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SEBASTIÃO SALGADO: "JE CROIS EN LA SOCIÉTÉ DE LA SOLIDARITÉ"

Publié le 22/08/2022 à 17h30 par Stéphanie Janicot - Lecture en 4 min

© Joël Saget/ AFP

Depuis cinquante ans, le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado témoigne
des mouvements du monde, tout en œuvrant pour la reforestation de sa région
d’origine. Ses engagements se rejoignent dans son dernier projet photographique,
"Amazônia".


SOMMAIRE
 1. Notre temps: Votre combat de toujours pour l'écologie est aujourd'hui au
    cœur des préoccupations de la société…
 2. N.T.: Comment votre œuvre accompagne-t-elle les mouvements de l’histoire?
 3. N.T.: L'Instituto Terra que vous avez créé avec votre épouse il y a
    vingt-cinq ans est-il à la mesure de vos espérances?
 4. N.T.: Comment votre terre d'origine a-t-elle nourri votre imaginaire, votre
    esthétique de photographe?
 5. N.T.: Comme les contrastes très forts que vous aimez mettre en relief…
 6. N.T.: Pourquoi avoir choisi de témoigner en noir et blanc alors que le
    Brésil est si coloré?
 7. N.T.: Avons-nous individuellement le pouvoir de restaurer la terre?


NOTRE TEMPS: VOTRE COMBAT DE TOUJOURS POUR L'ÉCOLOGIE EST AUJOURD'HUI AU CŒUR
DES PRÉOCCUPATIONS DE LA SOCIÉTÉ…

Sebastião Salgado: Ce n'est pas le fruit du hasard. Je suis né à la campagne,
dans un pays sous-développé, à 92% agricole. À 15 ans, j'ai émigré vers la
ville, comme tous ceux qui cherchaient du travail, même si, pour ma part, j'y
allais pour étudier. Aujourd'hui, le Brésil est à 92% urbain. En cinquante ans,
on a renversé le modèle, en créant des problèmes sociaux énormes.



N.T.: COMMENT VOTRE ŒUVRE ACCOMPAGNE-T-ELLE LES MOUVEMENTS DE L’HISTOIRE?

S. S.: Au début des années 1980, il était possible de voir une grande évolution
industrielle, les machines intelligentes, l'électronique allait remplacer "la
main de l'homme" (La Main de l'homme est le titre d'un de ses premiers ouvrages,
NDLR). Puis, en photographiant le monde du travail, j'ai compris qu'on assistait
à une deuxième révolution d'une ampleur encore plus vaste: la réorganisation de
la grande famille humaine, les mouvements de population vers les villes, les
grandes migrations. J'étais moi-même un émigré, je faisais partie de l'histoire
du monde.

Ces réflexions sont devenues mon projet "Exodes". À cette époque, mes parents
étant très âgés, ils nous ont transmis leurs terres au Brésil, détruites par la
déforestation. Ma femme, Lélia, a pris la décision de planter une forêt. Ainsi,
l'Instituto Terra est né. C'est le moment où la planète commençait à se tourner
vers l'écologie. À partir de là, nous avons conçu le projet Genesis. C'est donc
l'exode qui m'a poussé vers la terre, puis les arbres, vers la photographie
écologique.



N.T.: L'INSTITUTO TERRA QUE VOUS AVEZ CRÉÉ AVEC VOTRE ÉPOUSE IL Y A VINGT-CINQ
ANS EST-IL À LA MESURE DE VOS ESPÉRANCES?

S. S.: Nous sommes très fiers du travail de toute notre équipe, qui compte une
centaine de personnes. Nous sommes la plus grande institution environnementale
non gouvernementale rurale brésilienne. Nous avons donné nos terres et planté
des millions d'arbres.

Nous avons créé un centre de formation pour les enfants de fermiers, afin que
les techniques agricoles respectent l'environnement. Notre pépinière a une
capacité de produire un million d'arbres par an, de plus de cent espèces
différentes. Nous avons déjà replanté 800 hectares de forêt. Aujourd'hui, notre
grand projet est de récupérer des milliers de sources d'eau dans la vallée du
rio Doce, où nous sommes situés.



N.T.: COMMENT VOTRE TERRE D'ORIGINE A-T-ELLE NOURRI VOTRE IMAGINAIRE, VOTRE
ESTHÉTIQUE DE PHOTOGRAPHE?

S. S.: Une photo est un mouvement instinctif, pris dans une fraction de seconde.
C'est dire si l'instinct est primordial, et il vient de ton héritage. Quand
j'étais gosse, ma région était l'une des plus belles du Brésil, toute en
collines, elle ressemblait au Rwanda. Avant le début de la saison des pluies,
mon père m'emmenait voir d'en haut des montagnes la formation de la pluie, des
nuages fabuleux, des lumières. Il fallait plusieurs heures de marche mais le
paysage était d'une immense beauté. Beaucoup des lumières de mes photos viennent
de là.


N.T.: COMME LES CONTRASTES TRÈS FORTS QUE VOUS AIMEZ METTRE EN RELIEF…

S. S.: Là aussi, il y a une raison lointaine. Enfant, j'étais très blond, le
soleil me blessait, je devais rester à l'ombre. Si bien que je voyais les gens
venir vers moi en contre-jour. J'ai réalisé cela lorsque j'ai entendu un
spécialiste dire que 80% de mes photos étaient en contre-jour. Effectivement, je
cherche à me poser contre la lumière pour que les photos aient plus de relief.



N.T.: POURQUOI AVOIR CHOISI DE TÉMOIGNER EN NOIR ET BLANC ALORS QUE LE BRÉSIL
EST SI COLORÉ?

S. S.: Le monde entier est coloré, il n'y a rien en noir et blanc. Mais la
couleur est si forte qu'elle peut prendre trop de place. Pour rendre à la
personne sa dignité, je préfère les gammes de gris. Sinon, une chemise peut
devenir plus importante qu'un visage.


N.T.: AVONS-NOUS INDIVIDUELLEMENT LE POUVOIR DE RESTAURER LA TERRE?

S. S.: L'individu, tout seul, ne peut pas grand-chose. Bien sûr, nous pouvons
tous économiser l'eau, économiser l'électricité. Mais cela fait partie d'un
tout. Mes photos, toutes seules, n'ont aucun pouvoir. Mais liées aux
organisations humanitaires, écologiques, elles peuvent contribuer au mouvement
de restauration de la terre. Il faut penser en termes de solidarité, de
communauté. Je ne crois pas en l'ego. Je crois en la société.



FORÊT HUMAINE

Entre 2013 et 2019, Sebastião Salgado photographie la forêt amazonienne et ses
habitants. De la vue aérienne au portrait en gros plan, les clichés somptueux
nous font entrer dans l'univers mystérieux de la forêt et la vie quotidienne de
plusieurs tribus indigènes.

L'exposition des photos de cet ouvrage se tient jusqu'au 30 novembre dans la
grande chapelle du palais des Papes, à Avignon (Vaucluse).

- "Amazônia", éd. Taschen, 528p., 100€.



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