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Mais pour les habitués du secteur, plongeurs et chercheurs, la vie naturelle ne saurait réapparaître dans la calanque après deux siècles de destruction. “Tout est parti d’une boutade, je partais en plongée avec des amis et on a parié que si on mettait des plaques de béton en-dessous du rejet, quelques mois plus tard il y aurait des poissons. Six mois plus tard, il y avait de nouveau de la vie.” Pierre Boissery est expert en restauration écologique à l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Il a participé au projet Rexcor, initié en 2017 par le Parc national des Calanques. L’expérimentation menée avait pour objectif d’accélérer le retour à la vie sous l’eau en immergeant 36 récifs artificiels censés reconstituer l’habitat de poissons et crustacés. LA VIE SOUS-MARINE MORD À L’HAMEÇON Pour Pierre Boissery, cette expérimentation relevait de la plaisanterie tant le défi était grand : repeupler une zone sous-marine touchée par le rejet des eaux usées de Marseille depuis la fin du 19ème siècle. Selon lui, l’installation de la station d’épuration en 1987 et son traitement des eaux usées ont permis d’installer un terreau fertile à la vie sous-marine à proximité du rejet. “Très rapidement on a vu que la vie pouvait revenir au plus proche du rejet, les plaques de béton installées ont vite été colonisées par des poissons qui se sont alimentés et reproduits dans cet environnement”, explique-t-il. Ce signe de vie sous-marine serait la preuve que la qualité de l’eau rejetée par la station d’épuration n’est plus un élément limitant, selon l’expert en milieu marin. Julie Lossent est chercheuse en acoustique marine à Chorus, elle étudie les sons délivrés par la mer. Elle va bientôt publier un rapport d’études sur le projet Rexcor en matière d’acoustique. “Les dernières études que nous avons menées font état de sonores liés à des reproductions d’espèces de poissons, nos derniers bilans sont très positifs“, se réjouit-elle. Florian Holon, lui, ne partage pas cet enthousiasme. Le doctorant en écologie marine à Andromède Océanologie a réalisé une expertise scientifique en 2019, soit deux ans après l’installation des récifs artificiels. “Les derniers suivis que nous avons menés ne permettent pas de conclure à l’efficacité des ces habitats artificiels. Il y a bel et bien de la fréquentation, une cinquantaine d’espèces ont été observées même le Mérou gris. Mais nos comptages montrent seulement le repeuplement de populations juvéniles, on ne peut pas dire si oui ou non les récifs permettent de faire revenir la vie à Cortiou”, détaille-t-il. “LES HERBIERS DE POSIDONIE ONT DISPARU” Les deux experts se rejoignent sur la dégradation historique des fonds marins. “Le rejet des eaux usées de la ville de Marseille mais aussi les rejets chimiques de l’Huveaune ont duré pendant près de deux siècles. On ne pourra pas réparer les dommages qui ont été faits pendant tout ce temps- là, les herbiers de Posidonie qui ont disparu ne se réinstalleront pas sous le rejet”, confesse Pierre Boissery. “Si on nous enlevait nos maisons, nos immeubles, nous déménagerions. Pour le rejet de Cortiou c’est pareil, si on enlève les récifs, on est presque certains que les populations repartiront, les sols sont trop dégradés”, conclut Florian Holon. Le projet Rexcor aurait donc permis de prouver que la qualité de l’eau actuelle à Cortiou est propice à la vie sous-marine, mais qu’elle ne pourrait pas exister sans les récifs artificiels, tant les fonds marins ont été détruits dans le passé. UNE CALANQUE HISTORIQUEMENT DÉGRADÉE Pour comprendre l’état actuel de la calanque de Cortiou, il faut retracer son histoire, intimement liée aux évolutions de la ville de Marseille. DES EFFORTS D’ASSAINISSEMENT En 2008, une deuxième station d’épuration est créée à Marseille. Située sous le parvis du stade Vélodrome en plein cœur de la ville, la Géode vient compléter le système d’assainissement existant depuis 1987. Celle-ci est physico-chimique, c’est la plus grande station d’épuration enterrée au monde. “L’utilité de la station d’épuration est de séparer tout ce qui est particulaire des eaux usées. Tous les déchets qui flottent dans l’eau sont brûlés et transformés en boue pour assainir un maximum les eaux rejetées”, explique l’expert de l’Agence de l’eau. De son côté, Marseille Métropole, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, parle d’un traitement biologique de l’eau qui “traverse des biofiltres où vivent les bactéries qui consomment la pollution dissoute”, peut-on lire sur le site de la Métropole. Une fois l’eau épurée dans cette première station d’épuration, les boues liquides rejoignent l’usine de la Cayolle à Cortiou où elles sont solidifiées par décantation puis brûlées pour produire du biogaz et l’eau en excédent, elle, retourne à la mer par le rejet de Cortiou. “CORTIOU C’EST UN ÉGOUT À CIEL OUVERT.” A Callelongue, François Scorsonelli et Jean-Pierre Parcy sont adhérents de l’association de plongée Marseille Sports Loisirs Culture depuis des dizaines d’années. Ils ont commencé à plonger dans la rade de Marseille il y a plus de soixante ans. “Les Calanques on les a vues évoluer, depuis notre terrain de jeu, jusqu’à devenir un Parc national. Aujourd’hui on aimerait que les mêmes moyens soient entrepris par le Parc pour la terre comme pour la mer”, demande Jean-Pierre. > “LA POLLUTION LA PLUS DANGEREUSE C’EST CELLE QU’ON NE VOIT PAS.” Les deux passionnés de plongée sont clairs : “Cortiou c’est le centre de gravité des Calanques mais c’est un égout à ciel ouvert, quand il le faut on plonge dans le Vieux-Port mais près du rejet on ira jamais.” Les plongeurs sont certains que l’assainissement de 1987 a amélioré la qualité de l’eau. Mais selon eux le système d’épuration actuel est à revoir. “Il faut évacuer nos eaux usées, c’est certain. Mais le centre de traitement des boues de la Cayolle, ce n’est pas suffisant, on n’enlève que ce qui est solide. Or la pollution la plus dangereuse c’est celle qu’on ne voit pas. L’eau est contaminée par les produits chimiques qu’on évacue de chez nous, toute la zone est pourrie. Parfois on voit sortir l’eau du rejet, elle est marron. Ce n’est pas un mystère si tout le périmètre autour de la calanque est une zone de non-prélèvement, l’eau n’est pas potable”, raconte François. Le rejet de Cortiou déverse plus de 4000 litres d'eaux usées par seconde. François Scorsonelli Le Parc national des Calanques, dont la gestion et la préservation des Calanques lui reviennent confirme que la pêche n’est pas autorisée à cet endroit là : “L’émissaire explique en grande partie cette interdiction, des poissons pêchés au niveau du rejet ont été jugés impropres à la consommation”, précise le service communication. “LA VIE FIXE A DISPARU” Les deux plongeurs qui ne se sont que rarement essayés à plonger près du rejet regrettent le manque de transparence du Parc. “Le projet Rexcor qui dure depuis 2017 est une bonne nouvelle mais ce n’est pas du tout suffisant. Ils se sont chargés de mettre des plaques de béton, les poissons reviennent, c’est logique. Mais la vie fixe a disparu, elle ne reviendra pas, les gorgones violettes sont parties pour de bon”, s’indigne Jean-Pierre. Ce que François et Jean-Pierre regrettent aussi, c’est le manque de contact avec le Parc qui ne consulte pas assez les habitués du secteur selon eux. “On gagnerait tous à ce que la communauté des plongeurs soit consultée, que les rapports scientifiques de contrôle et d’évaluation soient accessibles à tous, pour qu’on puisse participer à la préservation des Calanques qu’on côtoie tous les jours.” DANS CETTE VIDÉO, J'AI SUIVI FRANÇOIS ET JEAN-PIERRE DANS UNE SORTIE EN MER, ILS M'ONT MONTRÉ LA CALANQUE DE CORTIOU DE PLUS PRÈS ! Quelles actions mène le Parc national ? En octobre dernier, le Parc national des Calanques a publié une série-documentaire sur son site internet intitulée “Au bout du tuyau, la mer”. Le documentaire retrace chapitre après chapitre l’histoire de la calanque et de ses évolutions pour améliorer la qualité du rejet du 19ème siècle à nos jours. Or aucune information donnée par les intervenants ne concerne le projet Rexcor ni ses résultats annoncés initialement pour 2022. Quant aux progrès à entreprendre pour améliorer la qualité de l’eau rejetée, le Parc incite “Marseillaises et Marseillais à écrire l’histoire de cette calanque dont ils en sont les protagonistes quotidiens”. Outre la dégradation des fonds marins, d’autres enjeux se cachent derrière le traitement des eaux usées, notamment le débordement des canalisations lors de fortes pluies, ce qui donne à voir des déchets dans les rues de Marseille. Auteur·trice MATHILDE DURANTON Partager : Share this post LAISSER UN COMMENTAIRE Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. 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