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publié le 19 Jan. 2022


3 MILLIONS D'EUROS POUR CONTREFAÇON DE LOGICIEL: ENFIN UN JUGEMENT À LA HAUTEUR
DES ENJEUX !

Propriété Intellectuelle Droit du numérique

3 millions d’euros pour contrefaçon de logiciel : enfin un jugement à la hauteur
des enjeux !

On critique suffisamment la frilosité des juridictions françaises en matière de
contrefaçon, et notamment en ce qui concerne la réparation du préjudice lié à
celle-ci, pour ne pas se réjouir de la décision rendue le 23 septembre 2021 par
le Tribunal Judiciaire de Marseille.

Les faits sont relativement classiques : la société Generix exploite un logiciel
dénommé « Infolog WMS » dédié à la gestion des entrepôts logistiques.

En 2011, son responsable support crée, avec 2 autres anciens salariés de
Generix, la société ACSEP, dont l’activité est substantiellement la même que
Generix. 6 autres anciens salariés de GENERIX rejoindront ACSEP dans les années
suivantes.

Dans un premier temps, les deux sociétés mettent en place un contrat de
prestations de services, par lequel GENERIX sous-traite des prestations de
support et développement à ACSEP (n’ayant plus les compétences pour le faire !)
et un contrat d’apport d’affaires, pour sécuriser un client important chez
GENERIX en échange d’une commission d’apport d’affaires. Ces bases
contractuelles fragiles annonçaient la suite…

Inévitablement, GENERIX a constaté que plusieurs de ses clients, et non des
moindres (Conforama, DHL, Id Logistics, etc.) partent à la concurrence chez
ACSEP entre 2014 et 2016. Or, celle-ci rendant des prestations identiques à
GENERIX, et éditant une solution similaire, une copie des sources d’Infolog WMS
pouvait raisonnablement être suspectée ; et ce d’autant plus que 2 anciens
salariés d’ACSEP sont venus attester que son gérant avait bien copié les sources
du logiciel avant son départ.

Sur la base de ces éléments, la société GENERIX a obtenu une ordonnance en
référé, à l’encontre de la société ACSEP l’autorisant à faire saisir, par voie
d’huissier, les codes sources d’Infolog WMS qui se trouveraient chez ACSEP, et
d’obtenir tous éléments sur l’utilisation de ces sources par son concurrent.

Il se trouve que l’huissier a fait chou blanc, les sources ayant probablement
été effacées à veille des opérations par le gérant d’ACSEP. Pour autant, GENERIX
avait déjà obtenu des courriels par lesquels des salariés d’ACSEP s’échangeaient
les codes sources de 3 programmes sources, et datant de 2010 et 2012. GENERIX a
fait analyser ces programmes par un expert privé, dont il ressort qu’ils sont
identiques à 97% aux programmes d’origine du logiciel.

C’est sur la base de ces seuls éléments que le Tribunal a caractérisé la
contrefaçon et a condamné ACSEP, solidairement avec son gérant, et trois autres
salariés, à des dommages-intérêts très conséquents.

Cette décision est très instructive à plusieurs titres, tant sur la procédure
utilisée, que sur les attentes des tribunaux en matière de contrefaçon de
logiciel et l’indemnisation de ce préjudice.

 

1. Sur la procédure utilisée : annulation de la saisie-contrefaçon « déguisée »

De façon pour le moins curieuse, alors qu’elle soupçonnait une copie et une
utilisation frauduleuse des codes sources de son logiciel, la société GENERIX
n’a pas fait le choix de solliciter une mesure de saisie-contrefaçon, mais a
saisi le Juge des référés pour obtenir une mesure de constat d’huissier, sur le
fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile.

Pour autant, la mission confiée à l’huissier était en tous points
caractéristique du type de missions qui peut être autorisée dans le cadre d’une
saisie-contrefaçon, notamment en ce qu’il était habilité à rechercher (assisté
d’un expert informatique) et à saisir le code source du logiciel Infolog WMS, et
d’obtenir des éléments (par ex comptables) sur la vente de prestations de
service ou de produits à l’aide de ces sources.

Or, la jurisprudence est claire sur ce point : on ne peut procéder, sous le
couvert d’une procédure de droit commun (145 CPC), à une saisie-contrefaçon
« déguisée ». En effet, la procédure prévue au Code de la Propriété
Intellectuelle (que ce soit en matière de logiciel, mais aussi de brevet,
marque, droits d’auteur, etc.) est une procédure spéciale, qui prévoit des
garde-fous importants, notamment quant à l’obligation pour le demandeur
d’assigner au fond dans les 31 jours civils, à peine de nullité des opérations
de saisie. La saisie-contrefaçon doit donc primer sur la procédure générale de
l’art.145 du CPC, et l’ordonnance rendue sur ce fondement par le Président du
Tribunal d’Aix en Provence (au demeurant incompétent), devait nécessairement
être rétractée.

Il en résulte que les opérations de constat, qui avaient pourtant mobilisé
l’huissier pendant 5 jours complets, sur une période 9 mois (!), sont tout
simplement annulées et que la société GENERIX ne peut s’en prévaloir dans le
cadre de cette procédure.

On constate ainsi qu’un mauvais choix procédural dès le début d’une affaire peut
couter très cher, tant financièrement, qu’en terme de chances de succès au fond.

2. La nécessité de prouver l’originalité du logiciel

Sur le fond, et ce n’est pas nouveau, le Tribunal a tout d’abord vérifié que la
preuve de l’originalité du logiciel avait été dûment rapportée par la société
GENERIX.

On sait que cette preuve doit résulter, en la matière, de choix de programmation
ou de langage originaux et personnels, démontrant « l’apport intellectuel » du
(ou des) développeurs du programme.

Ce n’est pas forcément une preuve si simple à rapporter, comme en témoignent
d’autres décisions récentes.

En l’espèce, la question avait déjà été tranchée par une décision préalable de
la Cour d’Appel d’Aix, qui a retenu l’argumentaire de GENERIX sur la question, à
savoir :

 * Des choix personnels sur la structure de scénarios, et sur la réservation des
   stocks,
 * L’utilisation du langage de développement « COBOL », non utilisé par les
   concurrents de GENERIX,
 * Le choix d’une forte interopérabilité du logiciel par l’utilisation d’un
   format d’échanges de données unique et original
 * Le développement d’un AGL en interne (Atelier Génie Logiciel) : APX, qui n’a
   jamais été commercialisé et est utilisé exclusivement par GENERIX.
 * Un choix technique personnel quant aux IHM
 * Choix encore propre concernant l’utilisation du logiciel : mise en œuvre d’un
   « WMS simplifié »

Ainsi, sur ce point, on constate que le demandeur a fourni un travail
considérable et très documenté pour démontrer le caractère unique de son
logiciel, et les choix créatifs opérés, ne laissant que peu de place aux
arguments adverses.

Ce travail a payé et son action a donc été jugée recevable.

 1. Sur la preuve de la contrefaçon

Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que GENERIX paye les conséquences de
l’annulation du PV de constat, le Tribunal a rappelé qu’en matière de
contrefaçon, la preuve est libre. C’est un principe que l’on a un peu tendance à
oublier, mais on n’est pas obligé de passer par la case « saisie » pour agir en
contrefaçon. En effet, s’agissant d’un délit, tous les modes de preuve sont
admis pour établir des actes de copie illicite, par exemple d’un programme
logiciel.

Ainsi, en l’espèce, le Tribunal s’est fondé sur les 4 courriels échangés entre
le gérant et un autre associé d’ACSEP, contenant en pièces jointe les codes
sources de 3 programmes, dont un expert privé a établi qu’ils étaient à 97%
identique aux sources composant le logiciel Infolog WMS, pour en conclure que la
société était bien en possession du logiciel d’origine. Ainsi, ces seuls faits
de détention et de reproduction non autorisée caractérisaient la contrefaçon
reprochée à ASCEP, aboutissant à sa condamnation.

L’enseignement de ce jugement est que la production des codes sources
« copiés », par tout moyen, et leur expertise, même dans le cadre d’une démarche
non contradictoire (il ne s’agissait pas d’une expertise judiciaire), peuvent
suffire à établir les faits de contrefaçon d’un programme logiciel.

 1. Des dommages-intérêts à la hauteur du préjudice réellement subi par
    l’éditeur

Il faut bien reconnaitre que l’on est souvent déçu par les indemnisations
accordées par les tribunaux en matière de contrefaçon, qui ne sont pas souvent à
la hauteur des conséquences de tels agissements, que ce soit au niveau financier
(impact sur le CA, sur le développement commercial), ou moral (image de marque
dégradée, perte d’attractivité en interne…).

Les tribunaux français, malgré leur spécialisation en matière, se montrent
souvent assez frileux, et exigent un niveau de preuve bien souvent incompatible
avec la réalité du terrain.

Et bien, pour une fois, on n’est pas déçu !

Le Tribunal Judiciaire de Marseille rappelle en effet la règle selon laquelle le
préjudice, en matière de contrefaçon, doit prendre en compte à la fois le manque
à gagner et la perte subie par le titulaire des droits, mais aussi son préjudice
moral, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

La jurisprudence n’est pas constante sur l’interprétation de ces textes, de
nombreuses décisions estimant que l’on ne peut cumuler ces différents chefs de
préjudice, sous peine d’indemniser au-delà du préjudice réel, et d’aboutir à une
sorte de dommages-intérêts punitifs.

Pourtant, l’objectif de la loi était clair, et visait à mieux réparer le
préjudice en la matière, quitte à aller au-delà du principe de réparation
intégrale du préjudice, et d’appliquer une sorte de « malus » pour le copieur
qui s’est fait prendre.

Le Tribunal Judiciaire de Marseille l’a bien compris, puisqu’il calcule le
préjudice sur la base de 3 éléments :

La perte de CA tout d’abord, calculée à un peu plus de 2 M€, sur la base d’une
méthode intéressante : CA réalisé par les 3 clients partis à la concurrence,
auquel on applique les taux de marge suivants : 100% pour le logiciel, 75% pour
le support à distance, 30% pour les autres prestations de service.

Il reconnait également le préjudice moral subi par la société résultant dans la
« dévalorisation du savoir-faire de la société GENERIX et la banalisation de son
œuvre », indemnisé à hauteur de 50.000€, ce qui est dans la fourchette très
haute des indemnisations habituelles.

Et enfin, et c’est tout l’intérêt de la décision, il alloue 814.000€ de
dommages-intérêts supplémentaires à GENERIX, correspondant à la valorisation
comptable de la R&D du progiciel WMS à la date d’acquisition de la sté INFOLOG

Le Tribunal estime ainsi que la société ACSEP, en détournant les codes sources
du logiciel, a fait l’économie des frais de développement d’un programme
équivalent, et que ce préjudice est indemnisable au titre des « économies
réalisées par le contrefacteur ». En d’autres termes, le logiciel INFOLOG a
quasiment perdu toute sa valeur, du fait de l’apparition d’un programme
similaire, qu’un concurrent a pu commercialiser sans dépenser un seul euro de
développement (du moins dans sa version à la date de la copie).

Le raisonnement est audacieux, mais semble pleinement en phase avec l’objectif
des différentes réformes européennes en matière de répression de la contrefaçon,
à savoir aboutir à une réelle indemnisation du préjudice des acteurs économiques
victimes de ce fléau, et d’autre part, prononcer des condamnations suffisamment
dissuasives pour que le rapport gain/bénéfice ne penche plus en faveur de la
copie et de l’usurpation de la propriété intellectuelle des concurrents, qui
résulte souvent d’un très long travail de recherche et développement.

 

Le Cabinet Leclère & Louvier est à votre disposition pour la défense de vos
droits de propriété intellectuelle. N’hésitez pas à nous consulter pour tout
besoin d’accompagnement en la matière.

Article rédigé par Me Josquin Louvier, Avocat Associé

 

 

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