autres formations en compétences relationnelles semblent plus
sensés que les cours d’affirmation de soi que l’on destine aux travailleurs et
futurs leaders jugés trop discrets. Ces formations ne sont peut-être pas
toujours de qualité ou bien on ne les suit pas avec sincérité. Mais rien
n’empêche de se donner l’objectif de combattre l’arrogance et l’ego démesuré
avant qu’ils ne fassent des ravages. Écouter les autres, ne pas occuper tout
l’espace, tourner sa langue dans sa bouche avant de parler, se préoccuper du
bien-être collectif et s’excuser régulièrement, tous ces comportements réputés
plus “féminins” (bien qu’ils ne soient en rien associés aux chromosomes XX),
sont certainement plus bénéfiques pour une organisation et son intelligence
collective…

_
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps

Les thématiques abordées

Pratiques de management

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Laetitia Vitaud

Autrice et conférencière sur le futur du travail

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