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Insight


VINCE TAYLOR, L’ANGE DÉCHU

JEAN-NOËL - 25/04/202426/04/2024



Lorsque pour la première fois  j’ai entendu « Brand New Cadillac », c’est The
Clash qui la jouaient. Peu curieux ou trop confiant sinon assez ignorant encore,
je ne me suis pas demandé si Jones/ Headon/ Simonon et Strummer en étaient les
auteurs. Ça coulait de source pour moi, puisque ce titre foncièrement rock
collait à la musique  des londoniens qui tenaient haut le flambeau d’un genre
renouvelé, retrouvant ses caractères premiers au tournant des années 1980. La
chanson dont le texte n’était pas compliqué à comprendre, parlait de grosse
voiture américaine, d’une fille qui la conduisait, d’une histoire d’amour déçue
et le riff lancé note à note sonnait comme il fallait. C’était forcément du
Clash, un peu moins politique il est vrai !



Ce n’est qu’en regardant la diffusion d’un numéro de Chorus, animé par un
Antoine de Caunes jeune et de joyeux acolytes, que j ‘ai compris mon erreur. Je
découvrais qui était Vince Taylor, véritable auteur- compositeur et premier
interprète du titre chanté par Strummer sur London Calling en 1979. Vingt ans
plus tôt, Brian Maurice Holden – alias Taylor- avait rageusement enregistré ce
tube interplanétaire sur trois accords, dans la grande lignée du style rock nord
américain éclos au mitan des années 1950. Dans l’écran télé face à moi Taylor
avait le cheveu noir luisant de gomina , l ‘allure d’un grand échalas aux joues
creuses, le regard de braise. Je sentais confusément qu’il tentait un retour, au
début de la quarantaine, et qu’il avait dû bouffer des vaches maigres depuis
plusieurs années.  Sur la scène de l’émission avec un vrai public, il était
encadré d’un groupe pas franchement convaincant – à ce que j’en jugeai du moins,
du haut de mes dix huit ans – et qui paraissait un peu de circonstance. Les
gars  jouaient façon baloche, sans l’imagination ou la présence qui faisaient la
différence. Pour faire court, ils n’étaient sans doute pas tout à fait à la
hauteur des ambitions et du potentiel de leur chanteur. Celui ci avait beau
donner de la voix, quelque  chose coinçait.

Mais d’où sortait (ou d’où revenait ) ce Vince Taylor que je ne connaissais pas?
L’homme en cuir noir avait eu du succès, provoquant un certain émoi hexagonal
autour de lui, au tout début des années 1960 . Anglais né en 1939 – il se fait
passer pour américain parce que sa famille y résida dans les années 1950 – c’est
surtout en France qu’il mène véritablement carrière.  Le pays s’éveille au rock
n roll, et Taylor qui a sorti un single chez Parlophone sans grand retour
commercial du public anglais, est bien accueilli à Paris avec un groupes de
musiciens d’accompagnement qu’il nomme Les Playboys. On y trouve le batteur
Brian Bennett ( qui jouera dans The Shadows) et le guitariste Tony Sheridan (
qui sera connu pour sa collaboration avec les Beatles à leurs débuts). Les
Playboys tiennent la route, Taylor a de l’allure et de la voix. Ils donnent des
concerts ici et là, avec d’autres groupes anglais, créant une  sensation de
nouveauté. La hype anglaise s’empare de la capitale et Taylor avec sa belle
gueule est signé par les disques Barclay. Pour le label français il exprime un
rock sauvage et sombre,  venu tout droit des années 50 dont il incarne l’esprit.
On le surnomme alors « L’Archange Noir du Rock », ce qui le décrit parfaitement.
Un premier album paraît en 1961, intitulé Le Rock c’est ça ! S’il a des airs de
Presley, la vision des choses de Taylor est celle plus ténébreuse d’un Gene
Vincent. Presley est devenu une immense star, bien sûr, mais  il est aussi un
serviteur docile de la nouvelle industrie musicale nord américaine. Vince
Taylor, lui, est bien trop bousculé intérieurement pour prendre ce plis, même si
cela ne se voit pas encore quand on regarde ce garçon brun, musclé et souriant.

Photo Michael Ochs Archives/Getty Images

S’il espère la gloire et peut rivaliser chez nous avec un Johnny Halliday qui
débute sa carrière, l’anglais exilé va connaitre un parcours chaotique frappé
par la malchance. Pourtant tout démarrait si bien. Eddie Barclay lui demande
d’adapter des standards du rock américain dont le public est encore en demande
dans l’hexagone. Il en réalise des versions plus sauvages, plus radicales que
les originaux. Taylor y croit, c’est sûr. C’est un pur ! Il ouvre pour les
Rolling Stones à L’Olympia, publie ses deux premiers albums en 1961 puis 1965,
ainsi que des ep en quantité qui se suivent rapidement  pendant cinq ans. On le
voit avec Brigitte Bardot, Françoise Sagan, Roger Vadim. Il est devenu un
personnage du Tout Paris rock  de la première moitié des années 60, peut être
d’un miroir aux alouettes aussi… Il joue dans un film érotique en 1961 ( qui
sera finalement interdit en salle). Ne serait il qu’une simple attraction ? Une
distraction jetable ? Le succès ne reste que temporairement au rendez-vous pour 
Brian Maurice Holden. Ses concerts provoquent des émeutes  – dans lesquelles il
n’a aucune responsabilité – et les salles sont parfois dévastées. La plus
célèbre est celle du Palais des Sports (Paris) mis sans dessus- dessous en
novembre 1961. Le public français vient l’applaudir mais, curieusement, ses
disques se vendent mal. On ne saurait dire pourquoi ? Peu à peu Taylor devient
malvenu en regard de l’agitation qu’il peut provoquer. Est- ce son look de
pur et dur qui excite les loulous frenchies et effraie les organisateurs ? Après
1965 , on va lui préférer  les chanteuses et chanteurs de la vague Yéyé,  bien
plus inoffensifs.



Ses concerts de cette même année sont pourtant bons! Johnny Halliday est parti
au service militaire et ses musiciens d’accompagnement se sont naturellement
tournés vers Vince Taylor. Le batteur Bobby Clarke qui soutenait la formation
autour d’Halliday, offre ses services à « L’ Archange Noir ». C’est le moment où
est enregistré le fameux Vince!  album joué en live à l’Olympia, avec un solo de
batterie de sept minutes.  On y ajoute  au mixage de faux cris et
applaudissements déchaînés, plus vrais que nature. Taylor est  dépassé par les 
événements. Loin de remplir son compte en banque avec la musique, il vit
modestement,  dort dans de mauvais hôtels et cachetonne comme il peut. Il y a un
paradoxe Vince Taylor. On le veut incarnation d’une certaine sauvagerie à la
Brando, mais en même temps on la redoute. Parce qu’il est souvent ingérable
rapporte Eddie Barclay à son sujet, le producteur donne un premier stop à sa
carrière après 1965. Ce sont dans les mois qui suivent de premières galères plus
sévères qui commencent…

Drogues, alcool et dépression  submergent le chanteur-interprète dans la seconde
moitié des années 1960. Un concert donné à la Locomotive paraît cataclysmique
aux yeux du public effaré. Taylor est en pleine descente d’acide, un chien dans
un jeu de quilles qui n’arrive pas à s’adapter. Il oublie des paroles, titube,
affole les spectateurs en pleine vague Yéyé soutenue par les disques Vogue qui
donnent désormais le ton de l’époque. Dutronc, Hardy, Antoine, Ronnie Bird,
Zouzou sont les nouvelles vedettes. A vingt six ans « le rocker en noir » est
déjà presque un has been. Il s’en rend compte. Quittant la France, il retourne à
Londres, croise Bob Dylan et sombre dans une sorte de délire mystique qui
n’arrange pas ses affaires . Il s’imagine réincarnation d’un apôtre du Christ et
croit , halluciné, aux extraterrestres. Les choses vont mal. Cachets anti
dépresseurs et électrochocs, séjours en hôpital psychiatrique sont nécessaires.
Taylor perd de sa superbe et prend la tête d’Antonin Artaud quelques années plus
tard, prématurément vieilli…





Retour en France où Barclay lui fait finalement enregistrer L’Épopée du Rock (
1969). Une collection de standards qui peut paraître décalée par rapport aux
productions branchées de la fin 1960. La pop music s’est  développée, le rock
prog a le vent en poupe, ainsi que le hard rock naissant. Résultat, le
rockabilly figé de Taylor semble le vestige d’un autre temps. En ce sens, le
titre du troisième et dernier lp chez Barclay est un choix vaguement plombé. Cet
album  est une redite qui ne réalise pas de grosses ventes. Taylor n’a toujours
aucun confort matériel. Interprète, aussi doué fut il pour cet exercice de
style, il ne reçoit aucun droit d’auteur ce qui suppose des revenus plus
limités.

Jusqu’au milieu des années 1970 il ne se passera plus grand chose pour lui.
Fantomatique il erre de concerts en galas mal payés, dans des salles de
troisième catégorie. Le rocker qui fut une des sensations de la période
1960/1965, se retrouve avec des outsiders de la variété française. Quand bien
même David Bowie déclare t-il s’être inspiré de lui pour créer Ziggy Stardust,
son quotidien est celui  d’un solitaire, presque lâché par le music business.
Music For Pleasure diffuse une compilation bon marché et un autre trente
centimètres de reprises des mêmes standards parait chez Motors la même année.
Nous sommes en 1975. Cette petite actualité discographique a l’avantage de
rassembler une poignée de fans  qui s’occupent de lui, l’ hébergent et
organisent quelques dates provinciales. Taylor, entre l’âge de trente sept et
quarante ans, vit en quidam à Châlons sur Saône, ce qui  lui évite pendant deux
ans ou trois ans une déchéance physique qui lui aurait été fatale.





L’ultime come back a lieu à la fin des années 1970. C’est celui qui le mène sur
la scène de Chorus, devant les caméras de télévision. Vince Taylor fait alors
l’objet d’un petit culte au sein de la nouvelle génération de musiciens nés du
punk rock – dont Bashung et Daniel Darc. Pour ce qui sera son baroud d’honneur,
il est aidé par les ex Dynastie Crisis – à l’origine musiciens de Polnareff qui
connurent aussi un petit succès personnel quelques années plus tôt.  Il tourne
deux films avec le réalisateur Pierre Richard, sans pour autant débuter une
nouvelle carrière au cinéma.  Taylor reste coincé dans son propre rôle. Il ne se
renouvelle pas, ne compose pas d’autres titres que son fait d’armes de 1959.
Quand bien même The Clash le popularisent- ils à ce moment là, il n’y a pas de
quoi vivre de ses royalties…

A un peu plus de quarante ans, VinceTaylor va disparaître… Il l’annonce lui même
( mais qui s’en soucie?) et redevient Brian Maurice Holden. Avec femme et enfant
l’ex « Ange noir » du Rock and Roll émigre en Suisse à Lutry, près de Lausanne.
Là,  il reprend son métier de mécanicien pour l ‘aéronautique qui fût son autre
passion de  jeunesse. De 1983 à 1991 – année de sa mort à cinquante deux ans,
suite à un cancer des os – , il vit sans doute des années trop courtes, mais des
années les plus heureuses de sa vie chaotique, loin du monde du rock qui ne lui
rendit pas le succès qu’il aurait mérité.  La faute à la malchance et à quelques
errances?  Ce qui est fait est fait et vous n’y pouvez rien changer.

Vince Taylor/ Brian Maurice Holden repose en paix au cimetière de Lutry, bien
qu’on ait longtemps prétendu que sa tombe fût introuvable – à l instar de la
sombre histoire ( elle aussi) du blues man Robert Leroy Johnson, auteur de
« Crossroads » qui, dit on, vendit son âme au diable avant de devenir le premier
membre du funeste club des « 27 »…Le diable, Taylor ne lui vendit rien. Par
contre il  semble que celui ci lui joua de nombreux mauvais tours.


Jean-Noël

Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en
1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale
peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club
millésimé.





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2 COMMENTS

 1. PHIL J 11/05/2024 AT 19:17
    
    
    Belle chronique ! C’est très intéressant de se replonger dans ces grandes
    épopées du rock. Vince Taylor était considéré comme un usurpateur par
    certains chanteurs français (dont Eddy Mitchell), c’était un super
    interprète, il l’a prouvé sur pas mal de standards, sa version du Shakin’all
    over de Johnny Kidd est un modèle ! Mais c’était surtout une bête de scène
    avec un côté chanteur maudit, looser. C’est ce qui attirait beaucoup
    Bashung, chez Vince comme chez Gene Vincent, des personnages sombres et
    torturés, aux performances scéniques sauvages.. A re-découvrir !

    

 2. JEAN-NOËL 23/05/2024 AT 14:08
    
    
    Merci. Oui, loser c’est factuel… Usurpateur est excessif. Je ne souviens pas
    de cette désapprobation par Eddy Mitchell ? Disons que oui, en tous cas,
    Taylor a très peu créé et n’a donné que des interprétations des standards
    rock… En ce sens son apport réel est moindre. Évidemment. Il a surtout
    permis au public français entre 1960 et 1965 d’entendre en direct des hits
    US… Après, la légende a pris le pas. C d’ailleurs cet aspect qui nous
    intéresse ici.

    

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