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NON, LA GEISHA N’EST PAS UNE PROSTITUÉE DE LUXE. POUR EN FINIR AVEC UN MYTHE
TENACE !

21 août 2020


LES CLICHÉS OCCIDENTAUX NE SONT PAS TOUJOURS TENDRES AVEC LES GEISHAS QUI SONT
TROP SOUVENT RÉDUITES À TORT À DES PROSTITUÉES OU DES ESCORT-GIRLS DE LUXE. ET
POURTANT, RICHES D’UN CHEMINEMENT CULTUREL ÉLABORÉ, LES GEISHAS SONT AVANT TOUT
RECONNUES POUR LEURS COMPÉTENCES ARTISTIQUES. LES CLIENTS ONT RECOURS À ELLES
LORSQU’ILS VEULENT S’ASSURER DE PASSER UNE SOIRÉE AGRÉABLE ET JOUIR DANS UN
CADRE RÉCRÉATIF DE LEURS TALENTS ARTISTIQUES QUI RECOUVRENT AUSSI BIEN LES ARTS
DE LA CONVERSATION, DE LA MUSIQUE OU ENCORE DE LA DANSE. COMMENT S’EST DONC
FONDÉ CE MYTHE AUX YEUX DE L’OCCIDENT ?




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Le mot geisha (芸者) est constitué de deux mots : gei (pour art) et sha (la
personne). Ainsi, les geishas sont des personnes de l’art ou plus simplement des
personnes qui pratiquent les arts. Le terme geiko (芸妓), en vigueur dans le
Kansai, signifie lui enfant de l’art. A l’origine les premiers geishas étaient
d’ailleurs des hommes chargés de divertir les clients des ochaya (お茶屋 ou maisons
de thé) dans les quartiers des plaisirs. On les nommait taikomochi (太鼓持) :
porteur de taiko, un tambour japonais. Des femmes, désireuses de vendre leur art
et non leur corps, ont rejoint la profession au milieu du XVIIIème siècle et
prirent d’abord le nom d’onna taikomochi (女太鼓持, femmes taikomochi) puis de
geisha. Rapidement elles deviennent majoritaires et au XIXème siècle les
taikomochi ont quasi disparu, supplantés par les geishas. Le métier sera reconnu
par le pouvoir en 1779 qui leur interdira par là même la prostitution,
prérogative des yûjos auxquelles elles ne doivent pas faire concurrence. En
résumé, lors d’une soirée dans un quartier des plaisirs comme le fameux
Yoshiwara de Tôkyô, les geishas distraient les clients par leur conversation et
leurs talents artistiques avant que les prostituées ne prennent le relais dans
le domaine sexuel.

Cependant, les geishas font l’objet de fantasmes pour leurs attraits exotiques.
Leur apparence particulièrement soignée dont un maquillage marqué et leurs
kimonos colorés sont les principales caractéristiques qui nourrissent les
préjugés à l’étranger. Et ce bien que leur tenue et leur coiffure devaient être
moins voyantes que celles des prostituées, les capacités artistiques primant sur
l’aspect physique et pour éviter la confusion. La proximité avec les clients,
dans des espaces discrets, à laquelle les pousse ce travail de divertissement,
alimente les rumeurs. Il s’agit pourtant d’une vision biaisée et fausse d’un
métier traditionnel, particulièrement difficile, vieux de 400 ans.

Geisha et prostitution : à la croisée des chemins

Les raisons pour lesquelles les geishas sont régulièrement confondues avec des
prostituées sont nombreuses. Certaines d’entre elles ont des causes historiques
; d’autres sont liées à des interprétations erronées et à des déformations de la
réalité véhiculées par certains films. Si les geishas d’aujourd’hui, en tant que
femmes libres, peuvent éventuellement s’adonner à des relations sexuelles en
dehors du travail (comme n’importe qui), ce n’est en aucun cas obligatoire et la
pratique est plutôt liée à la liberté individuelle. En effet, les geishas
restent des personnes libres avant tout. Ces relations éventuelles n’ont jamais
constitué un élément central à leur métier.

Historiquement, il faut toutefois admettre qu’il a existé des périodes pendant
lesquelles il était possible (surtout dans les maisons de geishas de moindre
réputation) que des geishas s’adonnent à des rapports sexuels avec un client,
poussées en cela par certaines patronnes et par une rémunération supérieure. Par
ailleurs, la tradition voulait que la virginité de l’apprentie, nommée maiko
(jeune danseuse 芸妓) ou hangyôku (demi-joyau 半玉) selon les régions, soit mise aux
enchères lorsqu’elle était jugée digne de devenir une geisha à part entière. Un
rite de passage à l’âge adulte également en vigueur chez les prostituées qui
marquait leurs débuts dans le métier. À l’époque Edo, leur virginité était
vendue au plus offrant vers l’âge de 14 ans. Jusqu’au milieu du XXème siècle la
pratique se perpétue mais les enchères ne commencent que lorsque la maiko a fêté
ses 18 ans. La virginité d’une apprentie atteint souvent des sommes tellement
importantes (en particulier pour les plus renommées) que seuls des hommes
d’affaires aisés peuvent se l’offrir. D’ailleurs, certains amateurs n’achetaient
pas que leur première nuit (mizuage) mais un ensemble de nuits. Souvent mariés
par ailleurs, statut social oblige, ces hommes achetaient aussi par ce biais
l’admiration de leurs pairs. Par la suite, la geisha avait un protecteur qui
pourvoirait à ses nombreuses dépenses (leçons, vêtements, loyer…) et dont elle
serait la maîtresse exclusive. On donne le nom de danna à ces personnages
richissimes qui s’assuraient de la protection matérielle de la geisha. À noter
que ce n’était pas forcément l’homme qui déflorait la jeune femme, c’était même
rarement le cas. Le danna était choisi non pas par la geisha elle-même qui
pouvait être consultée mais par la mère de l’okiya (établissement où vivent
geishas et apprenties et qui fait office d’agent), en fonction de sa richesse et
de son prestige. À l’époque, il était gratifiant pour un homme d’entretenir une
geisha, il s’agissait d’un signe extérieur de richesse et de réussite sociale.
Cette époque est révolue.

Estampe : Maikos et Fuji-san

Ajoutons que geishas et prostituées officielles partageaient les mêmes quartiers
(les quartiers des plaisirs, strictement réglementés par les autorités),
participant à la confusion des genres. De plus, le maquillage blanc (à base de
poudre de riz), leur rouge à lèvre rouge vif et leur tenue composée d’un kimono
pesant parfois plus de 10 kilos, donnent aux geishas une allure fort proche
(pour un œil non averti) de celle des Oiran, qui étaient, elles, des prostituées
de haut rang pendant la période Edo. Enfin, après la Seconde Guerre Mondiale,
pendant l’occupation américaine certaines prostituées se firent volontairement
passer pour des geishas dont la réputation était plus grande que la leur. Les
Américains ont ensuite ramené cette croyance aux États-Unis, parachevant le
mélange entre les deux professions en Occident.

De manière générale, le métier particulier de geisha n’a pas d’équivalent dans
la culture occidentale, laissant entrevoir toutes les déformations culturelles.
Dans le monde occidental, certains livres et films ont traité le sujet de
manière maladroite et superficielle, en accentuant l’aura sexuelle des geishas
au détriment de leur formation et rôle artistique profond : c’est par exemple le
cas du célèbre film Mémoires d’une Geisha, adaptation du roman éponyme mieux
documenté. Enfin, les « boules de geisha » participeraient à cette confusion,
puisqu’elles entretiennent l’idée selon laquelle l’activité des geishas serait
essentiellement tournée vers la jouissance sexuelle. Aucun rapport pourtant
entre le sextoy asiatique et l’univers de la geisha.

Photographie : Strevo / Flickr

Un métier d’artiste délicat


Si le métier de geisha est enregistré depuis 1779 de manière officielle, leur
interdisant par la même la pratique de la prostitution, il faudra attendre 1957
pour que la prostitution soit définitivement proscrite, démarquant
définitivement les geishas des prostituées devenues illégales. La mise aux
enchères de la virginité de l’apprentie cesse et dorénavant les geishas font
seules le choix d’avoir un danna avec qui elles décident d’avoir ou non des
relations intimes. Cependant, les geishas souffrent d’un autre mal bien réel :
la marche de la modernité. Après la guerre leur nombre ne cessera de chuter
jusqu’à leur quasi extinction. En 1975, on ne comptait plus que 28 maikos à
Kyôto, ville où la formation est restée la plus traditionnelle et donc
prestigieuse. Si ce nombre est remonté depuis les années 2000 (au début juin
2018 on dénombre 79 maikos et 193 geikos à Kyôto), notamment grâce à des
documentaires télévisés et l’accès à des informations facilité par internet,
leur nombre reste tout à fait marginal en comparaison des dizaines de milliers
de membres que comptait la profession au début du XXème siècle.

Aujourd’hui comme autrefois, afin d’acquérir le statut de geisha, l’apprentie
doit suivre une formation de plusieurs années pendant laquelle elle sera formée
aux arts traditionnels : danse, musique, ikebana, cérémonie du thé. Autrefois
les parents vendaient leur fille très jeune à l’okiya, contre une somme d’argent
que la jeune fille devait ensuite rembourser avec les frais de son éducation et
d’entretien (vêtements, leçons, repas) accumulés durant des années. Mais depuis
l’interdiction du travail des enfants cette lourde dette a disparu et les maikos
ne peuvent plus commencer leur formation avant d’avoir fini le collège, soit
vers 15 ans. La formation dure alors 5 à 6 années maximum contre une quinzaine
autrefois. Toutefois, même devenue une geisha adulte à 20-21 ans, la jeune femme
continuera de prendre des cours pour se perfectionner tout au long de sa vie. A
noter qu’une femme peut tout à fait rejoindre le métier alors qu’elle a atteint
l’âge adulte. Les geishas disposent également de solides bases de culture
générale : en effet, elles doivent avoir la capacité de mener des conversations
portant sur les sujets les plus divers, dont la politique. Et pour cause, en
tant que dame de compagnie, elles doivent être en mesure d’animer un repas entre
hommes de haut rang dont le commanditaire veut impressionner ses invités, le
Japon restant profondément patriarcal.

Photographie : Japanexperterna.se / Flickr

Enfin, on fera remarquer que ces prestations envers les Hommes ne font pas
nécessairement des geishas des femmes soumises. En principe, elles détiennent le
contrôle sur la prestation offerte. Pour devenir client d’une maison de thé, il
faut être introduit par un habitué et rassurer sur ses bonnes manières (et sa
capacité à payer bien sûr). Contrairement aux a priori, la geisha contemporaine
est ainsi plus proche de la femme d’affaires et de l’artiste indépendante que de
la femme soumise au paternalisme culturel à travers la hiérarchie de
l’entreprise nippone ou familiale. Ainsi, de manière discutable selon la période
mais clairement marquée à notre époque, la voie de la geisha peut représenter
une forme de prise d’indépendance des femmes sur la société. D’une certaine
façon, une geisha est une femme plus libre qu’une épouse japonaise « classique »
souvent contrainte à quitter sa carrière pour s’occuper du foyer à plein temps.
Et, évolution de la société oblige, même si leurs clients restent principalement
des hommes d’un certain âge, les geishas sont aujourd’hui régulièrement amenées
à animer des soirées où des femmes sont présentes.


Conclusion

Considérer maikos, geikos, geishas comme de riches prostituées est plus que
réducteur en plus d’être faux. Cette vision exotique qu’entretiennent certains
touristes n’est en rien représentative de leur profession. De très grandes
geishas se faisaient d’ailleurs un nom, par leur talent, la finesse de leurs
compétences et de leurs connaissances. On peut par exemple citer Mineko Iwasaki
dans les années 70, célèbre geiko de Gion Kobu à Kyôto. Certes, des zones
d’ombres vont entacher leur passé, démonstration d’un patriarcat bien présent
dont il faudra plusieurs générations pour se libérer. Le grand défi des geishas
aujourd’hui consiste probablement à faire simplement survivre leur culture
unique.



S. Barret


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